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L’autocratisation de Maurice s’accélère
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L’autocratisation de Maurice s’accélère
En avril dernier, quand le sérieux institut académique V-Dem avait classé Maurice parmi les dix pays les plus engagés sur les voies de l’autocratisation (pour la période 2010-2020), le gouvernement n’avait pas su trouver des arguments pour réfuter cette thèse scientifique. Il lui semblait plus patriotique de rester tranquille, de continuer à faire comme si de rien n’était. Car contrairement aux indices complaisants du genre Mo Ibrahim, l’Institut suédois se base sur une méthodologie rigoureuse et inattaquable sur les plans de la gouvernance et de la démocratie en réunissant les meilleurs Democracy Scholars de la planète et en prenant chaque pays comme un terrain d’études.
Pour nous journalistes, les conclusions de V-Dem n’étaient guère surprenantes. Elles venaient surtout accréditer nos prises de position. Car nul, hormis évidemment la MBC, les démagogues ou ceux qui bénéficient d’une manière ou d’une autre du gouvernement actuel, ne peut nier que nous assistons à un recul de notre démocratie depuis plusieurs années déjà, comme plusieurs fois étayé dans le rapport du département d’État américain.
Le Parlement, qui est au cœur de notre système démocratique avec un speaker à la solde du MSM, ou l’ICAC, avec un DG partial et protecteur du régime, illustre le mieux le degré de pourrissement de nos institutions. L’affaiblissement de nos institutions fait partie de la stratégie absolutiste du MSM qui place ses pions à leur tête. Ces pions serviles ne sont pas compétents, ou qualifiés et du coup, ne peuvent faire fonctionner les institutions de façon indépendante.
Comment passe-t-on d’une démocratie libérale à une autocratie ? Selon le V-Dem Institute, «ruling governments first attack the media and civil society, and polarize societies by disrespecting opponents and spreading false information, only to then undermine formal institutions». Et durant la pandémie, «further anti-democratic measures were enacted, including the suspension of parliament in December 2020…»
Cette année, selon le dernier rapport de V-Dem, publié en fin de semaine, il y a 15 pays qui se démocratisent et 32 qui s’autocratisent. Madagascar, Malawi, Seychelles et Gambie sont les seuls quatre pays en Afrique subsaharienne qui ont connu des gains démocratiques. Fait notable : plus du double – 11 pays de la région – ont régressé par rapport à 2011 : Bénin, Botswana, Burundi, Comores, Ghana, Côte d’Ivoire, Mali, Maurice, Mozambique, Tanzanie et Zambie.
Donc, au lieu de prendre le carton rouge de V-Dem en considération, le régime de Pravind Jugnauth continue de faire du tort à l’état de notre démocratie, notamment en refusant de nous donner une Freedom of Information Act, une télévision libre et privée, une réforme électorale pour se débarrasser des critères ethniques, qui nous retiennent en arrière. À la place, nous avons une armée de chatwas, qui pullulent dans nos ministères, corps parapublics, compagnies publiques, ambassades, aux frais des contribuables. Et qui applaudissent Pravind Jugnauth matin, midi et soir.
Les avancées démocratiques des derniers 30 ans sont aujourd’hui anéanties. Le nombre de «démocraties libérales» a chuté à 34 en 2021, soit le plus faible nombre depuis 26 ans, alors que les autocraties sont passées de 25 à 30 entre 2020-2021. L’autocratie électorale reste le régime le plus répandu dans le monde – 60 pays. Ces autocraties abritent désormais 70 % de la population mondiale, soit 5,4 milliards de personnes.
Un nombre record de 35 États souffrent de sérieux déficits en termes de liberté d’expression aux mains des gouvernements. Il y a dix ans, il n’y en avait que cinq. Autre tendance inquiétante : l’autonomie des organes de gestion électorale a été sapée de manière continue par les gouvernements qui placent des «yes men», qui caressent les dirigeants dans le sens du poil. Irfan Rahman devrait y réfléchir au lieu de choisir de se taire en cour de justice.
Le dernier rapport de V-Dem (téléchargeable en suivant le lien https://vdem.net/media/publications/dr_2022. pdf) est publié alors que le monde fait face à une guerre en Europe provoquée par un autocrate, et au retour de l’armée qui fait des coups d’État en Afrique. Le monde connaît de nouveaux sommets d’autocratisation et Maurice, ancien élève modèle, n’est pas en reste. Le déclin de la démocratie au cours de la dernière décennie reste donc un phénomène autant mauricien que mondial. La vague d’autocratisation, qui s’intensifie, souligne la nécessité de nouvelles initiatives pour défendre la démocratie au-delà des partis politiques traditionnels.
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