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Au coeur d’une rivalité plus grande que nous
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Au coeur d’une rivalité plus grande que nous
Nous avons, sur papier, un ministre de la Technologie de l’information, de la communication et de l’innovation, en la personne du souriant Deepak Balgobin. Il fait partie d’un conseil des ministres qui est censé discuter, de manière collégiale, des intérêts stratégiques du pays, comme la sécurité du pays ou la protection des données digitales. Or, de ses propres aveux, nous savons que notre Premier ministre peut passer outre au cabinet ou au board de Mauritius Telecom pour s’adresser directement au CEO, surtout lorsqu’il s’agit de faire bonne impression sur Narendra Modi.
Pour comprendre l’intérêt grandissant de l’Inde pour Maurice et le sud-ouest de l’océan Indien, il faut dépasser la petite personne de Pravind Jugnauth et analyser les positionnements de l’Inde sur l’échiquier mondial par rapport à la guerre en Ukraine. Depuis l’invasion russe, la Grande péninsule s’est abstenue de condamner, dans les tribunes onusiennes, l’attitude de Vladimir Poutine à l’égard de Kiev ! Pourquoi ?
Entre autres, parce que Vladimir Poutine a durablement soutenu Modi dans sa politique de reprise en main musclée du Cachemire. Outre d’être reconnaissant envers le chef du Kremlin, Modi n’aimerait pas voir une Russie isolée et révoltée par les sanctions internationales – ce qui la rapprocherait alors des Pakistanais et des Chinois ; ces derniers demeurent les adversaires privilégiés des Indiens, bien au-delà des territoires qu’ils se disputent dans l’Himalaya.
Toutefois, en refusant de sortir l’artillerie lourde contre Poutine, Modi est en train de se brouiller avec les Américains et les Français, ses partenaires stratégiques dans le Pacifique et dans l’océan Indien. Du reste Agalega, (face à Diego Garcia, Camp Lemonnier à Djibouti et La Réunion), devient un dispositif stratégique non seulement pour l’Inde contre la Chine, mais aussi pour le Colombo Security Conclave, qui a été établi en 2011, et qui relie l’Inde à Sri Lanka, les Maldives, Maurice et les Seychelles.
Du reste, quand le président du Sri Lanka, Gotabaya Rajapaksa, a fui cette semaine, son pays et un peuple en furie, il a trouvé refuge, non pas à Dubaï, mais aux Maldives avant d’aller à Singapour puis en Arabie Saoudite, d’où il a envoyé sa lettre de démission. Les Maldives, le Sri Lanka, Maurice, Seychelles et le Bangladesh sont liés non seulement par l’océan Indien mais aussi par la main indienne et ce, dans une optique de resserrer les liens, renforcer la sécurité et contrer l’invasion chinoise dans notre partie du monde.
«L’Inde en est réduite à osciller constamment, à ce point effrayée par la Chine qu’elle doit courtiser la Russie, défendant un ordre mondial ouvert, basé sur des règles de droit, sans être capable de dire en termes simples que l’invasion russe est la violation la plus claire, la plus flagrante et la plus risquée des normes internationales en vigueur», note le Center for Policy Research, un des plus anciens think tanks indiens.
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Maurice demeure un laboratoire important sur les limites de la bonne gouvernance dans un petit pays. Nous sommes une société d’interconnaissances où chacun caresse le dos de son prochain. Tout est imbriqué, lié, verrouillé. Les relations familiales, claniques, politiques, stratégiques, diplomatiques et géostratégiques. Le chef du service civil et secrétaire au cabinet, apparenté à Pravind Jugnauth, est aussi le président du board de Mauritius Telecom (quand il ne préside pas ailleurs), où siègent les partenaires de France Telecom, devenus les cocus d’une histoire aux ramifications géopolitiques pas assez exposées.
Même si le Maritime Security Agreement (2017) demeure en grande partie secret, la presse indienne et des stratèges militaires ont bien compris qu’Agalega dépasse les besoins de connectivité inter-îles. L’ambassade de l’Inde ne nous a jamais répondu de manière précise sur les besoins d’une piste d›atterrissage longue de 3 000 mètres. Mais on nous parle volontiers de SAGAR (Security and Growth for All in the Region) que Modi avait vendue lors de sa visite à Maurice en mars 2015. Cette stratégie et Agalega sont désormais au coeur de la rivalité entre l’Inde de Modi/Jugnauth et le duo Chine/Huawei, auquel on tentera d’associer Sherry Singh…
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