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Avortement : États désunis

28 juin 2022, 09:38

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La défaite de Trump face à Biden ne signifie pas la mort du Trumpisme, disaiton en novembre 2020. Son successeur aura tout fait pour effacer le passage douloureux de l’homme d’affaires à la Maison Blanche. Kamala Harris a même été nommée pour rétablir une certaine balance et réaffirmer l’image de la femme, qui avait été malmenée. 

Mais Trump, misogyne et raciste, avait déjà planté les graines de la discorde. Nous venons d’en avoir la preuve. En rendant vendredi la liberté aux 50 États américains d’interdire l’avortement sur leur territoire, la Cour suprême des États-Unis, où les conservateurs siègent en force depuis le mandat de Trump, a divisé le pays comme jamais auparavant. 

Le pays se voit désormais coupé en deux. Du côté des anti-IVG (Interruption volontaire de grossesse) ou pro-Life, qui sont majoritairement (mais pas que) républicains, c’est la joie, l’exultation dans les rues. La décision «suit la Constitution» et «ramène tout au niveau des États, ce qui aurait toujours dû être le cas», a réagi Donald Trump au micro de Fox News. Interrogé sur le fait d’avoir basculé la majorité de la haute juridiction dans le camp conservateur, le milliardaire républicain a répondu : «C’est la volonté de Dieu.» On dirait qu’il a lancé sa campagne pour la présidentielle 2024 ! 

Mais chez les nombreux défenseurs du droit à l’avortement, c’est la colère, la déception. Le président Joe Biden a qualifié la décision d’«erreur tragique», qui est le résultat d’une «idéologie extrémiste». «La santé et la vie des femmes de ce pays sont maintenant en danger», a-t-il déploré. «C’est un jour triste pour l’Amérique...» 

Sur Twitter, Barack Obama s’est, lui, lâché en ces termes : «Today, the Supreme Court not only reversed nearly 50 years of precedent, it relegated the most intensely personal decision someone can make to the whims of politicians and ideologues – attacking the essential freedoms of millions of Americans.» 

La Cour suprême des États-Unis a voté par cinq voix contre quatre pour l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade de 1973 (qui avait établi le droit des Américaines à avorter), estimant que ce texte autorisant l’interruption volontaire de grossesse au niveau fédéral était une décision erronée, «car la Constitution des États-Unis ne fait aucune mention spécifique du droit à l’avortement et aucun de ses articles ne protège implicitement ce droit», écrit le juge conservateur Samuel Alito au nom de la majorité dans la décision rendue vendredi. «Il est temps de rendre la question de l’avortement aux représentants élus du peuple», dans les parlements locaux. 

À peine la Cour suprême avaitelle décidé que le droit à l’avortement n’était pas inscrit dans la Constitution que plusieurs États, surtout dans le Sud et le centre, qui sont davantage religieux et conservateurs, ont rendu la procédure illégale, vendredi. À terme, la moitié des États du pays pourraient interdire ou restreindre le droit à l’IVG ! 

La décision américaine va à l’encontre de l’évolution de l’IVG dans le monde. Ces deux dernières décennies, plus de 50 pays, dont Maurice, ont adopté une législation moins restrictive en la matière, en reconnaissant parfois le rôle essentiel de l’IVG pour la protection de la vie, de la santé et des droits fondamentaux des femmes. 

Quelques embellies aussi à noter. C’est sans doute ce qui fait la force et la beauté des États-Unis. Face au retour en arrière, la Californie se prépare à devenir à nouveau un État «sanctuaire» pour toutes les Américaines. Ses cliniques sont prêtes pour satisfaire les demandes supplémentaires d’IVG, selon le Planning familial. «La Californie ne va pas rester les bras croisés alors que des extrémistes reviennent sur nos droits constitutionnels fondamentaux. Nous allons nous battre férocement pour que toutes les femmes, et pas seulement celles de Californie, sachent que cet État continue à protéger leurs droits», a prévenu le gouverneur démocrate, Gavin Newsom. 

Aussitôt après la décision de la Cour suprême, il a promulgué une loi qui protège les femmes ayant avorté en Californie, ainsi que leur médecin, de poursuites intentées par d’autres États. De même, plusieurs entreprises américaines comme Disney ou Meta ont déjà annoncé qu’elles s’engageaient à couvrir les frais de déplacement de leurs employées qui se verraient obligées de voyager pour recourir à un avortement. 

En 2012, l’avortement sous certaines conditions est devenu une réalité à Maurice, même s’il y a encore du progrès à faire. C’est mieux en comparaison à une vingtaine d’autres pays africains, où l’avortement reste interdit, notamment l’Egypte, le Sénégal, le Gabon, Madagascar ou encore la Mauritanie.

Dans un communiqué publié, l’Académie pontificale pour la vie souligne la nécessité de mettre en place des lois pour venir en aide aux femmes enceintes en difficulté. À Maurice, le cardinal Piat disait en 2012, que le gouvernement a raison de se préoccuper de la détresse des femmes qui vivent une grossesse non-désirée, «mais leur proposer l’avortement comme solution ne respecte pas leur dignité de femme». 

«Nous avons le devoir de soutenir les femmes dans ces situations et de leur donner les moyens d’assumer leur responsabilité avec dignité», avait affirmé Mgr Piat, de concert avec Mgr Ernest. Selon eux, dans le cas de relations sexuelles avec mineure de moins de 16 ans aboutissant à une conception, l’avortement deviendrait un moyen de contraception. «Cela banalise l’élimination d’une vie. Et une telle pratique aura de graves répercussions.» 

Mais les deux religieux n’ont pas fait l’unanimité. Le secrétaire du Conseil des religions de l’époque, Abdool Majeed Korumtollee, avait déclaré que le conseil était d’accord avec l’IVG, dans certains cas spécifiques. À noter qu’il s’exprimait sur la question, en l’absence du président du conseil, le père Philippe Goupille, qui était en mission à Rome. «Nous ne voulons cependant pas banaliser ce débat. Mais nous sommes d’avis qu’une femme peut avoir recours à l’IVG dans certains cas. Lorsque l’IVG se trouve être la solution ultime pour sauver la vie de la mère, alors là nous sommes d’accord…» Ce qui s’est passé aux États-Unis va forcément relancer le débat à Maurice, au Vatican et ailleurs.