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Arrivée des Indiens : divisions, sous-divisions, sous-sous…

6 novembre 2021, 09:05

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Chaque 2 novembre constitue depuis 2001 un évènement quasi sacré qu’on fête avec toutes les ressources disponibles de l’État.

Ces célébrations faisant partie d’un marketing politique bien ciblé sont organisées pour rendre hommage aux travailleurs engagés venus de l’Inde qu’on appelle aussi des coolies. C’est un terme de glorification qu’on utilisait auparavant sur les plateformes gouvernementales. Il a fallu l’énergique protestation d’un hautcommissaire de l’Inde pour qu’on cesse d’employer ce mot qu’il jugea péjoratif. Ce terme fait toujours partie du vocabulaire des insultes mais pas toutes méchantes, parfois même avec un brin d’humour et souvent pour se livrer à l’autodérision.

Contrairement à ce qu’on dit, ce choix de fêter le 2 novembre pour l’arrivée des engagés ne fit pas l’unanimité au gouvernement MMM-MSM de 2000 et nul autre que sir Anerood Jugnauth lui-même s’y opposa estimant qu’un lobby travailliste était derrière cette initiative avec ses propres intérêts en jeu. Mais comme dans le cas du deal Illovo, on n’allait pas, à cause de la couleur d’un langouti, aussi facilement «casser» un gouvernement de 54-6 qui tint bon d’ailleurs pendant tout son mandat de cinq ans.

Le problème avec ce choix du 2 novembre, c’est qu’on en exclut tous les Indiens arrivés à Maurice bien avant la date officielle de 1834. En fait, même cette date est contestée par certains historiens rigoureux qui croient que des laboureurs engagés s’étaient déjà installés dans l’île bien avant 1834 et que ces mouvements de travailleurs furent organisés par les autorités britanniques pour venir en soutien aux usiniers/planteurs déjà affectés par la dislocation du système d’esclavage.

Quoi qu’il en soit, ce qui est certain et amplement prouvé c’est que bien avant l’arrivée à Maurice de laboureurs de l’Etat du Bihar, du Sud de l’Inde et de Mumbai, l’île connut plusieurs vagues d’immigration déjà à l’époque de la colonisation française. Cela bien avant l’invasion de Maurice par les Britanniques en 1810. D’habiles marins indiens connus comme des ‘lascars’ (mot ourdou, d’origine persane, voulant dire soldat) étaient déjà actifs dans l’île à l’époque française. Venant principalement de la côte de Malabar dans le sud de l’Inde mais aussi d’autres régions côtières et même de Calcutta et parlant plusieurs langues, ces marins s’implantèrent dans un quartier connu comme Camp des Malabars au départ puis comme Camp des Lascars et enfin Plaine-Verte tout court. Le terme malabar qu’on devait plus tard utiliser à l’encontre des Biharis venus du Nord-est de l’Inde équivalait à un non-sens géographique énorme. Ce serait comme si on appellerait les Flacquois des Curepipiens.

Mais Maurice est un pays de préjugés tenaces et on divise, sous-divise et soussous- divise la population. C’est ainsi qu’on a généralement tiré un trait sur cette première vague de marins indiens qui ne furent certainement pas accueillis comme de blonds Vikings dans les salons des riches. Ils furent au contraire contraints de travailler dur pour gagner leur vie. On leur doit la construction de la première mosquée à Camp des Lascars au début du 19e siècle, avant même l’invasion britannique.

Autre injustice historique qu’on commet quand on fête l’arrivée des coolies, c’est d’ignorer, sinon de minimiser, l’importance de l’implantation des Tamouls de Madras et de Pondichéry sous l’occupation française. De grands bâtisseurs, ces immigrants du Sud de l’Inde construisirent les grands édifices de Port-Louis et aménagèrent des routes, des drains et des canaux. Ce sont eux qui construisirent les marches au point de débarquement à Port-Louis qu’on connaît comme l’Aapravasi Ghat. Ce qui est surprenant, c’est que le 2 novembre, on fait grand cas de ces marches symboliques sans qu’un orateur ne prenne la peine de saluer leurs constructeurs. Les bâtisseurs tamouls ont aussi construit la grande Jummah Mosque de Port-Louis.

Une bonne partie de ces Tamouls étaient déjà de foi chrétienne avant leur arrivée à Maurice et cela facilita leur assimilation dans la société mauricienne. On dénombrait aussi un certain nombre de Musulmans parmi ces immigrants tamouls. De nombreuses familles ont conservé d’ailleurs leurs noms d’origine comme pour rendre hommage à leurs ancêtres. Evidemment, quand les Britanniques firent venir une masse de laboureurs du Sud de l’Inde – l’Andhra Pradesh n’existait pas alors comme une entité séparée – ces nouveaux Tamouls et Télougous devinrent de loin beaucoup plus importants numériquement que ceux venus sous occupation française.

Il est malheureux que l’Etat dépense autant chaque année pour restreindre la commémoration de l’implantation indienne aux seuls ‘engagés’. Il serait pourtant tellement spectaculaire et tellement déterminant dans l’oeuvre de nation-building si on ouvrait ces célébrations à tous les Mauriciens qui ont eu des ancêtres en Inde, à commencer par les marins lascars. Dans le monde entier on démantèle actuellement tous les préjugés hérités du passé, de l’esclavagisme comme du colonialisme, pour instaurer l’égalité citoyenne. Le mouvement Black Lives Matter a créé une certaine révolution dans le monde occidental mais évidemment pas à Maurice. Chez nous au lieu de diviser, de sous-diviser, de diviser encore en petits clans de sous-castes, il est temps de reprendre cette formidable oeuvre de fabrication d‘une nouvelle Ile Maurice qui mobilisa tant de jeunes dans les années 1960 et 1970. Il faut stopper le plus vite possible l’oeuvre de division, de sous-division et d’exclusion par ceux qui croient que cela est politiquement et électoralement payant, sans réaliser l’immense tort qu’ils commettent aux générations des Mauriciens à venir.