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L’histoire mondiale a-t-elle une fin ?
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L’histoire mondiale a-t-elle une fin ?
L’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie réveille stratégiquement les pays du monde. Au siège de l’ONU mercredi, Maurice s’est jointe au concert des nations qui réclament que Moscou «retire immédiatement, complètement et sans conditions toutes ses forces militaires d’Ukraine tout en condamnant la décision de la Russie d’accentuer la mise en alerte de ses forces nucléaires». Sur les 193 membres de l’Organisation, 141 pays ont soutenu la résolution tandis que cinq – Russie, Bélarus, Corée du Nord, Erythrée et Syrie – ont voté contre et 35 se sont abstenus, dont Chine, Kazakhstan, Kirghizistan, République démocratique populaire du Laos, Madagascar, Mali, Mongolie, Mozambique, Namibie, Nicaragua, Pakistan, Sénégal, Afrique du Sud, Soudan du Sud, Sri Lanka, Soudan, Tadjikistan, Ouganda, Ouzbékistan, Vietnam et Zimbabwe.
Si le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, estime qu’il faudrait que Vladimir Poutine «mette fin aux hostilités en Ukraine – maintenant (...) ouvrez la porte au dialogue et à la diplomatie – maintenant», Joe Biden a jugé que le vote de mercredi «exposait au grand jour l’isolement» de son homologue russe : «Une immense majorité des nations reconnaissent que Poutine n’attaque pas seulement l’Ukraine mais également les fondations même de la paix et de la sécurité dans le monde.» Pour le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, le résultat du vote est «historique», un point de vue partagé par le Premier ministre britannique, Boris Johnson, pour qui «rarement le contraste entre le bien et le mal aura été aussi frappant». Mais les choses ne sont pas si simples et un regard purement manichéen, à la Johnson, peut compliquer la donne.
Outre l’Amérique du Nord et l’Europe, la résolution a bénéficié du vote favorable de nombreux États africains (qui dénoncent des cas de racisme sur des étudiants africains qui tentent de franchir les frontières polonaises pour se mettre à l’abri des bombes), mais fait notable : l’Afrique du Sud s’est abstenue, tout comme l’Algérie, la Centrafrique et le Mali, deux pays développant actuellement leurs liens avec la Russie. Le Burkina Faso, théâtre d’un récent coup d’État, a choisi de ne pas voter. Idem pour le Sénégal qui a surpris plus d’un.
L’abstention de la Chine, en revanche, était attendue au conseil de sécurité. L’Inde s’est aussi abstenue malgré de fortes pressions des États-Unis. Le Pakistan, aussi sous pression notamment des Européens pour un vote favorable, ne s’est pas engagé et a préféré la neutralité. La résolution à l’Assemblée était inspirée d’un texte rejeté la semaine dernière au conseil de sécurité en raison du veto de la Russie, membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, qui a scandalisé les Occidentaux. Cependant, à l’Assemblée générale, le droit de veto, privilège des cinq membres permanents du conseil (États-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni), n’existe pas puisque, comme dans le cas des Chagos, les résolutions ne sont pas contraignantes légalement. Ce qui fait que la loi du plus fort perdure.
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Alors que nous entamons le 8e jour de guerre en Ukraine, chaque pays prend conscience de sa vulnérabilité par rapport à la menace nucléaire qui est brandie tant par l’Otan que par le Kremlin. Le hic dans l’histoire qui s’écrit, c’est qu’un membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU peut facilement piétiner les principes cardinaux de la paix mondiale et bafouer le droit international en utilisant la force. Sans que l’on ne puisse l’arrêter sur le terrain.
Depuis la fin de la Guerre froide, l’on croyait être rentré dans une période de paix durable. D’ailleurs, les dépenses de défense ont baissé de 8 % en Europe – et même de 21 % en Allemagne –, alors qu’elles sont en hausse continue en Russie, en Chine et aux États-Unis. Ce que l’on constate aujourd’hui : c’est que la Guerre froide n’est pas révolue. Poutine et l’Otan conçoivent toujours le monde sur le plan des sphères d’influence et des rapports de domination. En ce sens, ils prennent à contre-pied des décennies de politique internationale et de démocratie libérale.
