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Comment nous nous sommes accordé… … Deux vies !

30 mai 2021, 08:59

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Comment nous nous sommes accordé… … Deux vies !

Et si on s’éloignait de la médiocrité du quotidien et de nos anxiétés grandissantes face à l’avenir, pour seulement aujourd’hui ? 

Pour parler d’un des plus grands triomphes de l’aventure humaine jusqu’ici : les brillantes décisions et les innovations inspirées qui auront assuré, petit à petit, que l’espérance de vie moyenne d’un humain passe des 35 ans, qui s’est affichée jusqu’au début du siècle dernier, au double, quasiment partout au monde, accordant ainsi l’équivalent de DEUX vies plutôt qu’une, à 92 % de l’humanité, incluant aujourd’hui et l’Inde (70 ans) et la Chine (77 ans) ! 

Si ce n’est pas un triomphe, ça y ressemble drôlement ! 

Ce triomphe, on a du mal à l’appréhender parce qu’il est aujourd’hui principalement le résultat d’absence d’événements plutôt que d’événements : l’eau que l’on boit sans être infecté par le choléra, la variole, battue en brèche par les vaccins, qui ne vous a pas tué à l’âge de 2 ou de 5 ou de 8 ou de… ans, l’infection bactérienne qui ne vous tue plus grâce aux crèmes antibiotiques, sont tous des acquis, dont on ne parle plus et dont on n’a presque plus conscience. En amont de ces non-événements, on retrouve cependant ceux qui ont «empoisonné» l’eau des réservoirs avec du chlore pour protéger leurs concitoyens, sans qu’ils ne le sachent ou même y consentent ; les vaccinations concentriques en «zones rouges» de l’époque – jusqu’à l’éradication totale de la variole ou l’invention des antibiotiques que l’on avale aujourd’hui avec presque autant d’insouciance qu’on ingurgite des burgers rendant obèse. Ce qui crée d’ailleurs déjà des problèmes d’accoutumance et de résistance de bactéries diverses à la gamme d’antibiotiques actuelle… 

Quand on parle de ce sujet dans les livres d’histoire, on a tendance à évoquer le trio des vaccins, des antibiotiques et de la théorie microbienne des maladies. Ces avancées scientifiques furent évidemment «pivotales» au doublement de l’espérance de vie, mais il n’y eut pas que cela. On raconte volontiers l’histoire des seuls Jenner, Fleming, ou Pasteur, mais c’est beaucoup plus compliqué que cela. 

Savez-vous que Jenner, par exemple, avait reçu une variolation à 8 ans ; la variolation étant cette procédure venant d’Asie, qui consistait à infecter une personne délibérément, avec la variole elle-même, utilisant une aiguille, dans l’espoir de susciter une maladie plus bénigne, plutôt que mortelle ? La variolation marchait bien dans certains cas, mais pas toujours. En terme médical, on peut dire que la variolation réduisait déjà matériellement les risques de mourir de variole, mais que la vaccination, qui provoque la réaction des cellules immunitaires appropriées pour éventuellement combattre une maladie, SANS mettre l’inoculé à risque, est une vaste amélioration ! 

Sans variolation, peut-être n’y aurait-il pas eu de Jenner ? Sans Jenner, nous aurions sûrement éradiqué la rougeole, la rubéole, la polio, la coqueluche plus tardivement… Ou pas du tout. 

On semble avoir presque oublié ce passé au point où, aujourd’hui, on évoque volontiers et, généralement, excités comme des puces éméchées, les risques de se faire… vacciner, en négligeant les risques beaucoup plus conséquents assumés sans vaccin ! En effet, les «anti-vaxxers», comme ils aiment s’étiqueter dans le monde anglophone, ont le luxe de refuser des vaccins, contre la diphtérie, la poliomyélite, le tétanos, la coqueluche etc… pour eux-mêmes et leurs enfants, justement à cause de la vaccination des autres en nombre suffisant, maintenant et dans les générations précédentes, ce qui les a mis à l’abri ! Il faut rappeler cette perspective et il ne faut pas oublier ! La tendance générale, malheureusement, du moins jusqu’aux douloureux rappels d’une pandémie comme le Covid, est de prendre tout cela pour de l’acquis… 

La vérité crue est que sans vaccins, il est plus que probable qu’au moins un de vos enfants vivant aujourd’hui serait déjà mort ! L’humanité, jusqu’à il y a deux siècles, perdait en effet, UN QUART de ses enfants avant l’âge d’un an et presque DEUX SUR CINQ avant l’âge adulte ! La réduction de la mortalité infantile a été évidemment cruciale dans le prolongement de l’espérance de vie, seulement 4 % des enfants mourant maintenant mondialement avant l’âge de 5 ans… Mais la médecine, la science et l’hygiène publique sont aussi intervenues à l’autre bout de la pyramide des âges, évidemment. 

