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Diego Garcia: Un voyage chasse l’autre
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Diego Garcia: Un voyage chasse l’autre
Le «voyage scientifique» prévu maintenant dans les eaux de l’archipel au nord des Chagos, loin de Diego Garcia, n’a rien à voir avec le voyage annoncé sur un ton guerrier par le Premier ministre, il y a plusieurs mois. Ce qui avait été annoncé, en juillet 2019, était présenté comme un défi à la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Le Premier ministre avait promis aux Chagossiens que l’État mauricien affréterait un bateau pour aller à Diego Garcia sans solliciter l’autorisation des Anglais pour accoster dans l’île. Ce qui était une fanfaronnade ridicule. Il n’y avait aucune chance que les Anglais et les Américains laissent entrer un bateau dans les eaux territoriales du British Indian Ocean Territory (BIOT) qu’ils continuent à occuper militairement malgré les injonctions répétées des Nations unies depuis 50 ans. Mais les Chagossiens y ont cru. Olivier Bancoult avait publiquement déclaré que son mouvement enclenchait les préparatifs à ce voyage.
Quand le projet de voyage a été reporté, une première fois en raison des élections législatives de 2019, Bancoult s’est fait fort de déclarer à la presse que «le projet n’a nullement été abandonné». Il a même indiqué ce qui était ses «conditions non-négociable» : le bateau devra transporter des Chagossiens majoritairement, il devra se rendre dans les trois îles, Peros Banhos, Salomon et Diego Garcia. De son côté, le Premier ministre avait révélé que les Américains l’avaient mis en garde, il avait parlé de «menaces et intimidations», mais il avait publiquement réaffirmé sa détermination de conduire des Chagossiens à Diego. C’était une posture politique.
Il faut être honnête et éviter l’amalgame : le voyage qui est maintenant prévu n’a rien à voir avec ce qui avait été promis, à tort, aux Chagossiens. Selon les propres dires du Premier ministre, il s’agit maintenant d’un «voyage scientifique» qu’il a fait assortir cependant de quelques oripeaux politiques, comme la présence de Bancoult et de quelques Chagossiens, une sorte de passagers clandestins coincés entre avocats anglais et journalistes étrangers. De toute façon, la cible n’est plus Diego Garcia et le BIOT ; Anglais et Américains ont même été gentiment «informés» de l’opération, reconnaît le Premier ministre.
Ce sont maintenant les Maldives qui sont concernées dans le contexte d’un contentieux qui est examiné, depuis de nombreuses années, par le Tribunal sur les droits de la mer sur la délimitation de la frontière maritime de chaque pays. Il est vrai cependant que la source du conflit est le refus des Maldiviens à reconnaître les droits mauriciens tels que reconnus par les instances onusiennes qui condamnent l’occupation britannique de l’archipel des Chagos. Devant le tribunal, dans une objection préliminaire, les Maldives ont argué que depuis 1814 et à la suite de la création du Territoire britannique de l’océan Indien en 1965, «le Royaume-Uni n’a pas cessé de revendiquer la souveraineté sur l’archipel». Les Maldiviens ont repris à leur compte la thèse des Britanniques pourtant rejetée par les instances de l’ONU, dont la Cour internationale de justice.
Une autre objection des Maldives, portant sur le statut juridique de l’archipel des Chagos, a également été rejetée par la chambre spéciale du tribunal, qui a fait valoir que le tribunal arbitral sur les Chagos a reconnu que «sans préjudice de la question de la souveraineté, que Maurice avait certains droits relativement à l’archipel des Chagos, y compris des droits de pêche, le droit à la restitution une fois qu’il ne serait plus nécessaire à des fins de défense… De l’avis de la Chambre spéciale, cela démontre que, abstraction faite de la question de la souveraineté, l’archipel des Chagos relève d’un régime spécial dont Maurice tire certains droits maritimes». Les objections maldiviennes ont été logiquement rejetées par le tribunal, qui est lui-même un organe onusien. Le voyage organisé par Maurice a pour but d’étoffer son dossier dans le cadre des prochains échanges devant le tribunal.
La clarification faite, l’ambiguïté levée, le Premier ministre n’a pas tort de souligner la portée symbolique de cette mission dans des eaux reconnues comme mauriciennes par l’ONU. Toutefois, tant que les Britanniques occuperont Diego Garcia, tant que l’île abritera la base américaine, il serait raisonnable que nos dirigeants se refusent à ne pas prétendre faire l’histoire.
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