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Le retour des talibans
Kaboul et Afghanistan sont tombés dimanche. Les talibans ont patiemment attendu leur heure avant de marcher sur la capitale et prendre leur revanche sur l’histoire. Ils avaient promis qu’ils ne déposeraient jamais les armes, que leurs générations futures allaient prendre le relais s’il le fallait, et que l’histoire se devait de changer car les Américains, malgré leur superpuissance, ne pouvaient pas s’éterniser dans une guerre sans fin : «You have the watches, we have the time.»
Les talibans sont entrés, tranquillement, à la faveur de la nuit, sans livrer combat, dans le château présidentiel, vide. Les dirigeants avaient déjà capitulé, et déguerpi, laissant la population, seule, face aux extrémistes. Mais les talibans, drôlement calmes, rassurent et évoquent une transition pacifique, même si l’opinion ne les croit pas trop et redoute l’application générale de la charia.
La faillite des forces de sécurité afghanes, financées et formées par les États-Unis pendant 20 ans, vient compliquer la donne sur l’échiquier international et ouvre une nouvelle faille géopolitique. Nombre d’observateurs ne s’attendaient pas à ce que les talibans reviennent au pouvoir, aussi vite, et surtout aussi facilement, même s’il fallait s’y attendre.
Dans les rues de Kaboul, le retour sur scène du mouvement des Mollah est perceptible. Le gros des diplomates étrangers fuient le pays, sauf les Chinois, Russes, Pakistanais et Iraniens et d’autres régimes totalitaires qui souhaitent bâtir des relations diplomatiques avec les nouveaux acteurs. Les commerçants recouvrent docilement les publicités qui montrent des visages de femmes. Certains métiers seront jugés incompatibles avec la loi islamique. La peur s’installe dans les foyers : est-ce que les filles pourront continuer leur scolarité sans risquer des représailles…
Le monde occidental essaie de comprendre pourquoi tous ces milliards de dollars et les différents sommets tenus pour soutenir la partie afghane (Hamid Karzaï puis Ashraf Ghani) ont échoué. Personne n’en parle ouvertement, mais «le retour des talibans» donne froid dans le dos.
Le monde a changé depuis les attentats de 2001. La guerre déclarée, sur les débris du World Trade Center, contre le terrorisme s’est muée en une guerre permanente, à durée indéterminée, contre des ennemis inconnus et asymétriques. Des lois d’exception dans le droit commun ont été introduites avec l’assentiment de la population au nom de la sécurité transnationale. Comment passer sous silence le double jeu politique du voisin de l’Inde, le Pakistan qui, d’une main, assurait les Américains d’une collaboration et de l’autre caressait le mouvement fondamentaliste des talibans dans le sens du poil, afin d’élargir sa sphère d’influence dans la région. C’est la stratégie de la «caste» militaire qui dirige le Pakistan. Et qui vit de la guerre, comme de nombreux autres faucons.
Avec la chute de Kaboul, d’autres problèmes préoccupants émergent : la drogue dure (qui vient jusqu’à chez nous en passant par l’Afrique) et la corruption institutionnalisée. La chute d’Afghanistan, au-delà de l’histoire, va nécessiter une relecture de la carte géostratégique. Les «talibans» (taleb en arabe signifie «étudiant»), issus d’une longue tradition de guerre civile, qui avait démarré après le départ de l’armée soviétique en 1988, sont des enfants de la guerre pour qui la forme de l’État ou du gouvernement n’a aucune importance. Ce qui compte pour eux, c’est le respect de leur loi divine et l’abandon de l’État laïc qui tolère le droit à la différence. Les prochains jours seront terribles dans ce vaste pays où vivent une quarantaine de millions d’âmes…
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