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Edouard Maunick, le citoyen du monde
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Edouard Maunick, le citoyen du monde
Autant je suis heureux de participer à cet hommage, rendu, à l’un des plus grands poètes de notre pays, grâce à l’initiative de notre ami, Rama Poonoosamy, autant je déplore la frilosité d’un Etat mauricien qui n’a pas toujours su honorer, comme il le convient, ses écrivains et ses artistes, ceux-là mêmes qui lui ont souvent apporté gloire et fierté. Comme Edouard Maunick, sur la scène internationale, par ses très nombreux écrits une vie durant, et dont le professeur Jean-Louis Joubert, spécialiste des littératures francophones, disait qu’ils forment – je cite – « l’un des massifs les plus imposants de la poésie de langue française ».
Il y a mille facettes à la vie et à l’œuvre d’Edouard Maunick. Les intervenants que nous venons d’écouter ont évoqué quelques-unes d’entre elles.
Je vais ajouter, pour ma part, une autre caractéristique, peu évoquée, mais pourtant consubstantielle à son œuvre : Maunick, le citoyen du monde, l’internationaliste, l’universaliste, profondément enraciné dans le sol natal, mais également éternel voyageur, « sang debout, comme il le dit, « pour réciter sa gloire de n’être de nulle part et d’être de partout ».
Cet Edouard Maunick-là s’est fait à la fois porteur de toutes les misères du monde et chantre de toutes les fiertés du Tiers-monde. « A croire, écrivait Werner Lambersy, poète belge et un de ces préfaciers, « que d’être né dans une île vous donne le monde entier et la vie même en dépôts sacrés. »
Cette soif de l’ailleurs, Edouard Maunick l’a ressentie très tôt dans sa vie de poète. Pas seulement au moment de l’exil choisi, mais chaque jour de sa vie, une espèce de fringale de départs, la quête d’ici quand il est ailleurs, la quête de l’ailleurs quand il est ici.
Ce « délire du partir », selon ses propres mots, Edouard Maunick, l’a exprimé très tôt dans sa poésie. Françoise, muse et protectrice, nous a fait découvrir, à l’occasion de cet hommage, de nombreux poèmes inédits qui racontent les escales incessantes du poète, et qu’elle a pieusement rassemblés. Je citerai avec bonheur quelques extraits.
Déjà en 1965, après une visite au temple d’Oshun, à Oshogbo au Nigéria, qu’il découvre sur les pas de Wole Soyinka, futur prix Nobel de littérature, Edouard Maunick écrit dans « Jusqu’en terre yoruba »:
je suis de partout
je devais être d’Oshogbo
et de tous les royaumes morts ou vifs
Il est de partout en effet.
On le retrouve à Ntamara au Rwanda, indigné :
que je me détourne
de l’horrible
et du macabre
lieu de génocide
mes joues
rougissent
de confusion
et mon visage
brûle de honte
Comme il est aussi de Port-au-Prince en Haïti, révolté : il écrit :
Comment a-t-on pu
tolérer
cette misère,
qu’elle injustice…
un jour
nous réussirons
à briser
ces longues
chaînes.
Un jour
nous troquerons
désamour
contre bonjour
et la paille
contre la brique
Maunick est de Tirana en Albanie, dénonciateur ; il dit :
plus de 40 ans
a planter des bunkers
de béton
dans la terre
dans la chair
de leur terre blessée
Maunick est de Sarajevo, désemparé, il parle :
Aujourd’hui, à Sarajevo
la blessure de la ville
en guerre,
la blessure béante
et profonde
de la mort
anonyme
ombres sinistres
dernière les façades
encore debout…
Maunick est de Soweto révolté : il écrit :
ils signent ils lancent leur suicide
ils signent ils lancent arrêt de mort
combien faudra-t-il de pardon
pour ne pas les pendre tous ?
Maunick est de Rio de Janeiro, prophétique. Il met en garde :
Si l’on ne remédie pas
Aux asymétries actuelles
les riches encore plus riches
Les pauvres encore plus pauvres –
Ils reviendront un jour
à l’aube
frapper à notre porte.
Et la mort sera
de nouveau
et de l’indifférence.
Maunick est du Liban, désespéré :
dans Beyrouth se lézarde
un soleil langagier
les mots agenouillés
n’ont de sens que la cendre.
des enfants vagabonds
chorégraphient la guerre
en marelles plus cruelles
que de vraies mises à mort.
