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ICTA : Who’s being annoyed?

14 août 2021, 13:30

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Case OB 831/2021 - CCID - Breach of ICTA.

“You are requested to call at the Special Cell, CCID, Line Barracks (…) for enquiry in connection with above-mentioned case and to bring along your National Identity Card. You may be accompanied by your legal counsel, please.

S. Gukhool
Superintendent of Police
Central CID.”

J’ai reçu cette invitation jeudi soir pour le lendemain matin. J’étais agréablement surpris puisque cela fait un bout de temps depuis que le CCID ne m’invite plus à grimper les marches grinçantes qui mènent à ses officines, même si les limiers viennent régulièrement me rendre visite, au bureau, à Riche-Terre, pour toute une série d’enquêtes, les unes plus rocambolesques que les autres, sur nos articles, mes journalistes et moi-même. Par la force des choses et au fil des affaires, les enquêteurs sont devenus des amis, des vielles connaissances, dont Heman Jangi lui-même, rencontré durant une vie précédente à Washington, DC, quelque temps avant qu’il ne prenne sa retraite et revienne en force comme consultant à la tête de la brigade criminelle. 

Mais comme j’avais d’autres engagements hier et que mes collègues Villen Anganan et Narain Jasodanand s’étaient déjà rendus au CCID, cette semaine, pour la même affaire, et qu’ils en sont revenus sans qu’aucune charge, même provisoire, ne soit logée contre eux, le CCID a gentiment accepté de me laisser libre ce week-end et de m’interroger en début de semaine, probablement mardi. L’enquête policière, initiée par cette Special Cell du CCID, fait suite à une plainte de l’homme d’affaires Vinash Gopee, dont le nom a été cité comme l’un des bénéficiaires de la Mauritius Investment Corporation, filiale de la Banque centrale qui aide l’économie, les groupes et activités «systémiques» et sauve les emplois. M. Gopee, qu’on dit très proche du pouvoir, estime qu’en publiant un article basé sur de «fausses informations», on aurait «terni sa réputation, son image et son intégrité». 

C’est son droit de faire appel à la justice. Il y a des lois précisément pour cela. Mais qui lui a conseillé de ne pas brandir les lois relatives à la presse et d’évoquer, à la place, une soi-disant «Breach of ICTA» ?

D’ailleurs, la police n’a pas été en mesure de dire à nos deux journalistes si l’affaire serait liée à l’article 46 (h) (ii) de l’ICTA, qui stipule que toute personne qui, en utilisant un moyen de télécommunication, «(ii) … causes annoyance, humiliation, inconvenience, distress or anxiety to that person» commet un délit. C’est la première fois que cette loi, qui est utilisée normalement contre des citoyens-internautes, est utilisée contre la presse. Le gouvernement avait dit que c’était pour contrôler les dérives sur Internet, mais ne nous avait pas dit que cette nouvelle loi serait utilisée contre les journalistes par le CCID après une plainte de Vinash Gopee ! 

Intéressant… 

N’oublions pas qu’il n’y a pas longtemps, une cinquantaine d’organisations internationales – qui condamnaient, sans réserve, l’infâme Consultation Paper on proposed amendments to the ICT Act for regulating the abuse and misuse of social media in Mauritius – avaient mis en avant ceci : «We call on the government and ICTA in particular to retract the consultation paper, which proposes radically disproportionate measures to counter offensive speech on social media and presents a threat to human rights – specifically, the rights to privacy and free expression including press freedom. If it is sincere in its desire to uphold human rights and democratic principles, the government can explore more proportionate and rights-protective measures, appropriate to the context of a free society, for the regulation of illegal conduct on social media.»

De mémoire de journaliste, jamais autant d’«international allies and advocates for freedom of expression including press freedom and human rights» s’étaient engagés collectivement et de manière aussi spontanée face à une dérive autocratique de Maurice. Toutes les forces qui luttent pour la démocratie avaient compris le besoin de tuer dans l’oeuf le projet de l’ICTA. 

Plus récemment, le 27 mai, les juges K. D. Gunesh Balaghee et David Chan Kan Cheong, de la Cour suprême, dans un jugement motivé dans le cas de «Seegum v The State of Mauritius» (2021 SCJ 162), ont renversé le jugement de la cour intermédiaire, qui avait condamné le syndicaliste Vinod Seegum pour entorse à l’ICT Act lorsqu’il avait posté des commentaires à l’encontre d’un certain J. et la soeur de ce dernier. Vinod Seegum était représenté par le Senior Counsel Me Antoine Domingue.

Les juges de la Cour suprême ne sont pas passés par quatre chemins pour déclarer l’article 46 (h) (ii) de l’ICT Act anticonstitutionnel. Même si c’est l’ancienne loi de l’ICT qui a été blâmée par les juges, la nouvelle loi semble aussi être concernée puisque le terme «annoyance» y figure aussi. Cependant, les juges ont déclaré qu’ils ne se prononcent pas sur la constitutionnalité de cette dernière. On posait alors la question : les autorités utiliseront-elles quand même cette nouvelle loi avec le délit de «causing annoyance»

Les juges l’ont dit noir sur blanc : le délit de «causing annoyance» est trop vague et incertain tel qu’il est décrit dans l’ICT Act de 2003. Ils ont rappelé que toute loi doit contenir une certaine précision pour que le citoyen puisse savoir quel acte pourrait être illégal ou non. 

«Since no person may invoke ignorance of the law as an excuse, he is entitled to be informed beforehand by the clear and precise language of the law which act or omission on his part would render him liable to criminal sanction.»

Les juges rappellent que dans l’ICT Act de l’Angleterre, il faudrait d’abord prouver qu’un accusé ait envoyé un message qu’il sait faux ou envoyé de manière répétitive, alors qu’en Inde il faudrait que ces deux conditions soient réunies pour qu’il y ait délit. Mais en vertu de l’ICT Act à la sauce mauricienne, il suffit d’un seul message, de plus il n’est pas nécessaire de prouver que l’accusé savait que le contenu du post était faux. Donc, à Maurice dès qu’un message au contenu même véridique est posté sur les réseaux sociaux, il y a délit s’il cause «annoyance». La Cour suprême souligne aussi que contrairement à l’Angleterre, le terme vague d’«annoyance» n’est pas explicité dans quelque guideline séparée ou dans la loi elle-même. Selon les juges, le terme «annoyance» veut tout simplement dire «make a little angry»pas de quoi fouetter un chat quand on jongle avec des centaines de millions puisées des réserves du contribuable ? 

La précision de la loi est d’autant plus importante qu’elle concerne le principe de la liberté d’expression qui risque de souffrir s’il est permis d’interpréter la loi d’une façon extensive. Le Conseil des ministres a pris note du jugement, mais on dirait que le CCID, lui, n’est pas bien au courant… ou doit juste «fer nou travay, parski lord vinn dépi lao», selon la formule consacrée...

PS : Maintenant que j’y pense, peut-être, en effet, qu’en questionnant où va l’argent public, cela peut soulever des vagues d’«annoyance» chez certains…