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Pourquoi 2022 n’est pas 1999

24 avril 2022, 10:00

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Intervenant de l’Inde, galvanisé et enguirlandé par des pandits en tenue orange, Pravind Jugnauth, se basant sur les renseignements qu’on a bien voulu lui fournir, a choisi sciemment de dresser un dangereux parallèle entre les émeutes de février 1999 – qui ont éclaté dans le sillage des décès révoltants des seggaemen Kaya (derrière des barreaux aux Casernes centrales) et Berger Agathe (sous les balles de la police à Roche-Bois).

En temps de crise, la parole d’un Premier ministre doit dépasser les petits clivages et prendre de la hauteur. C’est ce qu’il lui faudra faire dès son retour, une fois qu’il sera en prise directe avec le sentiment quasi-généralisé de colère et de frustration dans les quatre coins du pays. Un conseil au PM : n’écoutez pas les meter choula qui vous entourent; ils peuvent précipiter votre chute dans l’estime des électeurs.

Le contexte est tout autre. Faire un amalgame avec des fins politiciennes relève de la petite politique. C’est même antipatriotique, je trouve, dans un contexte où les gens souffrent réellement de la hausse des prix et n’ont quasiment plus d’échappatoire pour crier leur révolte.

La colère de 2022 est différente. Elle prend sa source, non pas contre une police abusive, les raisons de la colère, cette fois-ci, se trouvent dans le porte-monnaie de TOUS les Mauriciens, riches ou pauvres, blancs ou noirs ou jaunes, verts, bleus, orange ou mauves, et surtout dans la gestion hasardeuse des affaires du pays et des dérives autocratiques du présent régime.

En 23 ans, la vie des Mauriciens a évolué, même si tous n’ont pas connu une ascension aussi fulgurante que l’ancien conseiller municipal de Vacoas-Phoenix devenu leader du MSM et celui du pays sur un plateau dynastique. Par contraste, la politique mauricienne et les circonscriptions restent, elles, figées, car ethnicisées à outrance, et la police demeure servile et dépendante du pouvoir car agissant surtout comme chien de garde du pouvoir au lieu d’être au service de la population tout entière.

Comment ne pas dénoncer cette tactique de repli communal du pouvoir, posture démagogique, qui n’a plus sa place dans la société post-émeutes 1999, surtout que nous n’avons plus un Jean Margéot ou un Cassam Uteem parmi les présents leaders mauriciens pour calmer les esprits comme il se doit. Raison de plus donc pour pousser vers une retenue à tous les niveaux afin d’éviter l’embrasement de notre pays. Nous sommes suffisamment dans la merde économique et il n’y a vraiment pas lieu de corser la note.

Cela dit, je ne dis pas qu’il nous faut rien dire et se laisser faire, comme des moutons qu’on pousse dans un gouffre financier alors que la dette devient intenable et que certains s’entêtent à faire la fête à la tête de nos institutions, à Dubaï comme à Maurice, alors que l’on demande au peuple de se serrer la ceinture. Dans une démocratie, le droit de dire NON, de s’indigner et de manifester est légitime, et doit être encouragé, si on le fait selon les paramètres de la loi, comme l’a rappelé fort justement Rajen Narsinghen dans un rectificatif à la police de Coothen, qui a la prétention de pouvoir traiter toutes les voix dissidentes de «fauteurs de trouble». Ce n’est pas parce que nous avons une police médiocre aux ordres d’un gou- vernement incompétent, dépensier et non-transparent, allergique en plus aux critiques raisonnées sur les réseaux sociaux et dans la presse libre et indépendante, qu’on devrait tous arrêter d’exercer notre esprit critique et devenir des chatwa patentés, achetables et anti-mauriciens, voire pro-Modi. Tout le monde ne peut pas avoir une échine aussi souple qu’un Steven Obeegadoo, voyons…

