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Pour le peuple, top Pour l’économie, bof

9 juin 2022, 12:30

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Ils sont plusieurs observateurs qui croient déceler dans le troisième Budget de Renganaden Padayachy des desseins électoralistes. L’élimination inattendue de la taxe municipale, qui figure pourtant dans le programme électoral du MSM, renforce cette impression, d’autant que les élections municipales ont été renvoyées en avril dernier. Ce qui a cassé l’élan de réunification de l’opposition parlementaire.

Du coup, les signaux sont aujourd’hui brouillés volontairement. L’on ne sait plus si le gouvernement irait vers des élections générales anticipées ou tiendrait, avant juin 2023, les municipales, avant d’aller jusqu’au bout de son mandat, soit fin 2024. Certains spéculent, d’autres analysent, mais en vérité personne ne sait, même pas le ministre des Finances, sauf, peut-être, le Premier ministre qui cache bien son jeu, en flirtant à la fois avec le monde rural et les citadins. Ce qui vient désavouer ceux qui pensaient qu’il mise uniquement sur les villages et sur le système électoral inique (de même que sur l’incapacité de l’opposition de tenir sur ses deux jambes) pour se maintenir au pouvoir.

À ceux qui nous disent donc qu’avec le Budget 2022-2023, Maurice passe à l’heure électorale, nous répondons : ce n’est pas vraiment une nouvelle ! Notre triste vérité c’est que notre pays et ses politiciens sont en campagne permanente. Au lieu de saluer Padayachy pour les mesures sociales qui vont alléger le peuple dans l’immédiat – le long terme, c’est autre chose ! – l’opposition, de Xavier Duval à Paul Bérenger, s’autocongratule. «Ils nous ont écoutés (…) Grâce à nos pressions et suggestions, le gouvernement a accepté d’augmenter la pension, a accordé le ’cash handout’ deRs 1 000 à ceux percevant moins de Rs 50 000 par mois, et introduit le bon d’épargne pour les retraités. Et ce, même si l’inflation de 15 % effacera rapidement ces aides (…) Notre demande pour réduire la marge de profits sur les médicaments a aussi été entendue.» Mais les travaillistes, eux, restent virulents et comptent démontrer la «manipulation des chiffres et des indicateurs» d’ici vendredi. Ramgoolam ne fait pas dans la demi-mesure et entend casser le «feel good factor» généré, étonnamment, dans une large mesure, tant au sein du secteur privé que dans les rangs syndicaux.

Les politiciens font face à un dilemme commun : il est difficile de rester popu- laire s’il faut trancher entre les employeurs et les employés. Le problème avec nos politiciens, c’est que trop souvent leur vision va jusqu’à cinq ans au maximum. Elle s’arrête au renouvellement ou pas de leur mandat. Leur raisonnement est simple : il faut être au pouvoir pour initier des réformes. Et pour être au pouvoir, il faut être populaire. Et pour être populaire, il faut séduire l’électorat en partageant davantage de richesse – que l’État ne crée pas, mais consomme – et en essayant de la partager entre différents groupes de votants. Pareille survie politicienne n’est pas compatible avec le présent contexte économique, qui a besoin d’une nouvelle vision stratégique, de nouveaux piliers économiques et de moins en moins de pillages et de gaspillages des fonds publics.

Quand il s’agit de juger des effets d’une politique économique, le journaliste-économiste français Frédéric Bastiat (1801-1850) mettait, il y a longtemps déjà, en balance «ce que l’on voit» et «ce qu’on ne voit pas». Pour lui, dans la sphère économique, un acte politique, comme la réforme économique (que Padayachy n’a pas osé mener !) n’engendre pas seulement un effet, mais une série d’effets, qu’on voit progressivement, dans le temps. Entre un mauvais et un bon économiste, la différence c’est que le premier s’en tient à l’effet visible, l’autre tient compte de l’effet qu’on voit et de celui qu’on ne voit pas et qu’il faut prévoir. Frédéric Bastiat, pourtant défenseur du libre marché, était l’un des premiers à vulgariser la notion que l’activité économique n’est pas une activité close qui s’exerce au travers de statistiques, mais que l’activité économique, par sa nature, débouche, d’un côté, sur l’homme et, de l’autre, sur la société.

Le fait est que nous avons tout juste dépassé le mi-mandat électoral, et que nous sommes au milieu d’un vaste monde qui change sans cesse en raison du réchauffement climatique, de la crise énergétique et des conflits géopolitiques et géostratégiques majeurs. Et le petit jeu politique mauricien est dépassé. Il faut voir plus grand, plus loin. Moins étriqué ! Il faut voir ce qu’on ne voit pas encore. Le discours nécessaire pour un développement durable et une économie circulaire s’inscrit dans le temps. Après leur mandat, les politiciens peuvent s’en aller, le pays, lui, sera toujours là.

Padayachy s’est montré économe sur comment il va financer la série de mesures-confetti qui sont destinées à calmer la colère de la rue face à la perte du pouvoir d’achat. D’autant qu’il n’a pas jugé bon de cibler ceux qui ont vraiment besoin des aides sociales. D’autre part, il n’a rien dit sur la Mauritius Investment Corporation, malgré les recommandations spécifiques du FMI et de Moody’s. Celles-ci vont-elles réagir en exposant les manœuvres du gouvernement, qui a clairement opté pour le court terme et le peuple, au lieu de soigner l’économie et l’avenir ? Après les tap latab, se fera-t-on taper sur les doigts pour la comptabilité créative de Padayachy ?