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Notre liberté de dire et votre liberté de lire ou pas
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Notre liberté de dire et votre liberté de lire ou pas
On nous demande souvent pourquoi l’express prend le pari de proposer un éditorial à ses lecteurs alors que d’autres journaux, qui n’en font plus, depuis plusieurs années déjà, semblent récolter, à la place d’une ligne éditoriale bien trempée et clairement affichée, des prébendes de l’État, notamment sous forme de publicité gouvernementale ?
Certes, avec les nouvelles technologies et la libéralisation partielle des ondes et les réseaux sociaux, la presse d’aujourd’hui n’est plus tout à fait celle d’hier, mais il reste des principes immuables, pour lesquels on s’engage au quotidien, dont celui des libertés (de la presse, d’expression, d’informer et de partager librement son opinion).
Au-delà de l’argent du contribuable qui est détourné pour protéger des intérêts politiciens étroits, les gouvernements successifs que nous avons eus/élus depuis l’Indépendance ont trouvé différents moyens interventionnistes afin de transformer l’information, qui est un bien public, en propagande permanente, avec l’aide d’agences de com’ et des attachés de presse qui sont censés être des relais entre ministres et journalistes; ils sont censés, mais ils ne le sont pas, pour la plupart. Parce qu’à la base, ils ont peut-être travaillé dans des jour- naux, mais n’ont jamais été journalistes dans l’âme.
Si les gouvernements qui se suivent privilégient la régulation chez les autres, notamment pour les médias privés (qu’ils voudraient changer en MBC), et imposent ses façons de voir au secteur privé, ils sont restés bien pauvres en initiatives pour le secteur public. Dans les discours écrits par des gratte-papier qui ont perdu le sens des mots, on entend souvent parler de l’Equal Opportunities Act, de démocratie et d’éthique, mais, dans les faits, il faudrait commencer par avoir un code d’éthique pour les politiciens, afin de retrouver une moralité publique qui a foutu le camp depuis belle lurette.
Dans une République de tribus diverses comme la nôtre, devraiton donc éviter de prendre position afin de ne pas froisser les puissants ? Devrait-on être heureux qu’on n’en soit pas encore comme dans nombre de pays d’Asie ou d’Afrique, où les journalistes sont réprimés quotidiennement par les autorités, où plusieurs d’entre eux sont emprisonnés, comme en Birmanie ou en Russie ?
Plus les dictatures sont éliminées, plus elles reparaissent sous d’autres formes. Et cela conduit à différentes façons de voir, d’agir envers le peuple, d’agir envers l’opinion et de la contrôler. Comme nous, journalistes, faisons une profession charnière entre le pouvoir et la population, ce n’est guère étonnant que nous sommes coincés, peut-être plus souvent que les autres, entre l’arbre et l’écorce, entre les différents pouvoirs qui s’entrechoquent, et les lobbies qui s’affrontent en permanence entre groupes, ou à l’intérieur des groupes eux-mêmes.
En 1984, selon les journalistes, qui protestaient contre une tentative de musellement de la presse par le gouvernement Jugnauth-Duval, il y avait une claire tentative de rendre la vie beaucoup plus difficile à l’expression d’opinion et d’information par la presse écrite. Nos aînés avaient déjà connu la censure elle-même, pendant l’état d’urgence du premier gouvernement postindépendance, mais en 1984, il s’agissait plutôt de compliquer l’existence de la presse et de se conduire comme «un matamore parce qu’on a le pouvoir». Comme tentent de le faire le pouvoir du jour et ses chatwas qui pompent goulûment l’argent du contribuable, qui finance des voitures et des notes d’essence indécentes, alors que le petit peuple se démène pour acheter une bouteille d’huile ou un sachet de lait en poudre…
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C’est connu de nous journalistes.
Les politiciens ont besoin de plaire et ont besoin d’une bonne presse. Ils ont besoin d’avoir des journalistes qui sont en contact avec eux. C’est pour cela qu’ils s’entourent d’attachés de presse afin de tenter de pénétrer l’univers des médias. Les politiciens ont la peau très sensible par rapport à la critique. Et comme le pouvoir, ça porte à la tête, bien vite les politiciens quittent l’humilité des périodes électorales, une fois assis sur leur maroquin, ou sur le cuir de leur berline. Ils croient qu’ils sont devenus des puits de sagesse et subissent la tentation du pouvoir. Michel Tournier écrivait quelque part : avez-vous regardé le visage d’un puissant ? En effet, quelque chose se passe dans la chimie de l’homme quand il atteint au premier degré le pouvoir. Il se croit au-dessus de sa propre personne. C’est triste quand on perd ainsi ses propres repères. Il se perd.
