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De la nécessité d’hommes indépendants …et d’en faire bon usage
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De la nécessité d’hommes indépendants …et d’en faire bon usage
Les dirigeants politiques sont souvent tentés de nommer «leurs» hommes et femmes à des postes-clés, y compris parfois à des postes constitutionnellement importants, pour essayer de contrôler un maximum de ce qui se passe ou se négocie dans un pays. Leurs motivations sont clairement de favoriser une loyauté absolue plutôt que l’intégrité de la conscience ou même la compétence. Dans une autocratie, il n’y a pas d’institutions qui ne soient pas au pas de l’oie quand il s’agit de mettre en oeuvre les souhaits, voire les ordres du prince. S’il y a des avantages évidents à la loyauté absolue, même en démocratie, il faut quand même reconnaître que c’est surtout le leader maximo qui en profite et qu’il y a alors un prix à payer, surtout aux dépens du pays et de son image. D’ailleurs, si vous avez de la chance, votre leader est de la trempe de Lee Kwan Yu, sinon, bad luck !
Occasionnellement, dans des pays où les institutions restent bien plus fortes que même les personnalités à qui elles sont confiées, le leader qui a le pouvoir de nommer au départ, est désavoué par ceux qu’il a désignés, selon les faits, les principes ou la loi en jeu. L’ex-président Trump a été, par exemple, et à sa grande surprise, désavoué par la Cour suprême des États-Unis, y compris par les juges Kavanaugh et Gorsuch, pourtant nommés par lui-même, tant sur des questions de taxe, de subpoena provenant du congrès, de droits LGBT et de résultats électoraux (1). On peut aussi y ajouter son directeur du département de la justice, William Barr qui le contredisait plus récemment à propos des résultats des dernières présidentielles, affirmant qu’il ne voyait aucune indication de pratique frauduleuse. Cependant, Barr ne contredisait Trump publiquement qu’après la défaite de celui-ci en novembre 2020, alors que ses nominés à la Cour suprême n’ont pas attendu ces résultats pour démontrer leur indépendance… Nuance !
Mais ayant systématiquement nommé ce qu’ils espèrent être de nombreuses marionnettes parfaitement au pas, il y a alors la conséquence inévitable qu’une perception de subjectivité ou même de partisanerie collera alors aux basques de TOUS ceux qu’ils nomment ! Y compris les hommes indépendants !
La commission d’enquête sur la vente des actions de Britam est d’évidence importante, on pourrait même dire cruciale, parce qu’il fallait absolument trouver la vérité derrière cette transaction qui engageait de l’argent public, établir comment et pourquoi l’offre initiale de Rs 4,3 milliards a été réduite, au final, par 1,9 milliard et décider s’il y avait du filoutage en la circonstance et qui pouvait en être responsable.
Le problème est que pour pouvoir établir les faits de manière crédible, il faut dès le départ installer des individus dont la crédibilité et l’impartialité sont sans faille, ce qui n’a pas été le cas pour tous, et d’autre part que les faits et témoignages rassemblés soient complets ou brassent le plus large possible. À cet effet, le témoignage proposé de M. Dawood Rawat était, on s’en souviendra, annulé le jour même où il devait déposer au motif que «there are procedural issues going to the very root of the course of action we are about to undertake», et aussi que les hommes de loi de M. Rawat n’avaient pas déposé, à l’heure imposée, un résumé, sous forme de bullet points, des arguments matériels et pertinents de cette déposition à venir (2). Les Kényans, y compris M. Sandeep Khapre, le directeur de BDO (Kenya), dont le témoignage est capital pour établir l’authenticité des procès-verbaux des discussions de vente, puisque c’est lui qui les rédige ou du moins les vérifie avant diffusion, n’ont été invités à témoigner que le… 30 juin 2021. Le rapport de 325 pages était alors sûrement déjà largement rédigé, de toute manière ?
