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Les affaires s’invitent sur le front de l’investissement

13 juillet 2022, 21:27

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Les affaires s’invitent sur le front de l’investissement

Alors que le ministre des Finances a rencontré lundi les capitaines de l’industrie pour qu’ils changent de braquet et passent à l’offensive, après les annonces budgétaires et en attendant l’adoption du Finance Bill, le mood dans le pays n’est pas pour le moins propice à une telle démarche. La succession des affaires, les unes plus troublantes que les autres, comme les allégations de tortures policières sur certains suspects, celles de l’ex-patron de Mauritius Telecom sur l’installation d’équipements pour sniffer le trafic Internet sur le réseau SAFE en passant par la perception de la population de vivre dans un État policier, sont susceptibles de refroidir l’ardeur des investisseurs locaux et internationaux à se lancer dans de nouvelles aventures industrielles. 

D’autant plus que le pays est entré dans une phase d’instabilité où les grandes manoeuvres animent les partis de l’opposition avec un sentiment d’unité retrouvée pour faire partir le Premier ministre, même si celui-ci maintient qu’il est déterminé à aller jusqu’au bout de son mandat, tenant le cap jusqu’en 2024 pour dresser éventuellement le bilan de son action gouvernementale à la faveur des prochaines échéances électorales. Dans cet environnement délétère, les dernières statistiques des comptes nationaux publiées à la fin du mois dernier, viennent ajouter leur grain de sel pour indiquer que les choses pourraient se tasser sur le front de l’investissement. Certes, les interprétations divergent, mais, en clair, les experts de Statistics Mauritius indiquent que le rythme de l’investissement sera ralenti au niveau national cette année. 

En gros, l’investissement connaîtra une croissance de seulement 0,9 % en 2022 contre un taux de 14 % l’année dernière. Doit-on alors comprendre qu’il y aura moins de milliards, publics comme privés, pour investir, pour le développement des infrastructures et autres projets d’intérêt national ? Pas nécessairement, répond l’analyste financier Imrith Ramtohul qui soutient que les pourcentages de baisse sont en termes réels et non pas nominaux, et doivent, de ce fait, exclure l’effet d’inflation. «Nous avons eu, en 2021, une base de comparaison basse en raison d’une forte contraction de 26,2 % des investissements compte tenu de la crise sanitaire et du confinement du pays. Donc, c’est une année exceptionnelle. Il faudra peut-être comparer le niveau d’investissement à celui de 2019 qui a été plus ou moins une année normale où on note justement une hausse de 4,9 %.» 

De son côté, l’économiste Pierre Dinan souligne que si l’investissement, exprimé en roupies, chute en 2022, cela peut avoir un effet, notamment sur l’emploi mais aussi sur les travaux publics, qui ont, toutefois, la part belle ces tempsci, dit-il, grâce aux travaux d’extension du métro, entre autres ainsi que «les travaux annoncés en grande pompe dans le discours du Budget, par rapport aux drains et autres canalisations à travers les villages et les localités».

Recours aux emprunts

À l’Economic Development Board (EDB), son CEO, Ken Poonoosamy, souscrit à la même analyse : «En termes nominaux, la valeur des investissements a augmenté, Rs 93 milliards en 2021 à Rs 102 milliards cette année. Il y a un effet statistique quand on mentionne une hausse de 14 % en 2021 car en 2020, il y avait une contraction économique de presque 15 % avec des investissements en chute libre à Rs 78 milliards en raison de la crise sanitaire et le premier lockdown.» 

Indépendamment de l’analyse qu’on veut donner à cette baisse de croissance sur le front de l’investissement, le fait demeure qu’à la différence du privé où l’investissement est obligatoirement suivi d’un retour, l’État y injecte des fonds, à coup des milliards sans qu’il y ait en contrepartie d’obligation de résultat. Certes, l’argument mis en avant est que l’État investit pour développer des infrastructures physiques du pays pour le bien-être de la population et des stakeholders. Or, l’investissement a un coût et l’État n’a pas des fonds illimités. Metro Express est le parfait exemple. 

Des spécialistes s’interrogent aujourd’hui sur la finalité de ces investissements. Ils se demandent si, à un moment donné dans le monde, l’État défendait un placement public axé sur l’intérêt général, la rentabilité étant secondaire, cette situation doit être poursuivie aujourd’hui, vu que bien souvent l’État n’a pas les moyens de ses ambitions et doit avoir recours aux emprunts pour financer ces investissements. 

