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Retraite et retour en arrière

5 septembre 2021, 09:28

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D’autre que moi auront rappelé la démarche désastreuse de la State Trading Corporation (STC) avec le lait AMUL en 2005. Il n’y a aucune raison de trop épiloguer ici sur les raisons ayant mené la STC à sortir de ce marché ; le ‘acquired taste’ des Mauriciens pour leur lait de vache, ayant rapidement eu raison du lait, pourtant moins cher, que l’on disait être trait de ‘water buffaloes’ indiens. Et tant qu’on y est, toujours avec le désir de protéger le consommateur au mieux, on ne va pas, non plus, épiloguer sur les bienfaits d’avoir enterré Desbro et d’avoir intronisé Samlo à la place. Le Mauritius Standards Bureau veille d’ailleurs au grain !

Mon propos aujourd’hui est une modeste réaction à une modeste interview du ministre Callichurn sur le sujet du lait en poudre et de son importation possible par la STC. Je le cite : «… l’exercice d’appel d’offres (de la STC) a été restreint au marché néo-zélandais», ce qui montre que le ministre et la STC ne souhaitent plus prendre de risque sur les papilles gustatives des Mauriciens, mais aussi : «Il est néanmoins malheureux que des importateurs, qu’ils soient grands ou petits, ne jouent pas le jeu de la concurrence et passent les augmentations des coûts d’importation presque entièrement aux consommateurs. Ainsi, ils se comportent en cartels. L’entrée de la STC… leur rappellera que, s’ils ne baissent pas leur prix, ils risquent de perdre leur part de marché.»

Je me sens interpellé par cette nouvelle définition du mot cartel ! Ce serait donc le phénomène par lequel une dépréciation de la roupie, ajoutée à toute augmentation de la commodité en question(1), rajoutée à une augmentation du prix du fret ne devrait pas mener tous les importateurs à avoir les mêmes réactions et à ‘passer les augmentations aux clients’ ? Je croyais jusqu’ici que c’était nécessaire pour ces importateurs de s’asseoir autour d’une table, futelle virtuelle et de comploter pour, ensemble, tondre le consommateur, pour constituer une situation de cartel. On peut supposer ici que le ministre entend par-là que tous ne devraient pas avoir la même réaction et que certains auraient dû être heureux de réduire leur marge par rapport au prix maximum, fixé par le gouvernement ? Est-ce vraiment réaliste ; ce prix maximum n’étant pas, vraisemblablement, particulièrement généreux ; surtout si, comme on peut le présumer, le ministère a bien fait son travail dans le passé, et que ce prix maximum a été finalisé, non pas pour faire plaisir à l’importateur, mais plutôt au consommateur ?

De toute manière, j’imagine la réaction en NouvelleZélande, d’où la majorité de nos approvisionnements en lait se font déjà. Personne ne sait à qui la STC s’est adressé, mais mettez-vous à la place des marques les plus connues. Elles ont sûrement déjà des contrats d’approvisionnement exclusifs avec des agents locaux ? Les Néozélandais étant connus pour leur sens de l’éthique, cela étonnerait que ceux qui exportent déjà sur Maurice, désavouent leurs engagements légaux établis, pour les beaux yeux de M. Servansingh ? Il restera donc les nouvelles marques, ce qui demandera au moins un peu de publicité, du ‘brand management’ et, de toute manière quelques risques d’adaptation gustative ; les connaisseurs m’assurant que le Régilait ou le Snowy sont aussi différents l’un de l’autre que le Johnnie Walker ! et le Ballantine’s. Allez savoir ! J’imagine bien que c’est pour cela même qu’il y a des marques, qui satisfont des goûts et des porte-monnaie différents et que tout le monde n’est pas, aujourd’hui, forcé d’acheter, faute de choix, l’omniprésente Ambassador de l’époque ?

Après le lait en poudre, ce sera l’huile comestible et puis, dit-on, s’ils sont vraiment braves, les médicaments. Selon cette logique que les marchés concurrentiels sont devenus des ‘cartels’, sous le nez de la competition commission, pourquoi s’arrêter en si bon chemin et ne pas inclure les pilchards et les chaussures, les voitures et les motocyclettes, les biscuits et les nouilles ?

En effet, la STC, qui faisait un milliard de profits en 2018, puis encore en 2019, a désormais bien besoin d’en faire plus pour rembourser au gouvernement les quelques Rs 5 milliards déjà avancées par celui-ci pour payer Betamax, comme ordonné par le Privy Council !

