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Écriture engagée ou imaginée
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Écriture engagée ou imaginée
Les écrivains peuvent changer la donne du réel et nous montrent les labyrinthes de l’inhumain et de l’humain. Cela tombe bien puisque le prix Nobel de littérature a été attribué, en fin de semaine, à Annie Ernaux – la première romancière française à recevoir cette distinction. Le jury salue une plume et une œuvre qui ont sans cesse examiné le réel comme un miroir «sous différents angles des vies marquées par les disparités», à savoir : le genre, la classe sociale, les conditions socio-économiques. On dit d’Ernaux qu’elle écrit un peu l’autobiographie de nous tous.
Dans sa quête de vérité, au fil des pages et des livres, elle retrace l’aventure commune en restant strictement personnelle. Son «je» n’est pas pour autant nombriliste, mais rejoint l’universel. «La vérité pour moi est le nom donné à ce qu’on cherche et qui se dérobe sans cesse.»
Ernaux est engagée à gauche, son écriture est avant tout politique. Un peu normal, puisqu’Annie Ernaux a grandi au milieu d’écrivains engagés comme Sartre, Beauvoir ou Camus. Comme eux, elle soigne son regard sur le monde social et les femmes, «deux directions, deux douleurs».
Ernaux est engagée à gauche, son écriture est avant tout politique. Un peu normal, puisqu’elle a grandi au milieu d’écrivains engagés comme Sartre, Beauvoir ou Camus. Comme eux, elle soigne son regard sur le monde social…
La Prix Nobel 2022 ne lâche jamais, au contraire son engagement comme écrivaine s’intensifie avec l’âge – elle a 82 ans. «Je déplore le positionnement trop neutre des écrivains qui vivent dans leur bulle et restent coupés du réel. Comment peut-on rester neutre dans un monde si inégalitaire ?», se demande-t-elle, sans jamais se demander si elle est une écrivaine prodigieuse ou si elle écrit prodigieusement bien… A ce titre, Mélenchon, qu’Ernaux préfère nettement à Macron, dit ceci d’elle : «Les lettres francophones parlent au monde une langue délicate qui n’est pas celle de l’argent.»
Ernaux incarne la femme libre d’écrire comme elle l’entend. Elle a été entendue par les Suédois. Et bientôt le reste du monde va mieux l’écouter.
Hier à Trou-d’Eau-Douce, suprême honneur au bord du rivage. Rencontre avec un auteur francophone qui a raflé le Goncourt 2021, pour La plus secrète memoire des hommes, ce majestueux roman, imaginé par Mohamed Mbougar Sarr, publié chez notre compatriote Philippe Rey.
Sarr tisse une réflexion sur la puissance et l’impuissance de la littérature, en puisant de l’identité africaine sur près d’un siècle. Comme si une génération avait enfin atteint son but, alors qu’une autre se met en route, débarrassée des pesanteurs et chaînes du passé, courant librement vers le firmament.
Le génie d’un écrivain comme Sarr n’attend pas le nombre des années pour s’exprimer – il a 32 ans.
Le style de Sarr est captivant. Voilà un auteur qui ne tombe jamais dans le piège de la facilité. Contrairement à Ernaux, tout est inventé dans son livre, chaque tournure de phrase est imaginée dans son récit fantasmé, tout est faux. Mais rien ne donne l’air d’être factice. C’est avant tout une oeuvre où l’on sent qu’il prend son pied avec la langue française, qu’il est heureux d’écrire, parce que «cela me rend humain (…) c’est ce qui m’interroge le plus sur ce qui est d’être humain».
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