Pour tous les progrès qui ont sauvé des centaines de millions de vies, il y a aujourd’hui tant de l’ingratitude que du comportement irresponsable qui veut défaire ces progrès. Les antibiotiques sont ainsi gaspillés pour protéger des batteries entières de poulet (et ainsi favoriser les chances de mutations résistantes), les transfusions sanguines sont cataloguées «impures», voire impies par certains dévots obtus et la chloration de l’eau ou la pasteurisation n’ont pas toujours la faveur de ceux qui souhaitent un retour vers la «nature». On jure que le «frais» à meilleur goût. Oubliant, pour peu, que la nature peut aussi tuer ! 

Reconnaissons ainsi que des milliards de vies humaines ont été sauvées, grâce à Norman Borlaug et sa révolution verte, à Joseph Bazalgette qui construisit les égouts assainissant sous Londres, a «Moldy Mary» Hunt à qui l’on doit la sélection des melons pourris dont la moisissure était la plus propice à la production de pénicilline à échelle industrielle et Dilip Mahalanabis qui découvrit qu’un peu de sel et de sucre dans de l’eau propre éviterait la mort, par déshydratation, à ceux souffrant de diarrhée chronique découlant de choléra, par exemple. 

Mais le progrès fut aussi le résultat de découvertes ou d’actions moins spectaculaires, même si tout aussi édifiantes. Quand les vaccins s’étaient généralisés en Grande-Bretagne et commençaient à impacter l’espérance de vie, c’est à un statisticien, William Farr, que l’on doit un constat, en 1843, à la fois étonnant et séminal. Alors que l’espérance de vie dans le Surrey champêtre approchait 50 ans et que la moyenne nationale atteignait 41 ans, c’est le choc de voir les premiers dégâts de l’industrialisation sauvage à Liverpool ou l’espérance de vie… chute à 25 ans ! Ça a fait réagir ! De l’autre côté de l’Atlantique, malgré l’impact des vaccins, l’espérance de vie baisse de 13 ans entre 1800 et 1850 et si 30 % de toutes les mortalités à New York en 1815 sont des enfants de moins de 5 ans, en 1850, ce chiffre augmente à 60 % ! C’est à un journaliste, Frank Leslie, que l’on doit, en 1858, le réquisitoire qui allait changer la donne. Le coupable ? Le lait «frais» qui, en ville, sans réfrigération ni pasteurisation était, en fait, un aller simple vers la tuberculose, la diphtérie, la typhoïde. Les producteurs de lait, comme les fabricants de cigarettes 140 ans plus tard, se rebiffent… 

Mais on doit à Nathan Straus, un des propriétaires d’un Macy’s à Manhattan, de prendre le taureau par les cornes. S’étant documenté sur la pasteurisation inventée dès 1865, il ouvre, en 1892, des dépôts de lait pasteurisé en milieu populaire qu’il vend à perte, crucialement à moins cher que le lait «frais». Un orphelinat qui adopte le lait pasteurisé, voit la mortalité de ses enfants à charge chuter dramatiquement, mais la résistance, tant des producteurs que des consommateurs, est vive. Il faut attendre l’intervention de Theodore Roosevelt pour que, plus de 50 ans après l’invention de Pasteur, la vente du lait non pasteurisé soit décrétée illégale en Amérique ! Dans la même veine, le conseiller sanitaire John Laing Leal, ayant noté l’effet du chlore sur les bactéries pullulant dans l’eau, en ajoute subrepticement aux réservoirs de Jersey City en 1908. Il est poursuivi par la municipalité pour n’avoir pas, selon son contrat, pourvu du «pure and wholesome water» à la ville, mais les cas de typhoïde et de diarrhée chronique disparaissent rapidement après son initiative et la pratique se généralise. 

Que de chemin parcouru depuis le début du siècle dernier où le catalogue d’un fameux laboratoire pharmaceutique, Parke & Davis, comportait une plante psychédélique et de la strychnine pour «revive sexual existence» ou de la cocaïne en poudre, injectable ou fourrée dans une cigarette avec la promesse que «it would take the place of food, make the coward brave, the silent eloquent and render the sufferer insensitive to pain» ! 

Comme vous voyez, nous avons fait du chemin depuis l’époque où nous n’avions qu’une vie de 35 ans. Nous en avons deux maintenant. Qui en veut plus ?

P.S : La plupart des faits cités dans cet article proviennent du livre passionnant de Steven Johnson, intitulé : EXTRA LIFE, A Short History of Living Longer.