Publicité

La reine Elizabeth et les Mauriciens

10 septembre 2022, 08:38

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

La souveraine britannique qui s’est éteinte à l’âge de 96 ans le jeudi 8 septembre porta, par rapport aux Mauriciens, deux titres différents dépendant du statut de notre pays.

À son ascension au trône en 1952, Elizabeth II devint le chef de la Grande-Bretagne, des dominions du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande de même que de toutes les colonies britanniques, y compris Maurice, réparties dans le monde entier.

En accédant à l’indépendance en 1968, Maurice choisit de conserver la reine comme chef d’État, avec sir Seewoosagur Ramgoolam comme chef de gouvernement. De ce fait, la souveraine britannique devint Elizabeth I, la première, pour notre pays. Elle fut représentée chez nous par un gouverneur-général. Les deux premiers titulaires furent les Britanniques John Rennie et Leonard Williams. Le premier Mauricien à occuper ces fonctions, sir Raman Osman, fut un compagnon d’armes de sir Seewoosagur Ramgoolam. Puis en 1992, sous la poussée du MMM, la reine Elizabeth I de Maurice fut littéralement débarquée, après 40 ans de règne sur l’île. Le pays devenu une république accueillait son premier Président en la personne de sir Veerasamy Ringadoo.

Objet d’une réelle déification de la part des Mauriciens à partir de 1952, la reine Elizabeth reçut un immense accueil en 1972 lors de sa seule et unique visite à Maurice. Ce court séjour à Maurice aurait très certainement tourné au cauchemar pour la souveraine britannique si seulement le tandem Ramgoolam-Duval n’avait pas emprisonné tous les dirigeants et principaux activistes du MMM. Autrement, ces derniers auraient organisé des manifestations hostiles débordant même sur des actes de violence aux différents endroits qui devaient accueillir la reine. En effet, en 1969 déjà, un MMM encore bébé avait fait perdre le sourire à la princesse Alexandra, cousine de la reine, lors d’une visite à Maurice. En 1971, le MMM avait donné une démonstration de sa force de frappe en paralysant le pays en plusieurs occasions par des grèves dans le transport et le port et en occasionnant des émeutes populaires.

Avec l’entrée en force du MMM dans la vie politique de Maurice, la nouvelle génération fut exposée aux idées révolutionnaires de changement et de solidarité nationale. On se démarquait de l’endoctrinement colonial dont la pièce maîtresse était la royauté britannique. Ainsi, durant l’ère coloniale, les enfants mauriciens apprenaient à l’école primaire à entonner l’hymne national britannique God Save the Queen (the King, avant 1952) et aussi et surtout le chant patriotique Rule, Britannia !.

Voilà des enfants, presque tous des Noirs, d’une colonie perdue dans l’océan Indien, qui exhortaient les Britanniques à asseoir leur domination sur les océans du monde :

«Rule Britannia, Britannia, rule the waves

Britons never, never, shall be slaves

Rule Britannia, Britannia, rule the waves

Britons never, never, shall be slaves.»

Un jour de grande joie aussi pour les enfants mauriciens quand on célébrait l’Empire Day le 24 mai. Empire était prononcé ‘ampaya’ par les gosses. Ce jour-là, on célébrait l’empire britannique étalé sur tous les continents et on servait des gâteaux et de la limonade à l’école. Autrement la limonade dans la famille était réservée aux festivités du Nouvel an ou quand on recevait de la compagnie.

La reine était évidemment le personnage dominant dans la colonie. Les timbres, les billets de banque et les pièces de monnaie portaient l’effigie de la reine. Dans certaines familles mauriciennes, on conserve encore ces souvenirs et aussi des pièces de monnaie et des billets de banque glorifiant les rois George V et VI. Ces reliques d’un autre temps ont dépassé de loin leur valeur faciale.

Évidemment, dans tous les bâtiments publics à Maurice, le drapeau britannique et la photo de la reine dominaient. Il n’était pas rare de voir dans certaines familles mauriciennes, des photos de trois personnages à orientation radicalement opposée, l’un de l’autre. C’est ainsi que cohabitaient des photos de la reine, du mahatma Gandhi et de Subhas Chandra Bose, ce dernier, un révolutionnaire antibritannique, avait eu recours à la lutte armée plutôt que de souscrire à la philosophie de non-violence de l’homme au dhoti. Cela symbolisait peut être l’éclectisme typique des Mauriciens. On vivait alors allègrement en passant d’un héritage culturel à un autre.

Il faudrait mettre au crédit du MMM l’œuvre d’affranchissement du peuple mauricien du crétinisme colonial béat qu’ils vivaient. Il fut un temps où les Mauriciens, bénéficiant d’une assistance sociale quelconque, croyaient que l’argent sortait du trésor personnel de la reine. Ainsi, un travailleur agricole d’un âge avancé, dhoti descendant au niveau du genou, débarqua furieux dans un bureau de l’Assistance publique quand il apprit qu’une allocation qu’il touchait avait été supprimée. Prenant à partie un jeune fonctionnaire, il lui lança : «La renn donn mwa paisa, twa kokin mwa, move mak…»