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Scélératesses législatives

23 novembre 2021, 14:47

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Scélératesses législatives

Alors que l’attention de tout un chacun se crispe sur la crise sanitaire, sa gestion, ses victimes et son pic à venir, le pouvoir, subrepticement, glisse dans la machine législative des lois scélérates, qui sont souvent votées à la hâte, sans large consultation. Mais il ne faudrait pas que ces lois d’exception, qui répriment la presse libre et les opinions contraires (à celles du pouvoir) deviennent la norme. Ce serait un pas de plus dans la voie de l’autocratie, dépeinte par l’Institut suédois V-Dem.

Après le Cybercrime and Cybersecurity Bill, voté la semaine dernière à la faveur de la nuit, et qui prend d’une manière déguisée le relais du projet controversé de l’ICTA, notamment l’infâme Consultation Paper on proposed amendments to the ICT Act for regulating the abuse and misuse of social media in Mauritius, voici, cette semaine, l’IBA Amendment Bill, qui semble être taillé sur mesure contre Top FM et les voix et idées qui s’y expriment.

Pour la loi sur les réseaux sociaux, les commentaires anonymes, qui critiquent souvent l’action gouvernementale, ne seront plus possibles, à moins de révéler nom, âge, identité et adresse — afin de faciliter les descentes policières ? Pour celle sur les radios privées, les législateurs veulent connaître les sources journalistiques !

À l’express, nous pouvons témoigner comment la police essaie d’intimider nos journalistes par rapport à l’article 46 (h) (ii) de l’ICTA, qui stipule que toute personne qui, en utilisant un moyen de télécommunication, «(ii) … causes annoyance, humiliation, inconvenience, distress or anxiety to that person» commet un délit. Cette loi, qui devait être utilisée normalement contre des citoyens-internautes, est utilisée contre la presse. Et cela en dépit du fait que le 27 mai 2021, les juges K. D. Gunesh Balaghee et David Chan Kan Cheong, de la Cour suprême, dans un jugement motivé dans le cas de «Seegum v The State of Mauritius» (2021 SCJ 162), avaient renversé le jugement de la cour intermédiaire, en soulignant que l’article 46 (h) (ii) de l’ICT Act est anticonstitutionnel. Le délit de «causing annoyance» est trop vague et incertain tel qu’il est décrit dans l’ICT Act. Ils ont rappelé que toute loi doit contenir une certaine précision pour que le citoyen puisse savoir quel acte pourrait être illégal ou non.

Le pouvoir ayant choisi de recruter massivement d’anciens journalistes ou rédacteurs en chef pour en faire des attachés de presse, il importe de revenir sur l’élaboration et l’application de ces lois d’exception. Qui, votées dans l’émotion, ou à la hâte, octroient un pouvoir extraordinaire à l’État, à la police et au ministère public pour réprimer des adversaires politiques, avant de cibler peu à peu tous les citoyens.

À l’heure où certains anciens journalistes donnent leur avis sur un éventuel Conseil de presse (qui revient chaque deux-trois ans avant d’être enterré), il nous semble important de rappeler un fait : les rapports de la classe politique et de la presse sont malsains en général. Le pouvoir ne pourra jamais nous convaincre d’arrêter de parler des respirateurs maudits de Pack and Blister alors que nous sommes en manque d’oxygène. Le désespoir du pouvoir perdu ou de la confiance envolée rend fous nos politiciens. C’est pour cela que la presse doit se prémunir contre ceux qui veulent nous acheter pour mieux nous étouffer.