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Losing battle

24 août 2021, 17:00

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Avez-vous déjà vu le chaos ? À l’image des milliers de personnes «déshydratées et terrifiées» qui convergent, ces jours-ci, vers l’aéroport de Kaboul. Beaucoup sont sans passeport et sans argent mais ils s’accrochent à l’espoir de fuir le régime des talibans ; certains s’accrochent aux ailes des avions qui décollent au milieu d’une marée humaine, sachant fort bien qu’ils vont bientôt tomber et mourir. Mais ces martyrs modernes veulent nous envoyer un SOS. En dehors de l’aéroport, toujours sous le contrôle des marines américains, des soldats arrosent la foule avec un tuyau d’arrosage, pour rafraichir ceux qui n’ont rien bu ou mangé depuis plusieurs jours. Le ministère britannique de la Défense a annoncé que sept Afghans au moins sont morts hier avant même d’arriver aux portes de l’aéroport. Piétinés. Pardessus des fils barbelés, un bébé en pleurs est exfiltré. Les parents ont demandé aux marines de s’occuper du bébé parce qu’il est malade et que son avenir est obscur, mais les grilles ne vont pas s’ouvrir pour les parents. La déchirure est terrible pour la majorité des Afghans. 

Ces scènes affligeantes provoquent des réactions. La Chine, voisine de l’Afghanistan, a accusé les États-Unis de «laisser une terrible pagaille» avec leur retrait de l’Afghanistan, alors que Joe Biden maintient que la mission de Washington n’a jamais été de «bâtir une nation» démocratique en Afghanistan, mais «d’empêcher une attaque terroriste sur le sol américain».

«En Irak, en Syrie et en Afghanistan, ce qu’on a vu c’est une armée américaine qui laisse en partant des troubles, des divisions, des familles dévastées et décimées. La puissance et la fonction des États- Unis, c’est de détruire, pas de bâtir», a rétorqué une porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, qui commentait le bilan humain de deux décennies d’intervention américaine en territoire afghan. 

Davantage qu’auparavant, la question va se poser : les États-Unis doivent-ils continuer à jouer aux gendarmes du monde ? Le pays de l’Oncle Sam, qui s’est approprié ce rôle depuis sept décennies au moins, a connu des hauts et des bas, redessinant ainsi la carte géopolitique. Mais la tendance s’inverse. Le retrait de l’Afghanistan marque une réduction des engagements US à travers le monde. Plusieurs facteurs sont à l’origine de ce changement de paradigme dont, bien évidemment, une dépendance moins importante sur les réserves pétrolières de l’Asie centrale et du Moyen-Orient – en raison de l’industrie croissante du gaz de schiste sur le territoire américain. Le Covid-19 fait aussi pencher la balance vers moins d’interventions coûteuses à l’étranger.

D’aucuns craignent qu’avec le retrait de la puissance américaine sur la scène mondiale, couplé à l’affaiblissement de l’Union européenne (UE), les migrations seront impactées et le terrorisme se déchaînera. C’est indéniable que sans Bretton Woods, Washington, DC et l’UE, la migration sera beaucoup plus difficile, dangereuse et exorbitante. Les voyages redeviendront un privilège, un luxe.

Autre impact, cette fois-ci maritime. Quand les États-Unis arrêteront de patrouiller sur les principales voies navales, l’OMC et l’Organisation mondiale du tourisme, d’autres pays ou l’industrie du voyage devront assurer la sécurité maritime. C’est assez coûteux. Les frais de voyage individuels augmenteront et peu de personnes pourront se permettre d’aller à l’étranger. Le tourisme va souffrir forcément. 

*** 

Il n’y a pas à sortir de là. Le retour des talibans est incontestablement une défaite pour l’Administration Biden et une éclatante victoire pour les djihadistes du monde entier. Sauf qu’au-delà de la propagande djihadiste qui déferle sur les réseaux sociaux, il faut savoir que les talibans, l’État islamique (EI) et Al-Qaïda sont en fait des groupes terroristes islamistes qui ne s’entendent pas forcément entre eux, encore moins en termes de doctrine ou de stratégie. De profondes divergences les opposent. Dans le Sahel, par exemple, les spécialistes du contre-terrorisme ne posent plus, depuis une dizaine d’années, la question si tel ou tel pouvoir est islamiste. Ils le sont quasiment tous. La vraie question est de savoir quel est le groupe islamiste dominant parmi les différents groupes qui s’affrontent sur les théâtres des trafics illicites. 

Si l’EI et Al-Qaïda veulent avant tout défier et détruire la culture occidentale qui est perçue comme une menace pour l’islam, les talibans, quant à eux, s’avèrent des djihadistes radicaux qui restent focalisés sur la transformation de l’Afghanistan en un émirat islamique sur la base des principes religieux et des traditions tribales pachtounes. Les talibans sont eux-mêmes divisés. Fait notable : les talibans afghans et pakistanais sont à la fois rivaux et alliés qui ont été en guerre.

À ne pas oublier, en revanche, que les talibans avaient donné refuge à Oussama ben Laden, qui était de ceux qui avaient fondé, vers la fin des années 80, Al-Qaïda au Pakistan, quelques mois avant le retrait des Soviétiques de l’Afghanistan. Depuis la mort de Ben Laden en 2011, Al-Qaïda a implosé et plusieurs mouvements régionaux ont vu le jour. Quant à l’EI, il s’est fait connaitre quand il a fait capituler l’armée irakienne des villes du nord-ouest de l’Irak en 2014. Les talibans ont combattu l’EI à différentes reprises depuis 2015. L’EI n’a pas hésité à défier les talibans dans leur fief après avoir créé sa filiale afghane, l’EI-province du Khorasan (ISKP). En avril 2017, l’EI a capturé trois talibans qui faisaient le commerce de l’opium le long de la frontière iranienne. La riposte des talibans n’a pas tardé : pas moins de 22 militants de l’EI ont été tués dans de violents affrontements subséquents. Par la suite, des dizaines de talibans auraient été tués par l’EI dans des combats dans la province de Kunar et dans les cavernes de Tora Bora. 

Mais les talibans soufflent le chaud et le froid. Ils ont compris qu’il faut simplement dire au monde ce qu’il veut entendre. Si dans l’accord de paix de Doha avec Trump, les talibans ont promis de ne pas tolérer la présence d’organisations terroristes islamistes en Afghanistan, dans la réalité, le monde est moins noir ou blanc, il y a des nuances qui échappent aux observateurs et à la presse mondiale. D’où l’importance d’éviter les stéréotypes qui peuvent déchirer davantage l’humanité. 

La vérité historique c’est, un peu, une losing battle avec les réseaux sociaux et le fait que chacun est un journaliste ou éditeur À lire les commentaires d’ici ou làbas sur l’Afghanistan et notre monde, il est manifeste qu’il y aura toujours beaucoup d’ignorants pour répéter les faussetés idéologiques, qui finissent par devenir historiques. La tendance ne s’inversera-telle jamais, malgré les ressources décuplées de l’information et de l’instantanéité ?