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Services gouvernementaux performants
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Services gouvernementaux performants
Afin de moderniser le service civil local, le ministère du même nom fait la promotion d’un Performance Management System (PMS) depuis 2006, articulant ainsi sa recherche d’un «professional public service committed to excellence». À lire le manuel qui explique le pourquoi et le comment de ce système et, surtout, comment remplir le formulaire qui va statuer sur la performance, tous les concepts clés et tous les acronymes nécessaires sont déjà établis dans le système depuis des années déjà. Les KRA, les KPI, les PAF et autres PIP (*) sont répertoriés, expliqués et justifiés. Le PMS, régulièrement mentionné comme une réforme nécessaire par de nombreux rapports PRB depuis 1993, est présenté comme le pendant naturel du Programme-Based Budgeting (PBB) qui s’installe, lui, de son côté.
Je ne me souviens pas d’avoir vu ou lu un rapport d’évaluation dudit système PMS, expliquant au moins les triomphes et les insuffisances de cette initiative qui a pourtant marqué de nombreuses entreprises et mené à de profondes transformations de la culture d’entreprise, quand géré correctement et mené à terme. On peut soupçonner que cela n’a pas dû être facile et qu’il y a eu de la résistance, ce qui est normal, car tout changement au statu quo, encore plus quand implémenté de manière partielle ou inégale, engendre inévitablement des craintes et des réactions. Surtout de ceux qui se sentent menacés dans leurs petites habitudes molles et qui finiront tous par se faire entendre par leur syndicat. Je ne me souviens pas d’avoir beaucoup entendu les syndicats du service civil non plus, mais c’était il y a longtemps et ce qui semble certain, c’est que le PMS avait, au moment d’un article paru dans l’express du 8 février 2012, déjà largement confronté leur négativisme. L’express rapportait alors, en effet, que «les syndicats du service public sont unanimes. Il faut en finir avec le PMS car il ne fonctionne pas», ajoutant que le président de la GSEA, Radhakrishna Sadien, qui venait juste de soumettre un rapport de quatre pages au gouvernement sur ce sujet, estimait que «c’est un système répressif qui empêche les fonctionnaires de travailler correctement», affirmant, sans pièces à conviction, que la «fonction publique a évolué sans l’apport du PMS» et estimant tout de go qu’il n’y a d’ailleurs «aucun moyen de calculer et de quantifier le travail des fonctionnaires» !
La dernière référence du PMS de la fonction publique que l’on trouve dans les journaux locaux, est à mettre au crédit du ministre Moutia qui tentera de vendre l’esprit de cette initiative dans un discours, le 20 mars 2013, à une salle «bondée de fonctionnaires responsables des ressources humaines dans les ministères, agences et départements du gouvernement», selon Le Mauricien du jour. Qualifiant le PMS de «l’initiative la plus audacieuse du gouvernement» pour la réforme du service civil, le ministre en vantait les mérites face à l’opacité des «confidential reports» qui précédaient, mais il ne sut apparemment pas convaincre puisque le PMS disparaissait quelque temps après. Et ce, malgré le fait que dans le Pay Review de 2013, chapitre 7, on prenait conscience des retards accumulés par le PMS, mais en insistant, malgré tout, pour tout compléter avant décembre 2013…
Si vous allez aujourd’hui sur le site Web du ministère de la Fonction publique, vous apprendrez que le ministre actuel a «achieve the highest number of votes as an independent candidate at the 2014 general election», mais vous n’y trouverez plus aucune trace du PMS. À la place, un nouvel acronyme, le PSBTS (Public Sector Business Transformation Strategy), échafaudé avec l’aide du Commonwealth Secretariat et approuvé par le gouvernement en octobre 2017. Le PSBT Bureau est mis sur pied 19 mois plus tard, en mai 2019. Nous aurons aussi éventuellement droit à des TIC (Tranformation Implementation Committees) pour chaque ministère et chaque département, un NPRC (National Planning and Results Committee) et un High Powered Committee (HPC) sous la présidence du Secrétaire du Cabinet et du Chef de la fonction publique qui va en répondre au Premier ministre. Parmi les 10 piliers d’implémentation du PSBTS, on trouve, en 7e position, le mot qui pourrait gêner sans doute, c’est-à-dire le mot «performance», qu’il faudra sans doute définir, mesurer et utiliser pour motiver, comme sous le PMS… après tout ? On n’y échappe décidément pas ! Embêtant pour ceux qui craignent que leur ‘mérite’ ne fasse pas le poids…
