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Le tournant monétaire
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Le tournant monétaire
Lorsque, le 5 décembre 2011, le comité de politique monétaire (MPC) présidé alors par Rundheersing Bheenick abaissa le taux directeur par seulement 10 points de base, ce fut pour obtenir une décision unanime plutôt que partagée. C’est sans doute l’unanimité qu’a aussi voulue le MPC de Harvesh Seegolam en relevant le taux repo par 15 points, une hausse somme toute symbolique qui apporte plus de la confusion que de la clarté dans la politique monétaire. Reste qu’en dépit des pressions du secteur privé en faveur d’un statu quo, le MPC a amorcé un cycle de resserrement monétaire, puisque les termes «normalisation of monetary policy» et «withdrawal of the accommodative monetary policy stance» ont été prononcés pour la première fois. C’est un tournant, pas encore un virage, monétaire.
On voit mal le MPC revenir de sitôt à une détente du taux d’intérêt, à moins de vouloir perdre le peu de crédibilité qui lui reste. Avancer à pas de tortue dans la normalisation du taux directeur ne lui fera pas non plus gagner en crédibilité. Il lui faudra au moins renverser la baisse cumulative de 150 points qu’il avait effectuée après l’éclatement du Covid-19. Une approche graduelle est tout à fait compréhensible, mais le problème est que le MPC ne se réunit pas chaque mois, contrairement à la Fed.
C’est dans trois mois, en juin, qu’est fixée la prochaine réunion du MPC. D’ici là, les taux américains auront vraisemblablement augmenté de 75 points, ce qui creusera l’écart avec les taux mauriciens. La roupie deviendra encore moins attrayante et se dépréciera davantage contre le dollar. C’est pourquoi une hausse initiale de 50 points du taux repo était souhaitable.
Cela aurait initié un début d’ancrage des anticipations inflationnistes. Les agents économiques auraient commencé à croire dans la sincérité de la Banque de Maurice à se préoccuper de l’inflation. Ils auraient été moins disposés à avoir recours au crédit de consommation, voire à dépenser sans compter. Les pressions inflationnistes locales se seraient atténuées.
Prenant le contre-pied d’Axys («a normalization of rates could only intervene when the economy is back on track»), le contenu optimiste de la déclaration de presse du président du MPC, qui prévoit une croissance de 7 à 8 % cette année, ne laisse aucun doute sur la priorité qui doit être accordée à la lutte contre l’inflation. D’ailleurs, la croissance n’est pas un phénomène monétaire, mais relève de facteurs réels et structurels, telles la productivité, la disponibilité de gens qualifiés, la modération salariale, la bonne gouvernance et la confiance.
Mais le gouverneur Seegolam ne mesure pas assez l’ampleur des hausses des prix, cherchant à relativiser le taux de 9 % de la «year-on-year inflation». Il indique que «for monetary policy purposes, the Bank of Mauritius focusses on the headline inflation. The year-on-year inflation is more volatile and, as such, may not be a reliable indicator of sustained price pressures in the economy for the formulation of monetary policy».
Voilà qui surprend quand on sait que c’est la Banque de Maurice qui a commencé, à partir de son bulletin de mars 2009, de publier les chiffres de l’inflation en glissement annuel. Ce que ne fait pas Statistics Mauritius dans son document annuel sur le «Consumer Price Index» parce que, précise-t-il, «the yearon-year inflation rate… is generally used by central banks for monetary policy decisions». Le MPC, version Bheenick, l’avait aussi dit dans son «Monetary Policy Statement» du 2 avril 2009 en parlant de l’inflation «on a year-on-year basis, a methodology commonly used by central banks and also advocated for Mauritius by the IMF Staff Mission».
C’est la «year-on-year inflation» qui permet à la banque centrale de rester collée à la réalité des prix, ceux du mois écoulé, et de prendre des mesures préventives. La «headline inflation», elle, est l’objet d’un lissage statistique qui fait d’elle une moyenne annuelle, appropriée pour compenser une perte du pouvoir d’achat, mais pas pour anticiper l’évolution future des prix.
L’ironie, c’est que la «year-on-year inflation» va diminuer dès le second semestre de 2022 à cause des effets de base, tandis que la «headline inflation» va continuer de grimper d’ici à la fin de l’année pour atteindre, selon la Banque de Maurice, 6,7 %. Le MPC se condamne donc lui-même à devoir augmenter le taux directeur lors de ses prochaines rencontres. Et même si les taux d’inflation retournent à une tendance baissière, le MPC aura beaucoup de terrain et de retard à rattraper pour recouvrer la perte de valeur de la roupie due à l’inflation de ces dix dernières années d’assouplissement monétaire.
C’est dire que la Banque de Maurice demeurera «behind the curve» du fait que le taux d’intérêt restera largement inférieur au taux d’inflation. Elle devra montrer plus de conviction dans sa nouvelle orientation monétaire, faute de quoi elle se retrouvera avec une inflation galopante sans soutenir la croissance.
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