Pour revenir aux propos tenus par le Premier ministre, le vrai, pas le paravent-militant de gauche qui assure l’interim et qui est contraint de tout justifier (s’il ne veut pas que Collendavelloo lui reprenne sa place !), on ne peut que rester dubitatif. Aucun mot, aucune empathie, aucune solidarité de Pravind Jugnauth avec ceux qui souffrent de la vie chère ; alors que l’inflation devrait être l’obsession de tout gouvernement en ces temps difficiles. Le discours de Pravind Jugnauth est politiquement réducteur; il veut clairement diviser pour continuer à régner, quitte à renvoyer les élections ou à instaurer l’état d’urgence dans le pays. Le Covid-19 et ses lois d’exception ont sans doute condensé la sauce autocratique qu’on nous sert de plus en plus, au mépris des libertés fondamentales qui sont garanties par la Constitution, notamment la liberté d’expression.

Ses mots, mal choisis, nous rappellent le discours haineux de son père, craché en 1995, au retour, tiens, tiens, d’une mission de l’Inde. À peine descendu d’avion, sir Anerood avait évoqué des «démons» et «bann lespri diabolik». En voulant régler leur compte à ceux qui n’étaient pas d’accord avec sa politique éducative autour des langues orientales au CPE, il avait poussé le bouchon trop loin. Son coup nou bann contre bann-la n’avait pas marché. Les élections qui ont suivi avaient du reste sanctionné Jugnauth père. C’était une belle gifle démocratique !

Aujourd’hui en ciblant clairement Rama Valayden, le fils marche sur le même sentier de guerre communale. Or – qu’on se le dise haut et fort –, le problème auquel nous faisons face actuellement n’a rien de communal. Raison pour laquelle ce journal va condamner toutes les dérives, qu’elles soient du Premier ministre ou des autres incendiaires de la place publique, qui vont à l’encontre du progrès national, en se la jouant populistes. «Ena enn ta piromann ki pe déklar ponpié et vre ponpié nepli ena dilo pu teynn dife…», me confiait un fin observateur de la société ce matin.

Nous ne sommes plus en 1967-1969, encore moins en 1999. En zig-zag peut-être, nous avons fait du chemin pour comprendre et décoder le jeu communal de ceux qui en ont fait leur fond de commerce.

***

Le contexte mondial importe aussi. C’est un fait : le prix moyen réel des denrées alimentaires est en hausse depuis 2000. En dépit de tous les efforts déployés au niveau international, relatifs aux politiques de réduction de la faim (fixés par les objectifs du millénaire de l’ONU), les prix ne cessent de rendre les aliments moins accessibles à une partie grandissante de l’humanité. Les raisons derrière les fluctuations sont complexes. La mauvaise gouvernance mondiale et nationale, la corruption du plus haut au plus petit, le capitalisme débridé, la puissance des multinationales, les conditions météorologiques «imprévisibles» et «défavorables», le changement climatique, la pandémie, la guerre de Poutine en Ukraine, tout est entremêlé d’une manière ou d’une autre. La FAO, impuissante, ne cesse de tirer la sonnette d’alarme par rapport à la «réduction des attentes en matière de récoltes», aux «récoltes affectées par les conditions météorologiques» et autres «déclins de la production». La hausse des prix réduit la sécurité alimentaire. Et quand le ventre est vide, certains prennent des mesures radicales pour assurer leurs moyens de subsistance, surtout quand les dirigeants sont perçus comme ayant échoué.

Nous ne sommes pas en 1999 car le Covid-19 et Poutine sont apparus depuis. La pandémie et la guerre viennent amoindrir la disponibilité des travailleurs pour cultiver, récolter, transformer et distribuer les aliments dans nombre de pays producteurs. Nous ne sommes pas en 1999 ou 2008 car nous avons dilapidé pratiquement toutes les réserves de la Banque centrale et l’inflation qui nous frappe implique que les consommateurs doivent non seulement casquer davantage par unité de nourriture (en raison de l’augmentation du prix nominal), mais qu’ils ont proportionnellement moins d’argent à dépenser pour le budget alimentaire, notamment à cause de l’augmentation parallèle des prix des produits pétroliers et tout le reste – à l’exception de leurs salaires et autres revenus !