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Tuer une démocratie (à petit feu)

3 mai 2022, 09:06

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La démocratie, qui revêt plusieurs formes et qui n’est jamais statique, peut mourir d’un coup, comme elle peut s’éteindre lentement mais sûrement. Elle peut basculer subitement dans le chaos par des bombes et une invasion des troupes externes, comme c’est le cas actuellement en Ukraine. Elle peut aussi arrêter de fonctionner après un coup d’Etat à l’interne, comme cela a été le cas en Guinée ou au Mali dernièrement. Elle peut par ailleurs cocher sur papier les bonnes cases de bonne gouvernance, comme le simple fait de tenir des élections selon le calendrier établi par la loi, sans chercher à les renvoyer pour des raisons…sanitaires. 

Un État transparent, gouvernant pour le peuple, et non pas dans son dos, demeure essentiel au bon fonctionnement d’une société démocratique, fondée sur l’État de droit et la séparation des pouvoirs. Mais il ne faut pas s’y méprendre. Pour parodier Obama, qui parlait de l’Afrique en général, on n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes. Trop de dirigeants, comme Trump ou Modi, ne retiennent que le mot «fort» et non pas «institutions».  Le politicien devient alors presque «Dieu» sur terre.

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Le «développement» et la «démocratie» ne sont pas deux notions antinomiques. Mieux, les deux peuvent et devraient être menés concomitamment. Aujourd’hui, d’aucuns tentent de favoriser le développement au détriment de la démocratie et des libertés individuelles. En Afrique, de telles approches ont débouché sur l’instauration de régimes dictatoriaux et de gouvernance calamiteuse. N’est pas Singapour ou Lee Kwan Yew qui veut…

Si sur le continent, les coups sont devenus des exceptions après des années de démocratisation, cela ne veut nullement dire que les démocraties ne meurent plus. Au contraire, elles meurent à des rythmes différents, souvent en silence, à petit feu, ou dans l’indifférence, sous les yeux d’un peuple aux yeux blasés, des suites d’une longue maladie, encore plus longue que le Covid-19, qui gangrène les institutions les unes après les autres. 

Un mandat (un seul heureusement) de Trump n’a pas marqué la mort de la démocratie américaine. Car là-bas les institutions sont restées indépendantes malgré les coups de semonce de Trump, qui prônait une forme de démocratie sans garde-fous.

Nous avons aussi des coups d’État constitutionnels, quand certains régimes votent des lois pour se mettre à l’abri, comme on avait essayé de le faire chez nous avec le Prosecution Commission Bill (tentative avortée grâce à la démission du PMSD du gouvernement Lepep en décembre 2016). En Guinée-Conakry, l’ancien président Alpha Condé  avait modifié la Constitution pour s’offrir un troisième mandat en 2020. En Tunisie, le président Kaïs Saïed avait évoquer un «péril imminent» pour geler les activités du Parlement. Sans suspendre la Constitution, il en a profité toutefois pour prendre une série de mesures d’exception qualifiée par les partis d’opposition comme un coup d’État contre la Constitution. A Maurice, le péril s’appelle, nous dit-on, le Covid-19. Alors que l’on croyait qu’il était sous contrôle grâce aux Drs Jagutpal, Gaud, Joomaye et le High-Powered Committee (qui opère sans procès-verbaux afin d’expédier les affaires), il vient priver les citadins d’élections municipales alors qu’en Inde, France et à Rodrigues, les rendez-vous électoraux ont été respectés. Pour attirer les touristes, le gouvernement se vante de sa stratégie anti-Covid-19, pour aller aux urnes, il dit son contraire. Allez comprendre.

L’abondante littérature scientifique sur les transitions démocratiques en Afrique subsaharienne touche beaucoup à la notion de «transitologie». Fait notable : les réformes, au lieu de favoriser un fonctionnement adéquat de l’État de droit et des alternances démocratiques du pouvoir exécutif dans un système politique multipartiste, déraillent et prennent plus souvent la route de l’autocratie. Et les institutions publiques sont vite détournées de leur mission initiale pour se mettre au service des princes qui gouvernent.

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Le développement et la démocratie ne sont pas deux notions antinomiques, disions-nous plus haut. Mieux, les deux notions peuvent et devraient être menées de pair. Cela est d’autant plus vrai qu’au lendemain des indépendances dans les années 1960, l’Afrique a déjà essayé, sans succès, l’expérience de privilégier le développement au détriment de la démocratie et des libertés individuelles.

Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, deux politologues de Harvard, avancent que nous avons tort de penser que des démocraties meurent surtout aux mains d'hommes armés. Ils ont recensé les autres moyens de briser une démocratie. «C'est souvent moins dramatique mais tout aussi destructeur que les armes à feu.» 

Levitsky et Ziblatt s’attardent sur l'érosion des normes, qu'ils considèrent comme la plus grande menace pour la démocratie contemporaine. «Les normes sont les règles et les conventions tacites qui maintiennent la cohésion d'une démocratie. Les dirigeants se doivent d’être gentils avec les gens en montant pour qu'ils soient gentils avec vous en descendant…»

Les hommes forts du XXIe siècle ne suspendent plus la Constitution. Ils se prosternent au contraire devant elle mais ensuite ils se comportemt comme si elle n'existait pas. Pensez à Erdoğan en Turquie, Orbán en Hongrie, Maduro au Venezuela : absolutistes jusqu’au bout des ongles, ils qualifient leurs adversaires de criminels, ils insultent leurs détracteurs et évoquent les théories du complot sur les mouvements d'opposition.