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En guerre contre nous-mêmes

22 novembre 2021, 19:48

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En évoquant la reprise épidémique à Maurice, nos voisins entendent avant tout faire circuler l’information et protéger leur population. C’est une forme de patriotisme que de placer l’intérêt public avant ceux de groupes particuliers. Bien évidemment, ceux qui ont des visières et des perspectives étriquées ne peuvent pas concevoir le fait que la notion d’intérêt public demeure large et reliée à d’autres concepts, comme le bien public, le bien commun, l’intérêt général.

De par le monde, la pandémie se révèle un test grandeur nature. Et par rapport à la communication autour du Covid-19, nous avons souvent plaidé en faveur de la transparence du système de santé et l’accès à l’information pour la population. Car en l’absence d’une Freedom of Information Act et d’une culture de la transparence, il nous faut casser la distorsion de l’information, soit cette inégalité entre ceux qui sont bien informés (et bien vaccinés) et les autres (qui sont blâmés par les dirigeants pour l’explosion actuelle des cas).

En fermant de manière unilatérale le corridor Plaisance-Ivato, les Malgaches braquent l’opinion internationale et les touristes sur notre situation sanitaire “critique”. En révélant l’urgence de nous approvisionner en oxygène, nos confrères réunionnais feront réfléchir au moins deux fois les visiteurs de l’île soeur ou de la France qui avaient prévu de festoyer chez nous en décembre. Le gouvernement pourrait-il les blâmer pour cette mauvaise pub en faisant réagir les socioculturels ?

Si Pravind Jugnauth a choisi de laisser à Kailesh Jagutpal le soin d’être au front, Navin Ramgoolam a, lui, compris que c’est plus que jamais le moment pour lui de s’afficher et de parler aux Mauriciens qui ont besoin de réconfort. «Nous sommes en guerre», dit-il, «et seul un lockdown pourrait inverser la donne.» Le cas contraire, serions-nous contraints de faire appel à l’aide internationale ? À l’Inde, à la France, à la Chine ?

Certes, c’est une guerre contre un ennemi invisible. Mais aussi et surtout une guerre contre nous-mêmes. Et si le confinement n’est, peut-être, pas la meilleure façon – surtout sur le plan économique – pour casser la courbe de l’épidémie – et partant, éviter que les centres de santé ne débordent, c’est la seule méthode que l’on connaisse. Un bouclage de deux semaines reste, dans notre cas, le meilleur compromis possible pour rompre le cycle de propagation. Afin de ne pas avoir à choisir entre qui aura un respirateur ou pas, celui qui peut payer, ou celui qui n’a pas de sous…

En février 2020, avant le premier confinement, l’express avait imaginé le worst-case scenario : rayons de supermarché vides, rues désertes, absence de véhicules sur nos routes, hormis ceux des hôpitaux, de la police et de la SMF, dont les sirènes déchirent le silence de la nuit. On ne sort plus de chez nous, on communique par portables uniquement. On travaille de chez nous, sans nos masques qui sont désormais obligatoires dans la rue. Les enfants suivent des cours sur Zoom, Skype ou Viber – c’est une révolution à bien des égards – mais ils ne peuvent plus jouer ensemble. Les hôtels sont devenus des centres de traitement pour Mauriciens aisés qui veulent échapper aux centres gérés par le gouvernement… Ce scénario-catastrophe ne relève plus vraiment de la fiction. À l’époque, l’OMS hésitait encore à parler de «pandémie» du coronavirus. Et nous on demandait au gouvernement de Pravind Jugnauth de s’inspirer de Dale Carnegie : «Envisagez le pire qui puisse arriver, préparezvous à accepter le pire et à tirer parti du pire.» Mais les emergency procurements avaient d’autres visées, bien moins patriotiques.

À quelque chose malheur est bon! Définitivement le coronavirus – véritable Black Swan pour l’économie mondialisée – peut paradoxalement se révéler positif à bien des égards, surtout pour repenser le pays, son développement, ses rêves et projets à l’aune des engagements pris à la COP26.

Il y a urgence de «se serrer la ceinture» et de couper les grosses cylindrées, les voyages et per diem superflus. Souvent dénoncés (en vain) dans les rapports de l’Audit, les gaspillages gouvernementaux ont toujours survécu les différents gouver- nements qui se succèdent. Le coronavirus vient aujourd’hui freiner quelque peu les pigeons voyageurs (à défaut de leur couper les ailes) qui profitent de notre argent pour aller faire leur shopping aux quatre coins du monde. Qui ne connaît pas ces hauts fonctionnaires ou ces ministres qui prennent le per diem mais vont dormir sur un canapé chez un cousin lointain? Et puis l’on s’étonne que Dev Manraj ait été incapable jusqu’ici d’imposer une carte de crédit – au lieu de verser du liquide – à ceux qui abusent des voyages dits officiels. C’est connu : les profiteurs n’aiment pas la traçabilité, synonyme de transparence quand on vit aux dépens de l’argent public.

Le coronavirus a bon dos. Alors autant en profiter pour restructurer l’économie mauricienne qui est en décroissance depuis une quinzaine d’années. L’économie mauricienne et ses principaux piliers (sucre, textile, tourisme et services financiers) étaient à bout de souffle bien avant l’apparition du coronavirus.

Nous devons opérer la transformation et ajouter de nouveaux pôles de développement économique (économie bleue, énergie verte, production agroalimentaire, services financiers plus pointus, tourisme culturel, etc.) au lieu d’investir dans des activités peu productives ou obsolètes. Le public est aujourd’hui conditionné par les télévisions du monde entier pour accepter les réformes nécessaires afin de repartir sur de nouvelles bases. L’économie subit un double choc : celui de la baisse de la production et de la consommation. Et pour que l’économie reparte, il faudrait que la peur recule... Pour l’instant, en attendant le pic épidémique, elle avance.