Cela nous ramène au message de Francis Fukuyama qui demeure incompris car son concept de «La fin de l’Histoire» est constamment remis sur le tapis. Beaucoup de spécialistes en relations internationales se demandent du reste si la croyance selon laquelle les régimes autocratiques étaient voués à se libéraliser dès lors qu’ils se soumettent à l’ordre international était «naïve». Dans une réflexion postée dans le sillage de l’invasion ukrainienne, Fukuyama souligne que nous sommes à un moment charnière de l’histoire mondiale. «Poutine a donc lancé une attaque militaire massive contre l’Ukraine, avec comme objectif déclaré de renverser le gouvernement démocratiquement élu et de le remplacer par un régime soumis à Moscou. Les motivations de Poutine ne sont pas difficiles à cerner, puisqu’il a exposé en long et en large sa vision du monde et ses objectifs stratégiques. Voilà quelques années, il déclarait que la dissolution de l’URSS avait été la plus grande tragédie du XXe siècle (...) Si Poutine parvient à renverser la démocratie en Ukraine et à la remplacer par un régime fantoche à sa botte, il aura créé un terrible précédent quant au recours à la force pure. La Chine pourra s’en inspirer, à l’heure où elle envisage la réincorporation de Taïwan. Les États-Unis et l’Otan auront été humiliés, et le monde entier aura définitivement saisi combien les promesses américaines de soutien ne sont que des paroles en l’air et combien la coopération entre démocraties est un mirage.»
En revanche, l’intellectuel singapourien Kishore Mahbubani nuance ces propos en y rajoutant une couche économique. Selon lui, même s’ils combattent tous deux la démocratie libérale, Xi Jinping ne soutient pas complètement Poutine. «Les dirigeants chinois ont deux raisons d’être mécontents et une de se réjouir. Par principe, ils n’aiment pas le séparatisme, et cela vaut pour les prorusses du Donbass qui ont appelé de leurs vœux l’intervention militaire russe. D’autant que le président Vladimir Poutine ne tente pas juste de s’emparer de cette partie du pays, mais de tout le territoire, ce que la Chine n’avait manifestement pas anticipé. En outre, les Chinois n’aiment ni les surprises ni l’instabilité. Or il va y avoir du chaos. Cependant, ils peuvent se satisfaire du fait que les États-Unis sont maintenant occupés pour cinq à dix ans avec l’Ukraine et les Russes. La Chine ne sera plus au centre de l’attention.» Mahbubani ajoute que la Chine a aussi de très importants intérêts dans l’Union européenne et elle ne peut pas se permettre de se l’aliéner. Pour lui, l’Occident doit trouver un compromis avec la Russie grâce à la Chine ou à l’Inde. «La diplomatie n’est pas faite pour parler à ses amis, mais d’abord à ses ennemis.»
Pour conclure, un mot sur l’inflation qui est attisée par le conflit avec des prix à la consommation en hausse de 7 % aux États-Unis, et de 5,1 % dans la zone euro, soit des niveaux inédits depuis plusieurs décennies. Comme la guerre, beaucoup pensaient que ce n’était pas possible que l’inflation grimpe à ce point dans une économie mondialisée. Au-delà des causes conjoncturelles comme la pandémie de Covid-19 ou la guerre en Ukraine, l’on devrait tenir compte des facteurs structurels : le coût exorbitant de la transition énergétique (d’où la dépendance sur les énergies fossiles), les niveaux records d’endettement public (malgré les artifices de certaines banques centrales) ou encore le vieillissement de la population mondiale. Ces facteurs vont porter durablement les pressions inflationnistes. Et on ne pourra pas tout mettre sur le dos, certes bodybuildé, de Poutine.
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