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Géostratégie, droit international et pistolets à eau
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Géostratégie, droit international et pistolets à eau
Pour nous rendre à Blenheim Reef, Peros Banhos et Salomon, la délégation mauricienne et les journalistes étrangers ont dû faire un long et coûteux détour. Ils n’ont pas pu partir des Maldives, pays voisin qui clairement s’aligne sur la position britannique pour nous barrer la route vers les Chagos. Le Blue de Nimes, bateau affrété à plus de Rs 22 millions par semaine selon la presse britannique, est donc parti des Seychelles, pays avec lequel nous avons pu, heureusement, rétablir des relations civilisées, après la malheureuse sortie de Pravind Jugnauth contre le président Wavel Ramkalawan (qui avait critiqué, avec raison, le niveau du Parlement mauricien). Même si nous avons eu l’assurance de Londres que ce premier voyage, éminemment politique, mais présenté comme scientifique, organisé par Maurice, ne sera pas entravé par les forces militaires américano-britanniques, il est évident que la tension dans les eaux indien-océaniques n’est pas prête de s’estomper. Tant les intérêts des États sont divergents.
Si la Cour internationale de Justice à La Haye existe, c’est précisément afin de «régler, conformément au droit international, les différends entre États». Ce principe perdure à travers un monde en perpétuelle mutation, d’où les jeux d’alliances qui se nouent et se dénouent au gré des intérêts des nations à court, moyen et long termes.
Sur le dossier des Chagos, audelà de l’incontestable dimension humaine et des actions diplomatiques et juridiques portant sur la souveraineté ou d’autres aspects, on ne peut occulter de l’analyse l’importante question géostratégique – la géostratégie, qui est une branche de la géopolitique, focalise essentiellement sur les implications politiques et guerrières de situations géographiques (ressources naturelles, espaces frontaliers, espaces maritimes).
On peut voir l’archipel des Chagos et le conflit frontalier avec les Maldives de multiples perspectives. Mais minimiser la localisation géopolitique ou l’aspect géostratégique serait se priver de la pleine compréhension des multiples enjeux stratégiques, dont plusieurs font tourner le monde. Ce serait aussi passer à côté d’énormes intérêts entourant le combat mauricien. L’archipel, démembré de notre territoire avant notre indépendance, baigne au cœur de l’océan Indien, au milieu d’un espace maritime de 75 millions de kilomètres carrés, où doivent inévitablement passer les pétroliers du Golfe. Cette mer, qui n’est pas close, et où l’Europe rencontre à la fois l’Afrique et l’Asie, est bordée de 36 États (dont l’Inde, l’Afrique du Sud et l’Australie). Le géant chinois, présent via le couloir de la mer de Chine, a aussi depuis longtemps des vues sur la région.
Après avoir échoué dans leur tentative de mettre le grappin sur l’atoll d’Aldabra des Seychelles – sauvé par ses tortues et ses dirigeants politiques, comme aimait le rappeler l’ancien président Albert René –, les Américains ont jeté leur dévolu sur Diego Garcia pour implanter une base militaire. Ils voulaient surtout se frayer une place dans le berceau des civilisations africaine, indienne, arabe et chinoise au début de la guerre froide. Et ce, avec le soutien de la Grande-Bretagne, aujourd’hui encore son allié indéfectible, surtout après le Brexit.
L’archipel, vidé de ses habitants, repeuplé par des milliers de militaires, est aujourd’hui un véritable pivot des forces aéronavales pour toute intervention vers le MoyenOrient et l’Asie centrale. Il sert également de centre de surveillance des communications et de l’espace de cette partie cruciale du monde. «This is a strategic position and it will be used for the defense of the West», ont souvent répété plus d’un dirigeant britannique, de Harold Wilson à Margaret Thatcher.
Depuis les attentats terroristes de 2001, «Rebuilding America’s Defense» est devenu l’un des documents clés du Pentagone. Et il se résume ainsi : moderniser les armées et les infrastructures militaires – ce dont d’ailleurs une poignée de Chagossiens ont pu constater, les yeux ahuris devant tant de chantiers, lors de leur brève escale d’avril 2006, à Diego Garcia. Et même après AlQaïda, les Américains ne comptent pas lâcher prise, ayant l’État islamique et d’autres organisations terroristes, les pirates somaliens, quelques factions afghanes, syriennes et pakistanaises, entre autres, dans le viseur…
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Quand les États occidentaux modernes se sont formés, a été posé comme principe que les gouvernements avaient pour vocation de servir l’homme, et que la vie de l’homme était orientée vers la liberté et la recherche du bonheur, mettait en avant Alexandre Soljénitsyne, écrivain d’origine russe, qui a raflé le prix Nobel de la littérature en 1970. L’Occident s’est choisi l’organisation la plus appropriée à ses fins, soit une organisation légaliste sur papier seulement. Ainsi les limites des droits de l’homme et de ce qui est bon sont fixées par un système de lois taillées à leur avantage au sortir de la seconde guerre mondiale. Avec le temps et la chute du mur de Berlin, l’Ouest a acquis une habileté considérable pour utiliser, interpréter et manipuler la loi, bien que paradoxalement les lois tendent à devenir bien trop compliquées à comprendre pour une personne moyenne sans l’aide d’un expert. Selon Soljénitsyne, tout conflit ne peut être résolu que par le recours à la lettre de la loi, qui est considérée comme le fin mot de tout. C’est en fait le cas quand cela arrange l’Occident, voire les pays du Nord. Dans notre lutte pour retrouver les îles chagossiennes, Maurice se place du point de vue légal, techniquement plus rien ne peut lui être opposé. Car chacun lutte pour étendre ses droits jusqu’aux ex- trêmes limites des cadres légaux. Mais face aux armes de destruction massive, les résolutions, décrets et jugements sont hélas comme des pistolets et fusils à eau...
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