Rajiv Hasnah, économiste, soutient que quand on parle de l’investissement de l’État il y a des paramètres à prendre en considération. «C’est un débat qui soulève forcément des passions car, entre ceux qui pensent que l’État doit investir sans se soucier du retour de ses investissements, et ceux qui pensent que dans un contexte de crise inflationniste et d’incertitude économique, il y a des choix à faire aujourd’hui quand un gouvernement investit, il y a une réflexion à engager.» Sans doute, l’État, comme pendant les années précédentes et en période de crise, assurera la croissance par ses investissements publics, cela alors que l’investissement privé devrait croître de seulement 0,3 % cette année par rapport au 18,3 % de l’année dernière. Cependant, il ne faut pas généraliser et tirer les conclusions hâtives pour affirmer qu’il y a moins d’investissements privés. 

Pierre Dinan se demande s’il s’agit de moyens financiers insuffisants ou bien d’une attitude d’attente devant l’évolution de l’économie mauricienne dans un contexte international marqué par la guerre en Ukraine et les incertitudes résultant d’un certain nombre de couacs au niveau de la gouvernance publique au sein de notre pays. Il soutient que l’investissement privé requiert, entre autres, «la confiance dans une gouvernance politique respectueuse des sacro-saints principes démocratiques de la Constitution, et de la cohérence dans les choix de développement économique de notre pays». Or, il note que depuis ces dernières années, l’accent très fort placé sur les travaux publics et l’immobilier a relativisé l’importance de l’apport, année après année, des secteurs agricoles et manufacturiers dans la bonne santé économique du pays et, particulièrement, le soutien continu en devises étrangères à la balance des paiements extérieurs. 

Comme Pierre Dinan, Imrith Ramtohul ne croit pas qu’il s’agit d’un manque de moyens financiers, d’autant plus que le financement coûte moins cher avec des taux d’intérêts réels qui sont négatifs. «Il se peut qu’il existe d’autres raisons pour expliquer ce faible taux d’investissement en termes réels. Je pense notamment à un manque de visibilité lié au Covid et à ses restrictions sanitaires, aux risques d’une récession mondiale, à une fiscalité élevée ou encore à des coûts des matières élevés. Autant de facteurs qui rend un exercice de planning compliqué.» Il ajoute que l’enveloppe totale de l’investissement sera de Rs 102 milliards cette année contre Rs 94 milliards l’année dernière. 

Et quid de l’investissement public ? «Dans ce pays à économie mixte, l’investissement public a son rôle à jouer, surtout en période postpandémie. Oui au keynésianisme auquel on a eu recours lorsque les revenus des industries se sont asséchés en 2020 et 2021. Mais gare à la prise de mauvaises habitudes par rapport au recours à l’investissement public qui, faut-il hélas le rappeler, est largement financé par le gonflement de la dette publique», poursuit Pierre Dinan dans son analyse. 

Toujours est-il que les investissements publics comme privés sont les deux composantes essentielles pour assurer une reprise économique, tout comme d’ailleurs l’investissement direct étranger qui arrive au compte-gouttes en raison d’une conjoncture économique marquée par une grande volatilité. À l’EDB, on est confiant de pouvoir tabler sur un montant de Rs 20 milliards cette année, supérieur aux Rs 15,4 milliards engrangés l’année dernière. 

Cependant, d’une année à l’autre, le recoupement du Foreign Direct Investment (FDI) parmi les principaux secteurs économiques fait toujours débat. C’est surtout à cause de sa trop forte dépendance sur l’immobilier qui certes ne date pas d’aujourd’hui et qui depuis 2012, occupe plus de 50 % des investissements directs étrangers. Tout en reconnaissant que le gros des investissements passe par l’immobilier, l’EDB soutient qu’il y a eu des efforts pour diversifier les sources d’investissements, soulignant que quand on parle jusqu’à 75 % des FDI dans l’immobilier, «il faut comprendre qu’il y a des composantes liées à d’autres secteurs d’activité comme la construction résidentielle, les smart cities ou encore les services médicaux qui sont comptabilisés sous l’item immobilier. Nous reconnaissons qu’il y a des efforts additionnels à faire pour essayer d’équilibrer la composition des FDI mais la conjoncture économique ne s’y prête pas.» 

Quoi qu’il en soit, l’investissement reste tributaire d’autant de paramètres économiques mais demeure en même temps la clé pour doper la richesse d’un pays.