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Surpolitisation des hauts fonctionnaires

17 décembre 2021, 11:00

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Des hauts fonctionnaires qui préfèrent partir à la retraite au lieu d’aller à la police. D’autres qui sont transférés parce qu’ils refusent de cautionner des passe-droits. D’autres encore qui choisissent de se rebeller en envoyant des infos compromettantes à l’opposition et à la presse, afin de mettre au jour des affaires qui seraient restées secrètes. Mais il y a aussi ceux qui profitent du système, ayant choisi de servir le parti politique au lieu du pays.

Ce sont autant de signes que la fonction publique traverse, depuis longtemps déjà, une passe mouvementée. Surgissent alors plusieurs questions. Quelle est la responsabilité de la technocratie mauricienne dans des affaires politico-financières comme MedPoint, Betamax, Pack & Blister ou Molnupiravir ? Les hauts fonctionnaires qui opèrent dans les coulisses, dans l’ombre des politiciens, forment-ils une sorte de caste intouchable bénéficiant d’avantages hors du temps et qui préfèrent, de ce fait, caresser le pouvoir dans le sens du poil ?

Dans nombre de pays, la politisation de la fonction publique en général, et des hauts fonctionnaires en particulier, se révèle un phénomène généralisé. Même en Grande-Bretagne, qui a profondément inspiré et orienté le service civil mauricien, la neutralité des hauts fonctionnaires est mise en cause dans plusieurs cas. Là-bas comme ici, beaucoup, pour ne pas hypothéquer leur carrière, préfèrent s’écraser en mettant en avant la primauté du politique. En d’autres mots, l’administration publique se voit comme servante du pouvoir poli- tique. Sauf qu’elle piétine alors un autre principe de la démocratie, celui de l’égalité de traitement des citoyens, indistinctement.

Outre les aléas de l’histoire coloniale, la structure politico-sociale de Maurice confère aux grands commis de l’État, qui forment jalousement une bourgeoisie, ses conceptions de neutralité et de loyalisme. Selon le sociologue MaxWeber, la modernisation de l’État «signifie inéluctablement le développement d’une fonction publique bénéficiant de procédures de recrutement, de traitements, de systèmes de pension, de promotion, de formation ad hoc, s’appuyant sur la division du travail, des procédures écrites, des relations hiérarchiques qui sont dictées par la classe politique, comme jadis par la monarchie». Sur papier, la toute-puissance de l’administration dans ce schéma est contrebalancée par certains contrepoids, tels que la primauté du droit, le Parlement, les contrôles de l’Audit. Sauf que dans la pratique, l’Audit ne peut pas accéder à un dossier comme celui de Pack & Blister ou Molnupiravir si les documents ont été emportés et conservés précieusement à l’ICAC, le bouclier ultime de la classe politique et des hauts fonctionnaires. Dans son dernier rapport, l’Audit avait du reste confié son impuissance. Sans que cela n’émeuve les dirigeants, qui ont regardé ailleurs.

Qui peuple l’ICAC, la FIU, la FSC, la Banque de Maurice, Air Mauritius/Airport Holdings ou tous ces parapublics, si ce n’est des agents politiques ? La promotion et la rotation ou pas des hauts fonctionnaires qui y sont postés permettent de cerner le rapport entre fonction publique et régime politique, et d’analyser les distorsions entre les principes affichés (neutralité, indépendance, etc.) et la réalité des choses.

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À Maurice, durant les premières années de la naissance de la fonction publique, un officier anglais semait la terreur. Il s’appelait Freebairn Liddon Simpson et incarnait le symbole de la discipline anglaise de l’époque. Au fil des entretiens et discussions que nous avons eus avec des hauts fonctionnaires de l’époque, un mot s’imposait : discipline. Ainsi chaque file devait être annoté, signé, daté et rangé convenablement. «Si les fonctionnaires de l’époque étaient respectés, c’est grâce à lui», raconte-t-on.

Depuis Simpson et l’indépendance, les choses ont évolué, mais dans le mauvais sens. Les politiciens, y compris le MMM révolutionnaire de 1982, ont pris la fonction publique en otage et y ont casé leurs proches, agents, mignons et mignonnes. La Public Service Commission est elle-même surpolitisée et les recrutements et promotions continuent à suivre une logique politicienne et souvent castéiste. La corruption est devenue morale et systémique. Les tentatives de réforme sont tuées dans l’œuf.

Si la nation doit une fière chandelle aux hauts fonctionnaires qui ont permis à Maurice de sortir des limbes, elle a tout intérêt aujourd’hui à revoir tout le système, afin de rendre leur indépendance d’action et d’esprit aux grands commis et, partant, d’améliorer la transparence, l’innovation et la productivité. Pour cela, il faut avant tout dépolitiser la fonction publique et remettre la méritocratie au cœur du système.