Publicité

J’aime encore mieux être ici. Pour le moment.

8 août 2021, 07:31

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Nous aurions pu, ce matin, être réveillés non pas par le chant des oiseaux pressés de chercher leur asticot matinal, mais par des tirs de roquettes et des crépitements de mitraillettes ! Le hasard ou la fatalité fait que l’assemblage de gènes et de chromosomes qui NOUS constitue et qui, pour des questions d’histoire et d’élans amoureux au moins passablement passionnels, nous a déposés à Maurice, aurait très bien pu s’être déroulé en… Afghanistan ! Dans la capitale provinciale du Helmand, Lashgar Gha, par exemple, ou 9 des 10 districts sont déjà tombés aux mains des barbus Taliban, qui ne sourient jamais et qui n’aiment ni la musique en lieux publics, ni les dames vivant à visage découvert, ni les cerfs-volants(1). J’aime encore mieux être ici. Pour le moment.

Nous aurions pu être à Hong Kong ou, épris de liberté et séduits par les promesses démocratiques d’«un pays, deux systèmes», nous aurions pu être, aujourd’hui, déçus et apeurés, en train de fermer nos valises pour la GrandeBretagne, abandonnant de grandes louches de ce que l’on aime. En effet, Boris Johnson a invité jusqu’à 3 millions de Hongkongais à émigrer face à un parti communiste chinois omniscient et omnipotent qui ne tolère aucune opinion différente à la sienne. J’aime encore être ici. Pour le moment.

Avec un peu de malchance, nous aurions pu être nés à Madagascar, qui ne s’en sort décidément pas. Après la vague de kidnappings criminels avec rançon à la clé, la promotion présidentielle d’un remède miracle ‘préventif’ (et maintenant ‘curatif’ !) contre le Covid-19, concocté à base de ravinsar et d’artemisia (2), et 663 000 cas de paludisme pour les 6 mois à juin 2020 (3), ne voilà-t-il pas que la famine va faire rage (4). J’aime encore être ici. Pour le moment.

Et si on était né en Inde et que l’on avait été un des 9.1 millions de dévots au Kumbh Mela de Haridwar en mai, sur les berges du Gange, qu’aurions-nous pensé, nous les habitués, parfois insatisfaits, du ministre Jugatpal, du Dr Gaud et du Dr Joomaye, de l’affirmation du nouveau chef ministre de l’Uttarakhand, M. Tirath Singh Rawat, qu’avec la bénédiction de Maa Ganga, il n’y aurait pas de coronavirus ? Et quelle aurait été notre réaction en apprenant que des corps, par dizaines, flottaient, plus récemment, sur les berges du Gange, ou que d’autres corps, par centaines, étaient enterrés dans les bandes sablonneuses des mêmes rives, les moyens de les brûler ayant fait défaut, la vague de mortalité Covid ayant fait grimper le prix des bûchers ? (5) J’aime encore me trouver ici. Pour le moment.

Votre karma aurait pu tout aussi bien vous mener en Chine où, selon le South China Morning Post, 12 millions de tonnes de céréales sont pollués aux métaux lourds chaque année, où 20 % des échantillons de terre des fermes céréalières n’atteignent pas les standards requis par l’Académie des sciences chinoise. Et même si de gros efforts sont faits contre la pollution de l’air et de l’eau, comment aurions-nous réagi en sachant que 16 % de l’eau est de Grade I (eau de source et de réserves naturelles) et que seulement 67 % est de Grade II et III (eau potable de divers grades) ? J’aime encore me trouver ici, dans ce pays moins industrialisé. Pour le moment…

Dans le partage grossièrement inéquitable des vaccins contre le coronavirus, 80 % des 4 milliards de doses administrées jusqu’ici étant canalisés vers les pays aux revenus plus élevés représentant moins de 50 % de la population mondiale, selon le Dr Tedros, directeur général de l’OMS ; ne sommes-nous pas contents d’être sur le «bon versant de la montagne», même si nous aurions dû avoir, un peu, mauvaise conscience ?(6)

Nous n’avons pas été en Australie, en Californie, en Amazonie(7), au Canada, au Kamchatka, en Turquie du sud, ou à la périphérie d’Athènes pour affronter des feux de brousse autrement plus graves que d’habitude à cause, entre autres, de sècheresses hors norme les ayant précédés. Ni n’avons-nous été en Allemagne, à Zhengzhou en Chine, à Mumbai, à Dehli, en Hollande, dans l’Utah ou en Louisiane où, au contraire, c’est le trop de pluie qui emportait tout sur son passage. L’accélérant ? Le changement climatique ! J’ai aimé me trouver ici, à ce moment-là.

