Publicité

Requiem pour Maurice

12 mars 2022, 16:50

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Le titre aurait dû être Requiem pour une démocratie qu’on assassine de manière durable, mais cela faisait un peu long.

C’est avant tout un déni démocratique devenu le cri du cœur de nombre de citoyenstémoins de l’autocratisation en cours dans notre pays, qui a clairement raté un engagement pris avec l’histoire le 12 mars 1968. Assoiffés de liberté et d’idéaux nouveaux, nous avions cru pouvoir briser les chaînes qui nous retenaient en arrière, en tant que serviles du pouvoir colonial.

Cinquante-quatre ans plus tard, nous avons certes un pays, un quadricolore, un hymne national, mais nous n’avons pas pu ou su cimenter la nation. Nous nous sommes éloignés de nos objectifs et sommes devenus plutôt une République de tribus diverses.

Sans démocratie offrant une chance égale à chaque enfant de la patrie, sans un centre culturel mauricien, l’hymne national, seul, ne peut plus faire frissonner, comme jadis, quand on l’entonnait, dans les cours de récréation, en attendant les boissons gazeuses et les pâtisseries, as one people, as one nation, in peace, justice and liberty…

Ce qui aurait pu être un chant d’amour pour tous, un cantique rassembleur pour raviver la mémoire collective et célébrer une patrie aux destins mêlés et métissés, qui se donnent la main pour affronter ensemble les challenges de la vie collective, sonne de plus en plus faux. Il devient malheureusement évident que les couleurs de l’arc-enciel mauricien se chevauchent mais ne se mélangent pas vraiment. Le métissage, qui est pourtant un fait mauricien à chaque coin de rue, n’existe pas encore officiellement.

L’actuelle Constitution, lourd héritage avec ses boulets de notre double passé colonial, et les propriétaires des partis politiques/dynastiques continuent de diviser l’électorat et d’emprisonner le peuple dans quatre silos ethniques : hindou (foi), sino-mauricien (pays d’origine), musulman (foi), et population générale (groupe fourre-tout qui regroupe tant des descendants d’esclavagistes que des descendants d’esclaves, et tous ceux qui ne se retrouvent pas dans les trois groupes précédents !)

L’interculturel, plus d’un demisiècle après notre indépendance, n’est une réalité que pour certains, pas pour tous. Le mauricianisme reste un chantier en désordre, déserté par les roder-bout de tout acabit, qui peuplent les comptoirs du pouvoir, en profitant de l’argent public.

Si nous vivons en paix, ensemble, et que ce n’est pas la guerre, nous nous agitons dans un panier de crabes, du fond duquel il faudrait pourtant pouvoir sortir, afin de raccommoder une nation cisaillée par des intérêts divergents.

Aujourd’hui, pour sauver l’idée d’indépendance, c’est à nous de transmettre le goût du pays aux jeunes, en déjouant les plans de morcellement de notre société plurielle sur l’autel de la realpolitik. Ce n’est pas parce que certains demeurent sous l’emprise des dynasties, qui ont rendu les institutions dépendantes d’elles, qu’on devrait tous renoncer au projet collectif d’un pays et d’une nation. Sinon remplaçons l’hymne de Prosper et de Gentil par un requiem quelconque…