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L’opposition debout sur une jambe

12 mai 2022, 10:34

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La facilité déconcertante avec laquelle s’est effectué le renvoi des municipales (dont la tenue imminente était pourtant jugée par l’opposition essentielle pour relancer notre démocratie chancelante), de même que les protestations peu convaincantes formulées en la circonstance par l’entente de L’Espoir confirment une donnée politique de plus en plus évidente : l’unité de l’opposition, souhaitée par tant de Mauriciens, reste une très lointaine perspective.

En vérité, tous empêtrés dans mille calculs égoïstes, personne dans l’opposition n’est, à ce stade, véritablement intéressé à donner une forme concrète à cette unité ou prêt à redessiner les lignes et imaginer l’avenir. Presque soulagé par le renvoi des municipales, Navin Ramgoolam s’est précipité pour souligner que les négociations d’accord «ne sont plus une urgence». C’est tout dire !  

Il y a énormément d’hypocrisie entourant cette supposée volonté d’unité. Pour l’heure, le statu quo semble, en effet, convenir à beaucoup de monde en politique. La raison en est, qu’au fond, chacun a besoin de plus de temps pour mieux définir ses stratégies et arriver mieux armé à la table des négociations d’alliance. Un accord aux forceps ou une absence d’accord aurait peut-être tout chamboulé. Entretemps, le régime a, pour un an encore, le champ libre. L’opposition a été, sur ce terrain comme sur d’autres, une nette déception.

Sur certaines questions et sans que quiconque l’admette, les intérêts du régime et de l’opposition pourraient bien converger :

Le gouvernement n’est guère pressé d’affronter des municipales dans le cadre desquelles la moitié du pays voterait. Selon nous, iI fera tout pour désormais aller directement aux prochaines élections générales en esquivant, le plus longtemps possible, toute consultation populaire significative (municipales, partielles) qui pourrait, avant les élections générales, déclencher une déconvenue ou même un possible tsunami. Il faut donc, selon nous, faire une croix sur les municipales et commencer à se préparer à l’idée de «snap elections», possiblement dès 2023, si le MSM juge qu’il a jusque là suffisamment redressé la barre.

En face, l’entente MMM/PMSD/RM/Reform Party, dans sa forme actuelle, est elle aussi loin d’être prête à affronter d’éventuelles élections. Elle sait parfaitement que, sans le Parti travailliste engagé à fond dans son action, elle risque carrément le suicide électoral. Or, rien n’est encore réglé sous plusieurs rapports en termes de rapprochement et rien ne le sera tant que Navin Ramgoolam ne sera pas parvenu à ses fins : faire plier tout le monde à sa volonté de retour en force.

Rien n’indique, à notre sens, que Navin Ramgoolam veuille véritablement, sincèrement jouer la carte de L’Espoir. Il a manifestement d’autres plans en tête et, comme d’habitude, s’amuse à frustrer jusqu’aux os tous ses éventuels partenaires. 

L’équation politique actuelle à Maurice sur papier est, pour la plupart des Mauriciens, en apparence simple (il y aura lutte entre deux blocs en 2024) mais, dans la réalité des choses, elle est sensiblement plus complexe. Elle tient en trois constats :

1. Il n’y a aucune chance pour l’Espoir, dans sa forme actuelle, de déloger Pravind Jugnauth du pouvoir sans un vaste rassemblement des forces de l’opposition. Seuls les naïfs peuvent croire qu’un MSM de plus en plus hégémonique et augmentant sans cesse sa force de frappe électorale va «just roll over and die» parce qu’une partie de l’opinion publique le souhaite ou manifeste de temps à autre dans les rues.

2. Il ne peut y avoir d’alliance gagnante de l’opposition que si le Parti travailliste, avec ses 35 % de soutien populaire traditionnel, se rallie aux autres et jette toutes ses forces dans la bataille.

3. Or, le Parti travailliste ne sera dans aucune alliance de l’opposition si son chef, Navin Ramgoolam, ne dirige pas celle-ci et que le PTr ne contrôle pas clairement une majorité de tickets et de sièges au Parlement, lui permettant demain de gouverner sans alliés, autres que le PMSD. Chacun doit désormais comprendre et intérioriser ces faits : sauf retournement de situation majeur, tout changement de régime politique à Maurice passe nécessairement et inéluctablement par le Parti travailliste et donc par Navin Ramgoolam. La stratégie d’ensemble de celui-ci aujourd’hui est de se faire désirer aussi longtemps que possible et de convaincre la nation et le monde extérieur (i) qu’il est l’unique «challenger» possible de Pravind Jugnauth et, bon gré mal gré, quoi que l’on pense ou dise de lui, (ii) qu’il demeure la meilleure chance de l’opposition. Un postulat qui est loin de faire l’unanimité !

