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Chronique de deux enfers

29 mai 2022, 09:00

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Chronique de deux enfers

Haïti! 

L’un des pays les plus pauvres de la planète ! Papa et Bébé Doc, c’est là-bas ! Les tontons Macoutes, c’est encore là-bas ! Corruption endémique, guerre de gangs, Haïti affiche un PNB/tête d’environ 1 050 $ par an et plus de 60 % de la population est classée comme ‘pauvre’. À l’indice du développement humain, Haïti est 170e sur 189 pays. Pour couronner le tout, si le cyclone Matthew détruisait, selon la Banque mondiale, 32 % du PNB en 2016, le tremblement de terre de 2010 faisait, lui, 250 000 morts et fracassait l’équivalent de 120 % du PNB. Celui de 2021 affectait 800 000 habitants, dont 340 000 enfants… 

Si certains pays se croient «bénis des dieux», d’autres, dont Haïti, paraissent plutôt négligés, voire haïs par ceux-là même… 

Les premiers habitants de l’île d’Hispaniola sont issus de la tribu Arawak et arrivent de l’embouchure de l’Orinoco. Leur vie est rustique, voire bucolique, jusqu’à l’arrivée de Christophe Colomb en 1492.On estime qu’ils atteignaient alors peut-être 750 000. Dès 1503, cette population locale, décimée par l’exploitation éhontée de leurs productions agricoles et les maladies importées, ne suffit plus aux Espagnols pour exploiter l’île, principalement son or. Commence alors l’importation d’esclaves d’Afrique. En 1514, il ne reste plus que 26 334 indigènes. 

La grande île d’Hispaniola sera divisée en deux en 1697, les Français, avec leur présence par pirates interposés, récupérant le tiers de l’île à l’Ouest. Cette «perle des Antilles» est longtemps, grâce au sucre et aux esclaves, la plus riche colonie des Caraïbes. Une histoire très colorée, dans le sillage des guerres qui se passent en Europe, mène à la seule révolte d’esclaves réussie dans le monde, qui débute en 1791 (Toussaint L’Ouverture, ça vous dit ?) et à la déclaration d’Indépendance de Haïti en 1804. 

C’est 20 ans plus tard, en 1825, que la France envoie un escadron de vaisseaux de guerre avec un message incroyable : payez des compensations à vos anciens maîtres, sinon c’est la guerre ! L’émissaire de Charles X disait ainsi que la France (contrairement à l’Angleterre, dont le gouvernement empruntait l’équivalent de 40 % de son budget annuel, soit 20 millions de livres sterling), voulait que ce soit les anciens esclaves eux-mêmes qui paient des ‘réparations ‘ à leurs anciens propriétaires ! La demande était pour 150 millions de francs or, remboursables en cinq annuités. Haïti, sans amis, fragile et ne souhaitant pas affronter une nouvelle guerre, signe. Comme elle ne peut pas repayer cette véritable ‘taxe’ de la France, représentant, est-il estimé, six fois ce que produit alors Haïti, on lui… fait un prêt. Les frais de dossiers, les intérêts, les commissions sont démoniaques. À chaque rééchelonnement (il y en a eu de nombreuses…), on en a profité pour ajouter des frais à ce dossier singulier! Ça ne suffisait pas : la France obtient même qu’Haïti réduise les frais de douane sur les importations françaises par 50 % ! Ça aurait pu être pire, mais il fallait quand même qu’Haïti garde une narine hors de l’eau pour pouvoir rembourser… 

Selon une enquête du New York Times publiée cette semaine (*), Haïti repaie l’équivalent de 560 millions de dollars en valeur actualisée. Ce qui aura, en fait, coûté entre 21 et 115 milliards de dollars en occasions «ratées» de développement local. Ce qui expliquerait aussi largement pourquoi l’autre moitié de l’île, aujourd’hui la République Dominicaine, est plus de huit fois plus riche par tête d’habitant. Ce remboursement s’étale sur plus de 100 ans… 

Mais le remboursement de la dette n’est qu’une partie de ce que l’économiste Thomas Picketty appelle le «néocolonialisme par la dette». En effet, en 1880, modification de tactique puisque la Banque nationale d’Haïti est créée. Elle n’est souveraine qu’en nom ! Contrôlée par un conseil d’administration basé à Paris, elle est fondée par une banque française, le Crédit Industriel et Commercial (CIC) et génère des profits exorbitants pour ses actionnaires en France. Le CIC contrôle en fait le Trésor public d’Haïti et le gouvernement paie des commissions à chaque fois qu’il dépose ou qu’il retire des fonds… En 1910, il y a de nouveaux prêts avec de nouveaux actionnaires. Ils sont français, allemands et américains, mais ces derniers manoeuvrent pour prendre le contrôle. En décembre 1914, un petit groupe de Marines s’introduit à la banque nationale et en ressort avec un demi-million de dollars de lingots d’or qui sont entreposés dans une banque à Wall Street ! À l’été 1915, l’armée américaine envahit Haïti au prétexte qu’elle est trop pauvre et instable pour être livrée à elle-même. L’occupation durera 19 ans. Pendant cette période, le Parlement est dissous, des fantoches sont au pouvoir et en 10 ans, Haïti paie 25 % de ses revenus bruts au remboursement de dettes contractées, cette fois, vis-à-vis d’une banque américaine; l’ancêtre, en fait, de Citigroup ! Les Américains partent en 1934, mais contrôlent les finances pour encore 13 ans jusqu’à ce qu’Haïti rembourse toutes ses dettes… 