«Pendant que nous nageons toujours dans les tourbillons du statu quo, notons que 56 % des pays de l’OCDE ont un système de Performance Related Pay (PRP) même pour ses plus hauts échelons, alors que dans 53 % de ces pays, de mauvaises performances peuvent mener à un licenciement pur et simple»
Pendant que nous nageons toujours dans les tourbillons du statu quo, notons que 56 % des pays de l’OCDE ont un système de Performance Related Pay (PRP) même pour ses plus hauts échelons, alors que dans 53 % de ces pays, de mauvaises performances peuvent mener à un licenciement pur et simple (1). La plus grande difficulté du système (comme dans le secteur privé, d’ailleurs) semble être que ceux qui font les rapports – qui doivent d’ailleurs être communiqués et discutés ouvertement avec les subalternes – trouvent très difficile de noter qui que ce soit négativement, voulant généralement éviter de possibles confrontations ou même des impairs, vu les ‘connexions’. Or, la solution est connue : il faudrait, dans ces cas, insister pour que les annotations des départements ressemblent un peu plus à la courbe ‘normale’ de Gauss, faute de quoi, tous les employés seront jugés ‘excellents’ ou ‘très bons’ (ce qui est théoriquement possible, même si improbable…) ; le résultat étant alors qu’il est difficile de différencier en faveur de la ‘bonne performance’ et donc de motiver !
Notons, de plus, que sous le PRP, il est maintenant possible de réduire les salaires en fonction de la situation macroéconomique et que dans 29 % des pays de l’OCDE, c’est ce qui s’est effectivement passé entre 2008 et 2013 dans le sillage de la crise financière ! Chez nous, par contre, les syndicats semblent penser que la situation macroéconomique, ce n’est pas leur problème et que si un politicien «a dit», un jour ; rien au monde ne saurait remettre cela en question… Les politiciens vont-ils céder, une fois de plus, à la solution facile, au choix qui ne vexe personne, sinon, éventuellement, le contribuable ?
Ajoutons à cette sauce épaisse de la «performance», qui est pourtant absolument cruciale à la productivité nationale et donc à l’avenir du pays, l’indice de la Banque mondiale intitulé Government Effectiveness (1) qui capture les perceptions de la qualité des services publics, qui mesure la qualité du service civil, son degré d’indépendance face aux pressions politiques, la qualité de ses recommandations et de leur mise à exécution et, finalement, la crédibilité de l’adhésion du gouvernement à ces recommandations. L’indice accorde un score consolidé sur une courbe de distribution normale standard, entre -2,5 et +2,5.
En 2019, Maurice score plutôt bien à +0,9, comme Malte ou la République tchèque. Cependant, notre service public se classe après Brunei (+1,3), les Bermudes (+ 1,4), les îles Caïmans (+1,2), le Chili (+1,1), l’Estonie (+1,2), la France (+1,4), Hong Kong (+1,7), les îles Jersey (+1,2), la Malaisie (+1,0), La Réunion (+1,1), la Grande-Bretagne (+1,4), les États-Unis (+1,5) et le champion mondial, cinq ans de suite, Singapour (+2,2), après ses 60 ans de réformes continuelles du fonctionnariat, toutes basées sur la performance et donc la méritocratie (2) !
Plus inquiétant pour nous, notre score se détériore de 1,1 en 2015 à 0,9 en 2019.
Et si c’était un brin plus logique de seulement publier le PRB quand nous aurons retrouvé notre ‘perchoir’ abandonné de 2015 ?
(*) Key Result Area, Key Performance Indicator, Performance Appraisal Form ET Performance Improvement Plan respectivement.
(2) https://databank.worldbank.org/reports.aspx?source=1181&series=GE.EST
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