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Leçons franco-rodriguaises

3 septembre 2022, 09:05

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Le fait que le gouvernement français ait pris la décision de ne pas financer la construction d’une nouvelle piste d’atterrissage à Rodrigues a sans doute surpris la classe politique, les grands patrons du pays de même que les fonctionnaires. 

Bien avant l’indépendance de la colonie en 1968, la France s’était déjà bâti une solide réputation de pays qui vient toujours en aide aux Mauriciens. Avant l’indépendance même, de nombreux Mauriciens ont profité du savoir-faire français pour se former dans différentes professions dont la médecine. La France a aussi été le pays d’accueil d’un grand nombre de Mauriciens, défavorisés des villes comme des villages, qui sont partis à la quête d’un meilleur avenir pour eux et pour leurs enfants. 

Les professionnels, les hommes politiques et les fonctionnaires mauriciens ayant eu l’occasion de rencontrer et de discuter avec des officiels français n’ont pas manqué de constater que notre pays est très aimé et apprécié dans ce grand pays européen. Quant aux fidèles touristes et aspirants voyageurs français, ils sont aussi aux anges en entendant mentionner le nom ‘Île Maurice’. 

Sur le plan politique, on sait que la France a été l’awga (facilitateur) dans l’alliance historique qui a réuni Sir Seewoosagur Ramgoolam et Gaëtan Duval en 1969. Depuis l’indépendance, la France a joué un role d’avant-plan dans la vie politique des Mauriciens. Pas toujours aussi ostentatoirement comme le fit le député français Michel Debré en jouant à l’agwa en 1969 mais dans la discrétion certainement. La France a toujours dit ‘oui’ à toutes les sollicitations d’aide et d’assistance de la part de Maurice jusqu’en 2015. Ainsi, sir Kher Jagatsingh, en tant que ministre de l’Éducation, exploita à fond le filon français. Comme lui, pendant des décennies, des ministres ont assidûment joué la carte française. 

L’amour que portent les Français pour Maurice ne pourrait être mieux illustré par le fait que le dirigeant français Jacques Chirac venait y passer ses vacances d’été, année après année. S’estimant l’homme le plus heureux du monde quand en bonne compagnie, avec des permutations d’année en année, il se retrouvait sous le ciel mauricien. Apparemment le pays qu’il adorait le plus après sa propre patrie était Maurice. Cet élan d’affection des grands décideurs français pour Maurice allait se manifester sous le règne des socialistes français aussi. Lors de sa visite à Maurice – la première d’un dirigeant français dans l’histoire de notre pays – François Mitterrand ne manqua pas de tarir d’éloges sur cette ancienne colonie française tout en exprimant son appréciation du gouvernement d’Anerood Jugnauth. Plus tard, Ségolène Royal et Christine Lagarde, deux divas de l’establishment socialiste français, la première ayant été la compagne du président François Hollande et la mère de ses quatre enfants, se plaisaient à visiter Maurice régulièrement surtout sous le règne de Navin Ramgoolam. Ce dernier, réputé grand charmeur, ne se faisait pas prier pour leur dispenser un traitement… royal. Ce même Ramgoolam recevait toujours en grande classe des VIPs de la droite française tout en entretenant de chaleureuses relations personnelles tant avec Jacques Chirac que Nicolas Sarkozy. 

Quand la France décida à un certain moment de ne plus financer des projets d’assistance à Maurice car le pays avait atteint un degré remarquable de développement, Navin Ramgoolam fit comprendre à Jacques Chirac que les Mauriciens ne méritaient pas d’être ‘punis’ pour avoir été de bon élèves dans l’oeuvre de développement de leur pays. Cet argument fit Chirac reprendre les programmes d’aide à Maurice. 

Avec ce background d’excellentes relations entre Port-Louis et Paris, la décision française de ne pas financer la construction d’une nouvelle piste à Rodrigues suscite bien des interrogations. Surtout que Rodrigues a toujours fait l’objet d’une attention particulière de la part de la France. 

En effet, la France avait été tellement active à conquérir le coeur des Rodriguais qu’on avait le sentiment qu’un jour leur île finirait par devenir une colonie de la France plutôt qu’une partie du territoire de l’État-archipel qu’est Maurice. Des médias français, une radio en particulier, insistaient systématiquement sur les particularités de Rodrigues dans le but de démarquer cette île du reste de Maurice. 

Que s’est-il passé pour qu’en 2022 la France décide de ne pas financer un projet coûtant Rs 3 milliards et qui aurait réjoui les Rodriguais ? Si la communauté européenne reprend le financement, ce serait la fin de la controverse car la France exerce une forte influence sur ce regroupement de pays européens. Autrement, on ne manquerait pas de mettre la décision française sur le compte d’absence de bonne gouvernance dans la gestion problématique de plusieurs institutions et agences du gouvernement mauricien. Aussi, sur la crédibilité financière de Maurice de pouvoir rembourser ses prêts. 

Il se pourrait toutefois qu’au lieu d’inviter l’Inde ou la Chine à financer cette nouvelle piste à Rodrigues et ainsi éviter des controverses diplomatiques, surtout après Agalega et Huawei, le gouvernement mauricien décide d’utiliser ses propres fonds. Après tout, quand on se permet de tirer la chasse d’eau sur Rs 12 milliards de la SBM et que la Mauritius Investment Corporation joue au Mickey avec des milliards et des milliards, trois milliards de plus pour Rodrigues, ce n’est pas la mer à boire, que l’eau soit dessalée ou pas.