Maunick est d’Alabama, aux Etats Unis ; il annonce :
Amérique quelque chose rode autour de toi
pétri du sang de peau et de vertige
des bleues se préparent qui seront alléluias
Amérique ne force pas la naissance d’un Chaka
n’appelle pas d’étranges sortilèges
car les Nègres Amérique les Nègres vont sortir
Mais Maunick n’est pas seulement un poète militant, il le dit : « De l’île Maurice à Paris, de Paris au vaste monde, j’ai fait cent voyages qui m’ont enseigné le merveilleux des êtres, des lieux, des choses. »
Dans Désert-Archipel, Cantate païenne pour Jésus-Fleuve, il écrit aussi :
ton visage
source peut-être
de tous ces voyages
ces contrées d’exorcisme
explorées depuis les livres
je dansais leurs noms dans ma bouche
Santiago Baltimore Pernambouc
autant de cris de caresses géographes
Rwalpindi Tambacounda Salamanque
désormais bourgeons d’îles que je cueille à ta bouche
Ainsi, il est aussi du Buenos Aires des tangos enivrants :
bandonéon jardin
tango jacaranda
j’ai retrouvé violentes
mes écorces mascareignes
bandonéon créole
pour séga consanguin
C’est ainsi en ponctuant ses voyages de colères parfois, plus rarement d’éblouissements, que le poète a parcouru le monde, toujours assoiffé de voyages, toujours dans « l’urgence de conter. » Il a écrit que nous insulaires « devons courir les routes du monde, pour diminuer notre solitude ».
Le nomade Maunick a tout vu, tout ressenti, partout il a éprouvé le besoin de témoigner, de crier ses brûlures, de signifier notre déshonneur. Mais toujours, un besoin recommencé de parler qui est, dit-il, « à la fois notre vice et notre vertu » d’insulaires.
Maunick voyage souvent pour des rencontres, il ira en Martinique pour dialoguer avec Césaire, cet autre « détrousseur de la parole » avec qui il sent une parenté créole. Il ira au Sénégal poursuivre son long dialogue avec Senghor, le préfacier conquis d’Ensoleillé vif.
Plus tard, nommé Haut-Commissaire en Afrique du sud en 1994 par un gouvernement de sir Anerood Jugnauth - je suis fier d’avoir participé à cette nomination - Maunick aura le bonheur de nouer des liens amicaux avec Nelson Mandela. Il avait beaucoup écrit sur la situation sud-africaine à l’époque de l’apartheid dont son Mandela mort et vif, publié pour la première fois en 1987 dans Le Nouveau Militant.
Mais c’est d’abord en France, paradoxalement, que le poète rencontre l’Afrique. Grâce à son activité de journaliste et de producteur d’émissions à Radio France Internationale, il est appelé à parcourir les rues de Paris, magnétophone en bandoulière, à la rencontre d’une humanité africaine déboussolée mais digne. Il raconte dans Les Manèges de la Mer cette première expérience d’exilé :
je n’aime cette ville que quand je la fouille
de toutes mes forces nègres
pas une rue alors n’échappe
à la folie de mes jambes
mes ongles égratignent des soleils sur tous les parapets…
Ces rencontres bouleversent le poète et le mènent aux penseurs africains, qui animent la vie intellectuelle de Paris, les Aliouine Diop, Aimé Césaire dans il apprécie la poésie de combat, Léopold Senghor et beaucoup d’autres qui se retrouvent autour de la revue Présence Africaine pour chanter une négritude regénérée. Lui va plutôt proclamer son métissage même s’il se dit « ». Il porte son métissage comme un blason. Dans Ensoleillé vif, il écrit :
Souviens-toi de mon bonheur :
je suis bâtard de colon
petit-fils de coolie et de marron
C’est ce métissage qui fait de Maunick un poète internationaliste et un poète dans la cité. Il deviendra rédacteur en chef du bimensuel panafricain - le voyais assez souvent dans son bureau de la rue Magellan -, il intégrera plus tard des organismes internationaux, d’abord à l’Agence de coopération culturelle et technique qui gère des projets dans les pays de la francophonie, puis à l’Unesco où il sera directeur adjoint des échanges culturels et directeur de la collection d’Œuvres représentatives qui est une collection qui fait la promotion des littératures écrites dans des langues minoritaires.
Il a aussi été membre du comité international des 25 de Afrique 2000 par Kofi Annan secrétaire général de l’ONU.
Maunick reviendra, plus tard, à la presse internationale, il sera rédacteur en chef de Jeune Afrique, puis il crée et dirige, à La Réunion, une revue Vents et Marées qui se voulait le « magazine international des îles » mais qui aura une courte vie.
C’est ainsi : et nous voilà à parler du poète au passé, lui qui a si longtemps « nargué la mort », lui qui a toujours refusé de ranger ses papiers. Il convient maintenant de se taire.
En Mémoire du Mémorable…
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