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Insécurité alimentaire

30 mars 2022, 09:00

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Le débat ne date pas d’hier. À chaque fois que le monde traverse une crise majeure, la question de sécurité alimentaire revient sur le tapis. La dernière fois qu’on a assisté à un tel branle-bas de combat, c’était lors de la crise alimentaire mondiale de 2007-2008. À l’époque, 37 pays avaient été menacés par la famine suite au renchérissement des denrées alimentaires, selon la Food and Agriculture Organisation (FAO). Des émeutes de la faim avaient éclaté dans plusieurs pays : le Burkina Faso, le Cameroun, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Égypte et le Maroc, entre autres. C’était aussi la période où le pétrole atteignait son pic de 146 dollars le baril.

À Maurice, l’on avait également ressenti le choc. Du jour au lendemain, la sécurité alimentaire était devenue la priorité des politiques. Dans le Budget 2008-09, le ministre des Finances d’alors, Rama Sithanen, annonçait la création d’un Food Security Fund doté d’une enveloppe de Rs 1 milliard, ainsi qu’une stratégie en cinq volets pour mener le pays sur la voie de l’autosuffisance alimentaire. Il était question notamment que Maurice travaille de concert avec Madagascar, le Mozambique et la Tanzanie et d’autres pays où des opportunités se présentent pour produire des cultures vivrières, du bétail et des produits marins pour la consommation intérieure ainsi que pour les marchés régionaux.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et pratiquement rien n’a changé concernant notre dépendance des produits importés. Valeur du jour, le pays demeure un importateur net et doit se tourner vers les marchés étrangers pour 75 % de ses besoins en produits alimentaires. Selon les derniers chiffres de Statistics Mauritius, nos importations en produits alimentaires s’élevaient à Rs 39,8 milliards en 2021 contre Rs 35,8 milliards en 2020, soit une forte hausse de 11,1 %. Les postes de dépense étaient comme suit : la viande et les préparations à base de viande (Rs 3,2 milliards), les produits laitiers et les œufs (Rs 4,4 milliards), le poisson et les produits à base de poisson (Rs 9,4 milliards), le blé (Rs 2,2 milliards), le riz (Rs 1,9 milliard), la farine de blé (Rs 20 millions), les céréales (Rs 2,3 milliards), les légumes et les fruits (Rs 4,3 milliards) et les autres produits alimentaires (Rs 11,8 milliards).

«Depuis 2008, pratiquement rien n’a changé concernant notre dépendance des produits importés, notamment alimentaires»

Si en 2021, notre facture d’importations a gonflé de manière significative, la situation pourrait être autrement plus problématique dans les mois à venir avec la guerre en Ukraine menaçant de déboucher sur une nouvelle crise alimentaire mondiale. Des pays d’Afrique du Nord comme l’Égypte, le Maroc, le Liban et l’Algérie qui achètent leur blé de l’Ukraine, l’un des greniers du monde, anticipent des pénuries à l’approche du Ramadan. En raison de l’insécurité en mer Noire, l’Algérie ne peut plus s’approvisionner auprès de l’Ukraine et de la Russie et doit faire des pieds et des mains pour trouver de nouveaux fournisseurs. Face à cette situation, la FAO tire la sonnette d’alarme et prévient que les cours du blé pourraient grimper de 9 % à plus de 21 %.

Aujourd’hui, Maurice est dans une position de vulnérabilité extrême car aussitôt la crise de 2007-2008 derrière nous, nous avons oublié nos belles résolutions et relégué la question de sécurité alimentaire au second plan. Si bien qu’on se retrouve quasiment au point mort avec très peu d’avancées sur le plan de l’autosuffisance alimentaire. Valeur du jour, le taux d’autosuffisance alimentaire global tourne autour de 30 %, selon la Chambre d’Agriculture.

Parallèlement, l’on n’a pas su empêcher les planteurs à continuer à déserter les champs. On en compte plus qu’environ 6 000, contre 12 000 il y a une vingtaine d’années. La situation se corse du fait que la jeune génération ne veut pas assurer la relève car jugeant le travail aux champs comme étant peu valorisant.

Mais il y a également quelques bons points. Ainsi, concernant la production de poulet, l’on peut se targuer de se rapprocher de l’autosuffisance. En 2021, cette filière a enregistré une croissance de 3,4 % avec la production de poulet augmentant à 49 100 tonnes. Vue sous cet angle, la performance paraît flatteuse. Mais faute d’une solide filière de transformation du poulet, on est contraint de se tourner vers d’autres marchés pour répondre à la demande locale pour les produits à base de volaille comme le jambon ou les nuggets. Parmi nos fournisseurs, on retrouvait l’Australie, la Belgique, le Brésil, la Chine, le Danemark, la France, l’Allemagne, la Grèce, Hong Kong, l’Italie, la Jordanie, le Liban, la Malaisie, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, l’Arabie saoudite, Singapour, l’Afrique du Sud, l’Espagne, l’Ukraine, entre autres. Selon les données compilées par la Mauritius Revenue Authority, l’on a importé 6,1 millions de kilos de produits de volaille en 2021 pour une valeur de Rs 781,6 millions, contre 5,6 millions de kilos pour Rs 656,5 millions en 2020.

Clairement, le retard pris par Maurice pour s’engager dans la voie du localisme, se réindustrialiser et réduire sa dépendance de l’importation des produits alimentaires pourrait nous entraîner dans une spirale inflationniste infernale. Car la pénurie alimentaire n’est pas le seul facteur qui impacte notre facture d’importations et provoque l’exode des  devises étrangères. Ce dernier facteur impacte à son tour la création de la richesse par le biais du processus de l’effet multiplicateur. Il faut, en effet, qu’on compose également avec la flambée des coûts de fret et la dépréciation accélérée de la roupie, qui a perdu 25,7 % de sa valeur face aux principales devises entre janvier 2019 et décembre 2021 selon le Mauritius Exchange Rate Index (MERI). Qui plus est, le cyclone Batsirai a sévèrement endommagé les plantations de légumes et de fruits, poussant l’Agricultural Marketing Board à importer de la pomme de terre, de la carotte, du haricot, du chou, ainsi que des semences.

Le pire, c’est que la guerre en Ukraine ne nous offre aucune visibilité par rapport à la durée de la crise alimentaire mondiale. À mesure que les prix grimperont, la paupérisation de la population sera encore plus prégnante. Avec l’effet conjugué de l’escalade des produits pétroliers, le scénario d’une inflation à deux chiffres est plus que probable. On patauge dans la mouise et on n’est pas près de s’en dépêtrer.