La question qui va donc se poser est celle-ci : faut-il faire des profits suffisants pour concurrencer les importateurs actuels loyalement ou subventionner le consommateur avec… sa plus grande efficience ?

On verra bien ce que donnera ce grand retour en arrière vers les terres du ministre Jeetah !

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J’ai écouté le discours de 26 minutes du président Biden expliquant le retrait des États-Unis de l’Afghanistan et j’ai été impressionné par la cohérence des arguments et la passion montrée pour les aligner.

L’ex-président Trump, ses alliés et les détracteurs du retrait annoncé et géré par Biden, auront fort à faire maintenant à parler d’un désastre, car la plus longue guerre des Américains – tout juste moins de 20 ans – si elle n’a pas été gagnée, n’a pas non plus été perdue et ne pouvait sûrement pas durer éternellement… Ni non plus se terminer mieux qu’avec une retraite plutôt ordonnée, sous la protection de leur… ennemi de 2001 ! Mieux, Biden choisissait, dans ce cas, d’honorer un accord de Trump avec les talibans qui assurait le retrait ordonné des Américains dès 2021, en payant le prix d’une libération de 5 000 prisonniers talibans ! Qui ont évidemment depuis rejoint ces combattants armés qui ont déferlé, depuis des mois, sur tout l’Afghanistan et finalement Kaboul.

Parmi les arguments alignés, un des plus puissants est que si les Américains ont été en Afghanistan, c’était parce que les talibans protégeaient toujours Ben Laden après le 09/11/2001 et qu’il n’y avait déjà donc plus aucun impératif stratégique à demeurer en Afghanistan après la mort de celui-ci en 2011. Les États-Unis n’étaient pas là-bas pour établir une démocratie forte. Deux trillions de dollars, 2 500 soldats US, 66 000 militaires et policiers afghans, 47 300 civils afghans, 444 travailleurs humanitaires, 72 journalistes, 1 144 soldats alliés des États-Unis, 3 850 employés d’entrepreneurs divers plus tard, tous morts, pourquoi en fin de compte, après Ben Laden ? Pour mettre en place une armée de 308 000 soldats gouvernementaux qui ne pouvaient même pas résister a moins de 80 000 talibans, une fois les Américains en retrait ?

Il est vrai qu’aucune armée au monde ne peut avoir le moral quand ses dirigeants sont mal perçus. Asraf Ghani sera toujours honni pour avoir quitté son poste et fui vers l’UEA, mais si c’était nous-même face aux talibans, nous aurions fait différemment ? Ghani n’était pas, au contraire de son prédécesseur, Hamid Karzai, un corrompu. C’était un intellectuel, un peu sec de sa personne, un technocrate qui lisait beaucoup, mais qui avait peu de charisme et de contact humain ou de savoir-faire politique et que les corrompus sous lui voulaient tous voir partir et remplacer. Lisez donc le portrait saisissant du New Yorker, de juin 2016 pour bien comprendre la situation(2).

Bien sûr qu’une fois dans le pays, les Américains se sont crus obligés de «réformer» le pays, d’affranchir et d’ouvrir des perspectives aux femmes, et de construire à leur image sous leur illusion de toute-puissance. Mais comme en Iraq ou ailleurs, cela prend bien plus que 20 ans pour opérer un changement culturel durable, surtout en pays taliban et cette idée était donc vouée à l’échec. On peut et on doit se sentir mal pour les millions de personnes qui ont cru que leur monde avait durablement changé et espérer que les talibans ne reviennent pas, selon leurs propres promesses, à toutes leurs pratiques effrayantes d’avant 2001, mais comme le dit Biden, le monde a changé en 20 ans et il est temps pour l’Amérique de s’occuper des problèmes actuels et à venir plutôt que de ceux de 2001.

Ce retrait est donc un retour sur terre. Pas pour la première fois d’ailleurs ! Demandez aux Viêt-Cong !


(1) Coup de pot : La première cargaison néozélandaise de lait en poudre devrait être un triomphe : le prix baisse depuis la pointe de 4,364$/MT atteinte le 2 mars dernier, atteignant 3552$/MT le 17 août. https://www.globaldairytrade.info/en/product-results/ whole-milk-powder/

(2) https://www.newyorker.com/ magazine/2016/07/04/ashraf-ghani-afghanistanstheorist-in-chief