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Ne menez pas la presse en bateau !
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Ne menez pas la presse en bateau !
Très cher Pravind Jugnauth, puisque vos conseillers en communication n’arrivent manifestement pas à vous faire le récit de la presse plurielle de notre pays, allons-y pour un rapide survol historique, dans l’espoir que, comme PM, vous serez moins mal informé si d’aventure vous voulez encore partager vos impressions sur la grande dame qu’est la presse mauricienne. Les faits sont sacrés. On doit les respecter.
Depuis le 18e siècle, les journaux mauriciens ont jalonné l’histoire de Maurice. Aujourd’hui, encore, ils participent en tant qu’acteurs plurilingues à la construction de la nation mauricienne, qui est retardée par un système électoral inique qui divise, que d’aucuns, dont vous-même, ne veulent pas réformer. Parce que cela va jouer contre vos intérêts politiques et dynastiques.
Cela fera bientôt 250 ans de cela ! Le premier journal a paru à Maurice en 1773 sous le régime colonial français. La presse mauricienne est ainsi considérée comme étant l’une des plus anciennes de l’hémisphère Sud, sans doute la plus ancienne de toute la sous-région, qui va au-delà des frontières maldiviennes.
Les premiers journaux à Maurice sont surtout des feuilles commerciales – on vendait pêle-mêle des terrains, des esclaves, des matériaux de construction et on annonçait, dans les feuilles culturelles et littéraires, les spectacles d’opéra et d’opérettes. De parution sporadique, ils sont destinés à la classe possédante. Le taux d’alphabétisation reste encore très bas.
Mais à partir des années 1830, le ton des journaux change de manière drastique. Ces journaux, essentiellement des papiers d’informations pratiques, se transforment alors en «véritables relais d’opinion». D’autres voix nouvelles viennent s’ajouter au concert. Il convient de rappeler qu’entre-temps il y a eu la transition du régime colonial. Les Britanniques succèdent aux Français à partir de 1810, comme vous l’avez sans doute appris durant vos études de droit.
Les Anglais voulaient une transition en douceur à l’ancienne Île de France. Ils offraient aux propriétaires sucriers – vrais détenteurs du pouvoir économique (ou du pouvoir tout court) sur l’île – toute la latitude possible pour continuer leurs activités commerciales et culturelles en français et ce, malgré le changement de statut dans l’île. Un exemple : le code Napoléon reste en vigueur et agit come code civil alors que le code criminel est rédigé selon les lois britanniques.
Paradoxalement – cette liberté d’expression, encouragée par la nouvelle administration anglaise, est revendiquée et utilisée par l’oligarchie sucrière qui en fait son médium de combat. Elle proteste contre l’abolition de l’esclavage brandie par les Anglais. Le courant abolitionniste fait alors grand bruit dans le monde. Dans le journal franco-mauricien, Le Cernéen, qui paraît en 1832, les propriétaires mettent en avant le péril économique si on relâchait les esclaves – qui labouraient les plantations sucrières. Ils redoutent aussi pour leur propre sécurité et pensent que le pays sera plongé dans l’anarchie et que tout sera détruit, pillé, incendié.
Un peu plus tard, la cause des descendants d’Africains sera elle aussi défendue dans la presse locale et ce, à travers d’autres titres d’opinion, à l’instar de La Balance, puis, entre autres, par La Sentinelle de Maurice, créée en 1843 par Rémy Ollier.
Et puis, après l’abolition de l’esclavage (intervenue en 1835), les propriétaires sucriers se tournent vers l’Inde pour trouver la main-d’œuvre (les anciens esclaves ne voulaient plus entendre parler des plantations sucrières).
En 1909, le premier journal politique indo-mauricien, The Hindustani, sera lancé par Manilall Doctor, un avocat indien, dépêché à Maurice par le Mahatma Gandhi, pour défendre la cause des émigrés indiens, souvent maltraités, comme les esclaves dont ils avaient pris le relais sur les propriétés sucrières. Et les premiers journaux en mandarin apparaissent, eux, en 1920. Bernard Idelson (de l’université de La Réunion), chercheur en histoire de la presse indo-océanique, note qu’à partir de 1930, les journaux s’imbriquent de plus en plus «dans le champ politico-ethnique – représenté par les quatre groupes identifiés dans la Constitution mauricienne : les hindous, les musulmans, les sino-mauriciens et la population générale (qui désigne les franco-mauriciens et l’ensemble de la population creole).»
Tout en reflétant les intérêts divergents de la population – dont la démographie a été chamboulée par l’arrivée en masse des immigrés indiens qui sont désormais en majorité – , les journaux, de plus en plus nombreux, s’engagent dans les combats pro ou anti-nationalistes. Les deux principaux quotidiens de l’époque sont divisés sur le chemin de décolonisation à emprunter. Le Mauricien se prononce contre l’Indépendance, alors que l’express prend naissance en 1963 pour mener campagne en faveur de l’Indépendance de Maurice.
Les pères fondateurs de l’express (Forget père et fils, Balancy, entre autres) épousent le combat de sir Seewoosagur Ramgoolam parce qu’ils croient en la capacité du pays, et de ses habitants, et ce, malgré les prédictions alarmistes des savants Meade et Naipaul qui entrevoyaient un avenir impossible pour notre pays. Mais une fois l’Indépendance acquise, l’express rapidement se démarque de l’action gouvernementale afin de pouvoir mieux exercer son regard critique de presse libre.
Aujourd’hui encore le combat pour Maurice continue. La presse libre va continuer son action en toute Indépendance, assujettie à aucun parti politique, n’ayant des comptes à rendre qu’à ses lecteurs – et non pas au Sun Trust. Quand il s’agira de défendre la presse, vous nous trouverez toujours sur votre chemin. On ne va pas vous laisser nous mener en bateau avec votre MBC !
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