Le pillage externe est terminé. C’est le pillage interne qui commence. Les élites privilégiées en place ne veulent rien céder ou partager. La famille Duvalier règnera et pillera entre 1957 et 1986. Le président Jean Bertrand Aristide, 1er président élu d’Haïti, tente de demander réparation à la France et le 7 avril 2003, il demande la restitution de 21 685 135 571,48 dollars. En 2004, il est chassé du pouvoir. Comme admis depuis par l’ambassadeur Thierry Burkard, en poste à Port-au-Prince en 2004, ce départ est orchestré par Français et Américains qui ne souhaitaient pas le voir donner «le mauvais exemple» à d’autres… 

On peut conclure à la loi du plus fort, à ce que les plus faibles sont toujours les plus faciles à tondre et aux très puissantes entraves que l’on peut imposer à ses devoirs de repentance et de justice quand les ego ou l’argent sont en jeu… Ce qui mène inévitablement à l’enfer. Un enfer imposé par la force. 

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Une autre tuerie d’enfants dans une école américaine. Après Sandy Hook, 26 morts, et Columbine, 13 morts, maintenant Uvalde au Texas, 21 morts. Si seulement ça s’arrêtait là ! Malheureusement, il y a eu 119 fusillades dans les seules écoles depuis 2018, 34 l’an dernier et 27 jusqu’ici en 2022 ! 

Avec toutes les autres fusillades, c’est comme si on assistait à la lente immolation de la plus grande puissance du monde ! 

L’équation de base est simple. Le second amendement semble garantir «the right to bear arms». Cependant, cet amendement dit aussi que c’est nécessaire que cela se passe à l’intérieur d’un «…well regulated militia, being necessary to the security of a free state…», ce qui est occulté par les propagandistes de cet amendement. Les interprétations de la Cour suprême des États-Unis ont, depuis, sérieusement complexifié la donne (**), d’autant que le lobby des producteurs d’armes et de nombreux mouvements de droite, dont la National Rifle Association (NRA), ont revendiqué un droit individuel absolu à posséder des armes et se sont systématiquement opposés à toute règlementation, au motif que le citoyen a le droit d’assurer sa défense personnelle. Quarante-et-un sénateurs de petits États conservateurs sur 100, largement financés par le lobby des armes, suffisent pour bloquer tout contrôle d’armes à feu ! (***). Pas si malin que ça, finalement, cette Constitution qui accorde deux sénateurs par État, quelle que soit sa population ! 

Le résultat est que 45 222 mortalités en 2019 aux États-Unis sont causées par balle, 54 % étant des suicides et 43 % des homicides. Les États-Unis sont uniques pour la possession d’armes à feu individuelles de toutes sortes : 120,5 armes pour 100 habitants en 2018, comparativement à 88,0 en 2011 ! D’autre part, seuls quatre adultes américains sur 10 disent vivre dans un foyer où il y a au moins une arme à feu, ce qui veut dire que de nombreux foyers doivent posséder un véritable arsenal pour établir ce ratio surprenant de 120,5 armes/ 100 habitants ! Ce qui semble clair, c’est que plus il y a d’armes, plus il y a des suicides et d’homicides. Ainsi, 79 % des meurtres aux États-Unis sont causés par des armes à feu. Le chiffre équivalent en Australie et au Royaume-Uni où le contrôle d’armes est devenu beaucoup plus strict, est de 13 % et 4 % respectivement… Les homicides américains, par 100 000 habitants, sont sept fois plus nombreux qu’en Australie et cinq fois plus qu’au Royaume-Uni. 

Depuis longtemps déjà, une majorité d’Américains, 56 % au dernier sondage Gallup, souhaite une législation plus restrictive sur les armes ! Le problème, c’est que si 91 % des démocrates ont ce souhait, seuls 24 % des républicains les rejoignent. La question, explosive, est donc totalement politisée, y compris à la Cour suprême… Pendant ce temps-là, les parents des enfants et les autres qui se font tuer sont, pourtant, indifféremment… républicains, démocrates ou indépendants. Sans triage. Un enfer auto-infligé, s’il en est un !

(*) https://www.nytimes.com/fr/2022/05/20/world/haiti-aristide-france-reparations.html

(**) https://www.law.cornell.edu/wex/second_amendment

(***) https://simple.wikipedia.org/wiki/List_of_U.S._states_by_population