A partir de là, tout se complique singulièrement.

D’abord parce que Navin Ramgoolam, par tempérament et par calcul, n’est pas (contrairement à Paul Bérenger) un grand partisan d’alliances hétéroclites, «attrape-tout, fourre-tout», du genre «Everybody on board ». Ramgoolam est plutôt adepte de la manière Thatcher : «Don’t round up the angles. On the contrary, sharpen the edges!» Comme son père, sir Seewoosagur Ramgoolam, qui nous a imposé en 1965 notre système électoral inamovible, le leader travailliste depuis 30 ans croit fondamentalement en la bipolarisation politique extrême et à la théorie des blocs. Navin Ramgoolam travaille ainsi toujours à assembler de grandes coalitions de partis se complétant et n’aime pas particulièrement avoir, entre les jambes, une multitude de petits alliés encombrants ou récalcitrants qu’il doit accommoder, avec lesquels il doit partager le pouvoir ou auxquels il doit, en permanence, rendre des comptes.

Dans le secret de sa réflexion, la probabilité est donc que Navin Ramgoolam ne soit pas du tout excité à la perspective de voir le PTr venir seulement s’ajouter à l’Espoir dans sa forme actuelle. Il est même possible qu’il ne soit pas du tout convaincu que le PTr ait besoin de L’Espoir, de Bodha, de Bhadain ou des nombreux dirigeants de la nouvelle «Linion Pep Morisien» pour constituer une vraie alternative à Pravind Jugnauth.

Son option préférée pourrait bien être une coalition «classique» entre PTr, PMSD et MMM, où il s’octroierait 38 à 40 tickets, offrirait 20 ou 22 au MMM et au PMSD, laissant tous les autres aspirants sur le carreau, comme il n’a pas hésité à le faire avec son vieil ami, Sir Gaëtan Duval, en 1995.

Par ailleurs, Navin Ramgoolam n’aime pas particulièrement Nando Bodha et Roshi Bhadain et cette détestation est réciproque. La surprenante sortie publique de Nando Bodha contre un éventuel Prime ministership de Navin Ramgoolam, dont Bodha dit «ne pas croire qu’il ait changé du tout» est un puissant indicateur : A 68 ans, Nando Bodha, clairement, n’est pas disposé à passer le reste de sa carrière politique à servir les plans et les ambitions de Ramgoolam. Il n’a pas, dit-il ouvertement, sacrifié sa position au gouvernement et «fait tout ce qu’il a fait depuis sa démission» pour tout simplement remettre Navin Ramgoolam au Prime minister’s Office et lui permettre de reprendre les politiques et pratiques du passé.

Quant à Roshi Bhadain, la grosse querelle publique récente entre Shakeel Mohamed et le leader du Reform Party sur Radio Plus a révélé l’ampleur du malaise qui marque les rapports du PTr avec l’ancien ministre MSM. Roshi Bhadain – c’est connu - n’est pas tenu en odeur de sainteté chez les Rouges. Navin Ramgoolam ne lui a jamais pardonné ni le sort fait à la BAI ni le zèle vengeur des premières années du régime Jugnauth vis-à-vis de lui-même et des autres officiels de l’ancien régime. Même s’il ne le concédera jamais, la probabilité est que Navin Ramgoolam a réservé à Bhadain un chien de sa chienne.

Tout cela promet et provoque déjà des étincelles.

Une maladresse aux lourdes consequences

Davantage que d’autres facteurs de tension, un incident majeur a, il y a quelques mois, pollué toute l’atmosphère  dans l’opposition: En annonçant de manière inattendue, prématurée et sans doute bien inutile à ce stade, que Navin Ramgoolam «ne serait pas, en 2024, le candidat désigné de l’opposition au Prime ministership» (manifestement sans l’accord du principal intéressé), espérant impulser une dynamique «Boolell for PM», l’Espoir s’est lui-même enfermé dans une situation qui se complique au fil du temps et qui pourrait bien, à la longue, devenir inextricable.

Cette maladresse et inélégance, perçues par Navin Ramgoolam comme un «crime de lèse-majesté» et un affront personnel, a engendré des conséquences psychologiques désastreuses :

1. Elle a suscité le retrait furieux et immédiat du PTr de l’alliance de l’opposition à peine constituée, ruinant des mois d’efforts de rapprochement.

2. Pour tenter de recoller les morceaux, l’Espoir se retrouve aujourd’hui contraint de ramener Navin Ramgoolam en première ligne et de travailler à le regagner pleinement par diverses formules «à l’israélienne» auxquelles, connaissant le personnage concerné, personne ne croit vraiment. Le leader travailliste ne partage jamais le pouvoir et ce n’est pas maintenant qu’il va commencer !

