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Derrière le chaos sud-africain (II)

16 juillet 2021, 14:36

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Notre dernier éditorial «L’État de droit et le chaos sud-africain» ayant généré plusieurs commentaires par rapport aux racines du mal sud-africain et aux possibles parallèles avec notre pays, quelques autres points d’analyse s’imposent. Aujourd’hui, après six jours de pillages et environ 80 morts, il devient manifeste, de par le profil de ceux qui saccagent, que l’ex-président Jacob Zuma est loin d’être la cause profonde des différentes émeutes qui embrasent l’Afrique du Sud. Si les violences ont effectivement commencé au Kwazulu Natal par les partisans de Zuma, elles ont vite dépassé le cadre de la simple partisanerie politique pour se greffer et s’intensifier sur un terrain fertile à l’explosion de violence urbaine que nous voyons tourner en boucle sur les écrans du monde entier. Paradoxalement, les gens se révoltent contre le symbole de despote que représente Zuma.

Le chaos actuel trouve ses origines dans les fléaux multiples qui rongent l’Afrique du Sud depuis plusieurs décennies, notamment la pauvreté, le chômage, les inégalités tribales, sociales et économiques, la corruption des élites, les liens incestueux entre partis politiques et cliques oligarchiques, le favoritisme, les institutions dévoyées, un système éducatif insuffisant, une faible croissance économique – tout cela sur toile de fond d’un passé douloureux qui provoque encore des tensions ethniques. Ce qui se passe en Afrique du Sud devrait donc résonner dans toutes les ploutocraties du monde (ploutos = «richesse», et kratos, «pouvoir» ; donc régime où le pouvoir est exercé par les plus riches), en particulier celles du continent et de l’océan Indien.

Quand les inégalités se creusent dans un pays, où le chômage et l’inflation augmentent, le risque de mettre la société à feu et à sang est grand. Pourtant, le risque de chaos était encore plus grand en 1994, lors de la transition de l’apartheid à la démocratie. Mais Nelson Mandela et Frederik De Klerk, en grands hommes politiques, contrairement à leurs successeurs, avaient su augurer une nouvelle ère d’apaisement et de paix, de stabilité et de développement accéléré. Ils avaient mis de côté leurs petits egos politiciens pour faire primer l’intérêt national sur toute autre consideration. Aussitôt leur mission accomplie, ils ne sont pas restés accrochés au pouvoir. Mais cela n’a pas été le cas pour d’autres dynasties et clans qui tirent leur puissance des situations oligarchiques.

L’Afrique du Sud postapartheid – et post De Klerk-Mandela – n’a pas su créer des emplois, encore moins construire des infrastructures de base (logements, eau, électricité, écoles, hôpitaux) pour son peuple. Plus d’un sociologue sud-africain estime que malgré la croissance macroéconomique, la pauvreté est restée endémique et aiguë sur pratiquement tout le territoire, en excluant quelques îlots de richesses et autres «gated communities». «While growing poverty and inequality are key sources of discontent, political violence is triggered by competition for financial and political resources available through the state. This competition is further fueled by perceptions of the post-apartheid state as a source of personal enrichment and power. At the elite level, access to the state allows for personal and professional gain through corruption, political favors, and business opportunities secured through ties with strategically placed individuals. Elite competition for such access drives violence within and between competing political parties, usually at the local level using intimidation and assassination to ensure electoral success. Much political violence thus exists in a grey area where the distinction between politics and crime is blurred», m’expliquait le Professeur Assis Malaquias, il y a quelques années de cela. La situation qu’il me décrivait alors n’était pas aussi grave que cela. Mais les années Zuma ont versé de l’huile sur le feu.

Et quand la frustration populaire croît plus vite que l’économie participative, le chaos devient inévitable, surtout lorsque les écarts socio-économiques et politiques entre les élites et le citoyen lambda se creusent et que les organisations mafieuses s’enrichissent. Pour renverser la tendance et retrouver un semblant de sérénité, tout doit être revu, en commençant par la Constitution. Pour se calmer, les citoyens doivent à nouveau voir des preuves tangibles que le gouvernement s’intéresse aux priorités socio-économiques des citoyens ordinaires – et non pas celles de certains groupes seulement. En d’autres termes, le gouvernement sud-africain doit regagner la confiance du public. Il faudrait pour cela rompre les liens historiques et incestueux entre les décideurs politiques et les opérateurs économiques. Redonner l’égalité des chances, n’est-ce pas cela une vraie mise à mort de l’apartheid ?





