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L’éthique de la dette

2 novembre 2022, 09:07

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La politique monétaire très accommodante suivie depuis la crise financière globale de 2008, à Maurice comme ailleurs, a fait croire aux entreprises et aux particuliers qu’ils pouvaient jouir de l’argent facile et à bon marché «ad vitam aeternam». Maintenant que le taux d’intérêt remonte, les épigones de l’économie d’endettement prétendent que la récession annoncée serait causée par le resserrement monétaire, alors même qu’il n’est encore qu’à ses débuts, comme si la croissance économique était forte avant. On ratiocine aussi sur une inflation qui serait due aux frais financiers additionnels que les firmes passeraient aux consommateurs… 

C’est oublier les créanciers, les épargnants, sans lesquels il n’y a pas de débiteurs, pas d’emprunteurs. L’inflation déprécie les dettes et donc appauvrit ceux qui prêtent leurs fonds, le taux d’intérêt étant le prix pour lequel ils acceptent de renoncer à ceux-ci. Plus l’inflation est élevée, plus le loyer de l’argent doit l’être aussi afin de compenser la perte de valeur de la monnaie. Mais plus important que ses dimensions économiques est le statut moral de la dette. 

L’éthique de la dette privée est similaire à l’éthique de la dette publique : elle impose qu’on paie sa dette. L’étymologie du mot dette vient du latin «debitum», qui est le participe passé de «debere», devoir. La dette est un devoir, une obligation de rendre, et ne pas faire son devoir constitue une faute. 

Un peuple aussi religieux que le nôtre n’est pas sans savoir que l’homme a une dette envers son créateur. De même, chacun a une dette implicite vis-à-vis de ses parents. La dette est donc parente avec la morale, et notre rapport à la dette dit beaucoup de notre rapport à la morale. 

Un peuple tout aussi épris de justice sait que tout contrat doit être honoré. Une dette explicite est de nature contractuelle, soit la rencontre de la volonté de prêter et de l’engagement de rembourser. La dette engage la parole de l’emprunteur envers le prêteur, et l’éthique de la dette oblige à tenir sa promesse : c’est le principe de justice commutative. 

S’il existe une morale universelle, elle s’applique à tous les individus, quels qu’ils soient, «selon que vous serez puissant ou misérable», pour citer La Fontaine. Certains proches du pouvoir pensent que, parce qu’ils ont fait campagne pour tel ministre, ils seraient en droit de ne pas s’acquitter d’un emprunt contracté auprès d’une banque d’État. Mais être agent politique, gouvernant ou simple électeur ne justifie pas des choix financiers immoraux, en l’occurrence une dette non remboursée. Bien au contraire, on se doit d’être exemplaire au nom de l’intérêt général du pays, de l’intégrité financière de son peuple. 

Un gouvernement qui s’endette donne le mauvais exemple à ses citoyens, les encourageant à en faire de même. Pire, si un État, représentant du peuple, n’honorait pas ses dettes – ou, du moins, cachait des informations sur le niveau réel de la dette nationale –, un emprunteur individuel ne se sentirait pas obligé de prendre au sérieux le défaut de paiement. L’expropriation des créanciers entache la moralité publique, elle affaiblit l’adhésion des citoyens à la morale privée, et elle pervertit les moeurs, conduisant à une société de méfiance. 

Reste que le droit de vote rend l’électeur tout aussi responsable de la dette publique. Si l’on aime, tels les syndicalistes et les patrons, que l’État dépense, subventionne, paie la compensation salariale des PME et finance les grandes entreprises privées, c’est qu’on est en faveur de déficits publics. Qui voterait pour un parti hostile à l’endettement ? On continue d’élire des gouvernements qui ne cessent d’emprunter. 

Il ne s’agit pas d’être anti-dépenses, mais de faire ressortir le principe d’utilité de la dépense : moins de dépenses, c’est moins d’impôts et c’est plus d’actes de solidarité. C’est aussi souligner la morale économique de la dépense, qui est de proportionner ses dépenses à ses revenus : c’est un principe d’équilibre selon lequel c’est bien de ne pas dépenser plus que ce qu’on gagne. 

Si l’État peut vivre à crédit parce qu’il détient le monopole de la force, cela n’en est pas moins immoral, surtout quand les dépenses publiques servent l’intérêt de quelques groupes influents. Ainsi, le déficit budgétaire n’est plus un indicateur de mauvaise gestion des finances publiques, mais un signe de bienveillance sociale du gouvernement. Or l’obligation de s’en remettre à ce dernier (via l’impôt) favorise l’irresponsabilité individuelle, car ce n’est jamais notre faute, mais toujours celle des politiques, que le pays va mal. 

Afin d’éviter la violation de l’éthique de la dette publique, il faudra d’abord inscrire l’équilibre budgétaire dans la Constitution du pays. Puis, l’accès des banques aux titres publics doit être limité pour les obliger à évaluer l’utilité des dépenses qu’elles financent. Enfin, il convient de revenir au principe d’annualité pour interdire le report du coût des biens publics sur les gouvernements futurs.