3, Dans tous les cas de figure, l’Espoir sera finalement obligé de se déjuger publiquement, en renommant Navin Ramgoolam comme Shadow Prime Minister, s’attirant cette fois les sarcasmes de ses adversaires. Car Si Ramgoolam était jugé inapte par ses partenaires eux-mêmes à être Premier ministre en mars 2021, pourquoi deviendrait-il apte à gouverner en 2024, dix ans après avoir perdu le pouvoir ? Comment l’Espoir, après la réserve exprimée face à Ramgoolam, pourrait-il en 2024 «vendre» celui-ci au pays de manière crédible ?

4. «L’impertinence» de l’Espoir a provoqué chez Navin Ramgoolam un de ses sursauts d’orgueil largement prévisibles et décuplé sa volonté de démontrer à tous qu’il tient fermement les rênes du Parti travailliste, qu’il est le véritable «patron» de l’opposition et qu’il appartient aux Travaillistes, et aux Travaillistes seuls, de choisir leur chef et le candidat au leadership de toute coalition.

5. Par ailleurs, loin de promouvoir les intérêts d’Arvin Boolell comme Shadow Prime minister, la manœuvre ratée d’exclure Navin Ramgoolam du jeu aura, au contraire, marginalisé Boolell et sans doute fait taire les aspirations de celui-ci pour plusieurs années encore. Populaire dans l’opinion publique, bien moins dans les instances officielles du PTr, excellent leader parlementaire, Arvin Boolell lui-même a dû admettre dans une récente interview à l’express que «Navin Ramgoolam va certainement diriger le prochain gouvernement» et qu’il y a «consensus» sur cette question, même s’il ajoutait aussitôt pour sauver la face que Navin Ramgoolam serait, après 2024, «un Premier ministre de transition, pas pour la durée d’un mandat complet, entouré d’une direction collégiale». Tout cela est du vent : chacun sait bien qu’une fois désigné aux fonctions de PM, Navin Ramgoolam restera le temps que Dieu lui prêtera vie. Ceci pourrait impliquer, pour Arvin Boolell, six nouvelles années à l’ombre de Navin Ramgoolam. Arvin Boolell ne peut, en effet, aujourd’hui «step up» au PTr que si Ramgoolam «steps down» ou est victime d’une «révolution de palais». Or Navin Ramgoolam ne va pas «step down» tant que sa santé le lui permettra et il n’y aura jamais de «révolution de palais» contre lui au PTr, qu’il contrôle totalement. L’Espoir a donc loupé son coup.

Enfin, la maladresse de l’Espoir a aussi permis un repositionnement du PTr sur l’échiquier, en lui rendant son entière autonomie d’action et de pensée et l’exercice de celle-ci peut, à n’importe quel moment, brouiller les cartes et semer la confusion.

Navin Ramgoolm est, de loin, l’élément le plus orgueilleux, le plus rancunier et le plus calculateur de la classe politique mauricienne. Sa technique et son style de leadership ne varient guère depuis son retour en 1990 : se faire aduler par ses partisans mais craint par ses collaborateurs ; ne jamais céder aux pressions publiquement exprimées ; garder le dernier mot sur tout ; ne jamais céder sur ses prérogatives comme chef de parti ou de gouvernement ; frustrer continuellement tout le monde en ne laissant jamais rien paraitre de ses intentions réelles ; manier facilement l’insulte et simuler de grandes colères; enfin «keep everybody guessing» quant à ses prochaines manœuvres.

C’est à tout cela qu’amis et adversaires ont à faire face, ces jours-ci. Pour l’unité, on est donc loin de la coupe aux lèvres !

Enfin, huit ans après sa déroute de 2014, Navin Ramgoolam se retrouve-t-il comme un facteur sine qua non de tout rassemblement des anti-Jugnauth et comme le «challenger» officiel de Pravind Jugnauth ? Le décor de 2024 est donc planté. Enfin, toute désignation officielle par l’entente de l’Espoir de Ramgoolam comme Shadow Prime minister tuerait les rumeurs de rapprochement PTr-MSM et confirmerait qu’il n’y a plus d’accommodement possible entre Navin Ramgoolam et Pravind Jugnauth, comme l’espéraient certains, mais bien au contraire une lutte à venir sans merci et un duel de tous les instants.

Voilà pourquoi le MSM s’agite et se prépare à la guerre après avoir essayé la séduction ; pourquoi le MMM s’énerve devant le rôle secondaire qui lui serait réservé ; pourquoi le PMSD se repositionne pour être comme toujours proche de la locomotive travailliste ; pourquoi Xavier Duval sera bientôt invité à venir (préférablement seul) prendre un verre à Riverwalk ; pourquoi Nando Bodha et Roshi Bhadain s’inquiètent d’être, le moment venu, les victimes expiatoires de toute l’opération ; pourquoi certains pays amis se désolent et pourquoi les forces du changement continueront à désespérer.