 

L’État de droit et le chaos sud-africain (I)

 

La semaine dernière, quand l’ancien président sud-africain, Jacob Zuma, se constitue prisonnier dans un établissement pénitentiaire de sa province d’origine, le KwaZulu Natal, la communauté internationale acclame. L’Afrique du Sud démontre ainsi son respect de l’État de droit, condition sine qua none du développement économique – à l’opposé d’une politique d’impunité.

Après avoir tout fait, durant plusieurs années, pour échapper à la justice, Zuma n’a eu d’autre choix que de se conformer à l’ordonnance d’incarcération rendue par la Cour constitutionnelle le 29 juin. Il a été trouvé coupable d’outrage à la justice et a été condamné à 15 mois de prison ; une première fois pour un ex-président en Afrique du Sud.

Plus tôt cette année, la Cour constitutionnelle avait sommé Zuma à comparaître devant une commission d’enquête judiciaire sur des allégations de «state capture» (détournement des biens de l’État), de corruption et de fraude dans le secteur public. Mais Zuma avait systématiquement refusé d’obtempérer et de collaborer avec la justice de son pays, car cela représentait un affront pour lui. Il pensait, comme grand chef de tribus, qu’il était au-dessus de lois.

Mais dans la rue, ces derniers jours, la tension dans le camp des pro-Zuma s’intensifiait. Et ce, même si le parti au pouvoir, l’ANC, (que Zuma avait dirigé pendant longtemps), a exprimé «un engagement sans équivoque et la défense de la Constitution, en particulier la suprématie de la Constitution, la primauté du droit et l’indépendance du pouvoir judiciaire, parmi les principes et valeurs fondateurs de la République». Mais Zuma n’était nullement d’accord et a commencé à chauffer ses partisans. Son fils, Edward Zuma, a juré, avant que son père ne se rende, qu’il y aurait une effusion de sang si l’ancien président était arrêté.

Et c’est précisément ce qui s’est passé…

Aujourd’hui, le chaos s’est installé dans le pays voisin, le géant de la SADC et du continent est devenu la proie de flammes, de pillage, d’émeutes, de désolation. Les militaires ont pris le relais de la police pour restaurer l’ordre et la paix. Déjà à terre par le Covid-19 – l’Afrique du Sud a subi la plus grave crise pandémique de toute l’Afrique –, l’économie sud-africaine suscite désespoir et colère. Le président Cyril Ramaphosa a prévenu sur les ondes : «Si les scènes de violence ne cessent pas, l’Afrique du Sud pourrait connaître une guerre civile et des affrontements inter-ethniques du début des années 90…» Ce qui constituerait un retour en arrière pour la plus grosse économie sub-saharienne.

Désormais, les Sud-Africains en général et les investisseurs en particulier ont peur. Beaucoup ne veulent pas être prisonniers du brasier qui s’annonce. Le risque d’afflux de réfugiés et, partant, du virus Delta, dans les pays voisins, y compris à Maurice, est sérieux. Les autorités mauriciennes ont intérêt à s’y préparer, surtout avec l’ouverture de nos frontières.

***

Si on pensait en 2018 que l’arrivée de Cyril Ramaphosa à la tête du Congrès national africain (ANC) allait améliorer la donne, on aurait péché par excès d’optimisme. Car, sous les cendres, il y avait du feu qui couvait. Les choses se sont précipitées – l’incarcération de Zuma si elle a mis le feu aux poudres n’est qu’un prétexte. Le terrain était explosif, car la corruption et les inégalités ont pratiquement tout gangrené en Afrique du Sud, les institutions sont presque à genoux, suspendues à des symboles ethniques. La pandémie est venue jeter du kérosène sur les pneus qui brûlaient çà et là.

Sans une politique de rupture et une reprise en main de l’ordre public, tout l’espoir suscité par la fin de l’apartheid risque de tomber à l’eau. Entraînant vers l’abîme tout le parti de Mandela, au pouvoir depuis 1994... et aussi, (et c’est bien cela le plus grand drame), une bonne partie de l’Afrique australe, dont nous faisons partie.