******

Ici, nous n’avons que des problèmes simples, parfois même stupides et encore relativement faciles à régler. Pourvu qu’il y ait moins de visières, moins d’étroitesse d’esprit, moins d’ego surdimensionnés, plus d’ouverture, de transparence, de désir sincère de travailler pour le pays plutôt que pour soi-même, son pouvoir, son cabas…

Il suffirait de faire moins de gaspillage, d’être plus productif, de se débarrasser d’un speaker qui dénature la démocratie parlementaire, de ne plus acheter des avions dont Air Mauritius n’a pas besoin, comme les deux A330neo commandés en décembre 2016 ; de ne plus laisser se propager l’affairisme éhonté - style Pack & Blister ou Dilwil dan zorey -, de stopper le népotisme immédiatement et de faire retour vers la méritocratie. Il suffirait de renouer avec l’indépendance véritable de nos institutions (ICAC, BoM, Police, FSC pour commencer), de ne pas traiter la population de bourriques en refusant de publier le rapport de la Banque mondiale sur le sucre, ou celui de l’accord sur Agaléga ou en refusant de partager les conséquences chiffrées d’une folie comme la CSG sur les 50 prochaines années ; de mentir moins ; de cacher moins ; de mieux éduquer ; de mieux expliquer. Il faudrait pouvoir couper la tête aux mafias de la drogue et du jeux, mettre un terme final aux projets de prestige qui ne rapportent que peu, voire qui nous coûteront la peau des fesses ; de cesser de rêver au monumental qui tape à l’œil – comme la folle tour de 50 étages labellisée «World Trade Center» et de s’occuper de vrais problèmes , comme la productivité du port, la reprise du tourisme, la crédibilité de l’offshore, l’accueil des étrangers porteurs de valeur ajoutée à la place, d’une natalité revigorée et surtout la qualité et le sérieux de l’éducation nationale – la véritable mère nourricière de nos prétentions de lendemains meilleurs !

Hmmmm… !

À la réflexion, j’aime encore mieux être ici, c’est sûr, mais ce n’est surtout PAS une raison pour accepter ce qui y va mal et ne pas continuer à se battre pour que ça aille mieux !


(1) https://www.baltimoresun.com/news/ bs-xpm-1997-01-16-1997016056-story.html (2) https://www.france24.com/fr/20201004- madagascar-la-tisane-miracle-d%C3%A9clin% C3%A9e-en-g%C3%A9lules-contre-le-covid-19 (3) https://www. mesvaccins.net/web/news/15840- evolution-des-epidemies-a-madagascar-en-2020 (4) https://www.jeuneafrique.com/1202025/ politique/famine-a-madagascar-le-cuir-de-la-discorde/ (5) https://www.aljazeera.com/news/2021/6/2/ poverty-stigma-behind-bodiesfloating-in-indias-ganges-river (6) Selon une classification du New York Times, l’ile Maurice a un taux de vaccins de 98 pour 100 habitants et se classe 37e mondial, loin derrière Singapore (136/100, 6e), mais avant Hong Kong (79/100) ou le Japon (73/100). Notons qu’il faut, théoriquement 200 vaccins administrés par centaine d’habitants pour être « totalement » vacciné comme pays. On peut discuter de la qualité des différents vaccins à satiété, mais, à l’autre bout de ce classement, on retrouve …54 pays avec un score de moins de 10 vaccins administrés/100 habitants pour lesquels on pourrait avoir mauvaise conscience (7) https://news.mongabay.com/2021/08/ more-than-250-major-fires-the-amazon-this-yeardespite-burning-ban-in-brazil/