Qu’il y ait deux versions des procès-verbaux des discussions au Kenya indique clairement une malversation. Que l’État mauricien (dont le contribuable) ait été berné est probable. Les commentaires de l’exjuge Domah sur certaines légèretés criantes lors du processus de vente de Britam sont pertinents et mèneront, on l’espère, à des corrections rapides. Mais peut-on établir laquelle des deux versions d’un procèsverbal est «fabriquée» sans interroger l’auteur desdits procès-verbaux, lui-même, M. Khapre ? Surtout qu’il y a des scénarios plausibles de motivations pour soutenir les deux versions ! Quant à M. Rawat, son témoignage aurait apparemment indiqué que les actions de Britam valaient au moins une dizaine de milliards de plus et que les assurances données ici, au Parlement, que le Kenya ne permettait pas la vente des actions aux «étrangers», ce qui justifiait la vente dûment finalisée avec Peter Munga, ne tenait tout simplement pas la route…
Une enquête de la police va apparemment s’ensuivre. Sur les grosses affaires financières complexes, comme Britam, il est vraiment improbable que cette enquête fasse trop de chemin. L’enquête de police initiée sur l’affaire Lesage/MCB/NPF n’est, à ma connaissance, toujours pas terminée, 18 ans après les faits…
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Pourquoi est-ce important de systématiquement privilégier des hommes et des femmes ayant une indépendance de réflexion ?
Tout simplement parce qu’il n’y a pas de progrès possible sans remise en question et qu’il y a beaucoup moins de chance de remise en question dans un système monolithique, de pensée unique.
Cela dit, la pensée sclérosée, invariable et même fossilisée, peut parfois être remise en question même dans un système autocratique. On peut, à cet effet, citer la perestroïka de Gorbatchev ou le virage vers le capitalisme libéral sous Deng Xiao Ping, mais il est clair que ces réorientations ne pouvaient être enclenchées que par le «chef» et alors être imposées que «top down».
Par contre en démocratie libérale, où les citoyens sont encouragés à réfléchir pour eux-mêmes et où les opinions des uns et des autres peuvent s’exprimer, et être promues librement par ceux qui refusent le moule imposé ; les changements viennent très souvent de l’opinion publique mobilisée. Par exemple, l’attitude installée, même enracinée, sur le vote des femmes, les LGBT, l’avortement, le racisme, l’esclavage, a été basculée parce qu’une poignée d’esprits indépendants ont su provoquer puis convaincre l’opinion publique au point où les dirigeants, avides consommateurs de sondages d’opinion, ne s’y soumettent, surfant sur la vague.
Il n’est pas dit que des esprits indépendants sont infaillibles. Cependant, il est clair que si tout le monde pense systématiquement pareil comme le chef et que celui-ci s’est trompé, il y a bien plus de chance d’aller dans la mauvaise direction ! Prenons un exemple. Mille personnes sont invitées à estimer le poids d’une vache. Celle-ci pourrait être l’épouse du prince qui, pour avoir la paix à la maison, sous-estime délibérément ce poids. En système autocrate, personne ne veut prendre le risque de désavouer la pensée du chef et la vache… maigrit ainsi très officiellement. En démocratie, on se trompe autant de fois à sous-estimer qu’à surestimer et on finit avec une bien meilleure estimation. Des opinions contraires librement exprimées, ce n’est pas toujours confortable, ça fait parfois désordonné, mais là n’est pas la question puisqu’elles nous évitent un certain nombre d’erreurs systémiques, ce qui est au bénéfice éventuel des citoyens.
Ces esprits indépendants dont l’existence est vitale en démocratie, ça se cultive, bien entendu. Il faut s’interroger constamment sur le poids de l’habitude, la pression des pairs, le courant établi. L’esprit indépendant fait ce qui lui paraît juste et logique, pas ce qui encense son ego, tape à l’oeil du public ou lui assure des gains personnels ou la paix. Avoir un esprit libre requiert le courage d’accepter la défaite occasionnelle et de prendre des risques plutôt que de raser les murs. Pour penser librement il faut parfois pouvoir examiner la pensée de l’autre, se faire l’avocat du diable et surtout garder les portes et les fenêtres ouvertes sur ce qui extérieur a ses propres convictions intimes.
Ce pays a de plus en plus besoin d’âmes indépendantes qui s’expriment librement. Les hommes politiques actuels en veulent de moins en moins. Voilà surtout pourquoi la dérive autocratique est en marche et qu’elle s’accélère.... Heureusement que la roue tourne et que les cycles ne sont pas pour toujours !
(1) https://chicago.suntimes.com/columnists/2020/7/15/21326005/brett-kavanaugh-neil-gorsuch-chuckschumer-cyrus-vance-trump-v-vance
(2) https://www.lexpress.mu/node/343656
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