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Face à nos bêtes politiques et à leurs dérives et abus, il y a heureusement la liberté de la presse, répond-on à ceux qui nous interrogent sur le sens de notre engagement éditorial. La liberté de la presse, pour nous à l’express, doit être, autant que possible, accompagnée de la responsabilité de l’action journalistique. Nous avons une responsabilité envers l’opinion. Et c’est pour cela que nous estimons que la presse ne doit pas être conduite à privilégier l’information plutôt que l’opinion. Le journaliste doit se poser comme un leader, pas comme un suiveur, ou une simple caisse de résonance. Pour le journaliste, il y a souvent des moments où il faut nager à contrecourant, résolument par conviction. «La responsabilité journalistique va aussi dans le soin qu’on apporte à filtrer, je ne dis pas escamoter, je dis filtrer, par le sens critique. Il est très facile de se faire avoir. Ceux qui ont intérêt à le faire pratiquent la mésinformation. Si on n’est pas aguerri à ce genre de pratiques, on peut laisser des plumes. Le sens critique du journaliste doit s’exercer envers les sources d’information autant qu’envers lui-même. Je reconnais que l’objectivité totale est probablement un mythe. Nous sommes subjectifs dans la presque totalité de notre vie, de nos actions. Mais le journalisme diffère comme pour tous les postes où la responsabilité prime. Le journaliste doit différencier entre ce qui est subjectif en lui et ce qui est peut-être une vérité autre. C’est un exercice salutaire parce que je crois que c’est un exercice existentiel», nous conseillait le Dr. Philippe Forget, rédacteur en chef mythique de l’express.
Et quand ce sont des capitaux occultes qui sont investis à fonds perdus dans un journal, il n’y a pas de possibilité de faillite. Les investisseurs peuvent donc faire du dumping et du unfair trading. L’express, lui, a été lancé en 1963 pour lutter en faveur de l’Indépendance. Mais une fois l’Indépendance acquise, nous avons sans cesse milité pour que le développement industriel suive l’Indépendance. Ce n’était pas un changement de priorités, mais chacun dans la vie a ses priorités du moment et choisit ses combats et ses adversaires en fonction du contexte.
Si la «classe» politique a comme priorité ce qui va se passer dans cinq ans, nous, nous croyons fermement qu’un pays émerge de 100 fois cinq ans, au moins. Mais les priorités peuvent varier selon le moment. Comme la suggestion de demeurer une colonie, même déguisée sous un autre nom.
C’était pour «l’express» inacceptable dans un monde en pleine évolution, à la recherche de nouvelles formules d’autonomie. Il y a, dans nos archives, toute une phase où notre journal faisait campagne sous le slogan : L’économie d’abord ! L’économie parce qu’elle écartait précisément de notre conscience collective toutes les rivalités qui avaient été suscitées par les campagnes précédant l’Indépendance qui se fondaient un peu trop sur l’émotion, au détriment de la raison.
Terminons sur le fonctionnement de la presse qui demeure un organe démocratique. «La presse va aux élections générales tous les matins.» Elle est reçue par le citoyen en toute liberté. On parle du vote secret, mais l’achat du journal de son choix est également secret. Donc sur le plan démocratique, la presse n’a pas beaucoup à apprendre dans l’essentiel des politiciens de pacotille et de leurs chatwas. Elle peut jouer son jeu de manière responsable si le gouvernement et le pays la placent sur un fair playing ground. Mais il ne faut pas que les dés soient pipés, il ne faut pas que les cartes soient truquées. Si personne ne peut s’élever contre l’élaboration d’une éthique pour la presse, on va insister que la nécessité d’une éthique ou d’une moralité existe pour tous les groupes. Cette éthique existe même pour l’individu seul, entièrement solitaire, et elle existe pour les collectivités nationales, et entre ces deux extrêmes, elle existe pour toutes les classes : le service civil, le judiciaire, etc. Tout le monde a besoin d’éthique, mais par définition l’éthique qui fonctionne est celle qui est spontanée et sincère. Pas une éthique imposée.
C’est pour cela que la liberté de la presse commence par la liberté des individus qui la font et la liberté de ceux qui la lisent ou pas !
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