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L’An 3
Bien des fois, on s’est retrouvé au bord du précipice. Il a suffi de très peu pour qu’on bascule dans le vide et qu’on se retrouve dans la situation peu enviable que connaissent des pays comme le Sri Lanka, la Turquie, la Lettonie ou l’Argentine, où l’inflation crève le plafond et où la croissance est frappée d’atonie.
Quand on jette un coup d’œil dans le rétroviseur et qu’on passe en revue les multiples chocs auxquels la petite économie mauricienne a dû faire face – l’effacement de plus de Rs 100 milliards dans le sillage de la pandémie avec le secteur touristique quasiment à l’arrêt pendant deux ans, l’inclusion du pays sur la liste noire de l’Union européenne et, plus récemment, la guerre d’agression de la Russie en Ukraine et ses effets inflationnistes –, l’on se dit que finalement, on s’en sort pas si mal et qu’on a sans doute passé le test ultime. Mais, qu’on se le dise : si l’on a survécu, ce n’est pas par un heureux hasard. C’est grâce aux efforts concertés des pouvoirs publics, du secteur privé, du sens du sacrifice de l’ensemble de la population, mais aussi à la résilience du secteur financier bancaire et non bancaire qu’on voit ces jours-ci un rebond de l’économie.
Pour s’en convaincre, il suffit de voir le succès d’affluence dans les centres commerciaux lors de cette période festive. D’aucuns diront qu’un modèle économique où la consommation des ménages (autour de Rs 401 milliards en 2022) représente 70 % du PIB n’est pas soutenable, il n’empêche qu’il faut se rendre à l’évidence que le niveau d’investissements, mesuré en termes de formation brute de capital fixe (FBCF), et l’exportation des biens et services sont loin de produire suffisamment de richesse. Aussi longtemps qu’on ne sera pas en mesure d’augmenter le taux d’investissement (FBCF), actuellement autour de 20 % du PIB à un niveau de 26 - 28 %, qu’on ne parviendra pas à équilibrer notre balance courante (en exportant plus et en important moins) au moyen de réformes profondes à notre tissu économique, la consommation restera le meilleur levier pour agir sur la demande et stimuler la croissance. Cela, les gros promoteurs immobiliers comme Hermes Properties, qui a injecté la bagatelle de Rs 5 milliards dans le Tribeca Central Mall, l’ont bien compris.
Si un rebond de l’économie est visible avec la croissance du PIB réel calculée à 7,8 % cette année, il ne faut pas oublier que le monde est entré dans un cycle de crise et que la récession qui frappe les économies avancées, notamment la zone euro, va être beaucoup plus profonde qu’initialement anticipé.
La grosse interrogation porte sur la guerre en Ukraine. Jusqu’où Vladimir Poutine mènera-t-il sa croisade contre l’Ukraine ? Faut-il craindre une nouvelle offensive des forces russes, une Winter War comme le craint Volodymyr Zelensky, dès le mois de janvier ? Et quelles en seront les conséquences de la folie des hommes, pour ne pas dire d’un homme, sur l’avenir du monde ? Des questions auxquelles on peut partiellement répondre. Déclenché en février, le conflit russo-ukrainien a ruiné les efforts de reprise de l’économie mondiale cette année. Il est intervenu à un moment où le commerce international était encore chamboulé par la crise de Covid-19. La guerre n’aura fait qu’accentuer les perturbations aux chaînes d’approvisionnement, provoquant une escalade des prix de l’énergie et de l’alimentation. Si bien qu’aujourd’hui, l’insécurité énergétique et l’insécurité alimentaire se posent comme des enjeux majeurs pour l’ensemble de la planète. En Europe, cet hiver est particulièrement rugueux pour des pays comme l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni, où la facture énergétique donne le tournis. Tous les espoirs reposent sur le plan REPowerEU, dont l’objectif est de réduire, dans un premier temps, la dépendance du Vieux continent aux énergies fossiles russes de 15 % pour la période d’août 2022 à mars 2023.
Étant fortement dépendant de l’importation pour ses besoins énergétiques et alimentaires, Maurice a été lourdement impacté par les disruptions sur ces marchés. Concernant notre facture pétrolière, elle s’élevait à Rs 4,6 milliards au mois d’octobre contre Rs 2,9 milliards à la même période en 2021. Clairement, nous ne pouvons plus nous permettre de rester dans cette situation d’extrême vulnérabilité, où une grosse partie des devises part dans l’importation d’hydrocarbures. D’où la décision du gouvernement de mettre en œuvre un plan d’action pour porter la proportion des énergies renouvelables à 60 % dans notre mixte énergétique à l’horizon 2030.
Par ailleurs, la guerre en Ukraine a provoqué une fracture profonde dans le système multilatéral mondial. On est entré de plain-pied dans une nouvelle conjoncture géopolitique, avec une bipolarisation des puissances économiques, avec, d’une part, le couple américano-européen et, de l’autre, le bloc des pays de l’Organisation de coopération économique du Shanghai, avec la Chine, la Russie et l’Inde en première ligne. Ainsi, 2022 aura été l’année du réveil où toutes nos certitudes ont été ébranlées et où certaines grandes puissances se sont montrées implacables. Le monde est dans un état de tension permanente. Cela entraîne une forte volatilité aussi bien sur les marchés financiers que le marché des changes.
Parallèlement, ces tensions sur le plan géopolitique sont propices à la flambée des prix des commodités. Malgré les interventions agressives des banques centrales pour casser l’inflation, celle-ci ne montre qu’un léger signe de fléchissement. Au niveau de la Banque de Maurice, l’on a été contraint d’accélérer le processus de normalisation des taux d’intérêt. Ainsi, en l’espace de 12 mois, elle a relevé le taux repo à cinq reprises, le portant de 1,85 % à 4,5 %, avec pour conséquence une forte pression sur le service de la dette des entreprises comme des particuliers.
Pour l’année 2022, la Banque centrale calcule l’inflation à 10,6 %. Pour 2023, l’organisme s’attend à ce que la pression sur les prix se relâche progressivement et que l’inflation avoisine les 6 %. Mais cette projection est évidemment hypothétique et dépendra, en grande partie, d’une série de facteurs favorables, notamment sur le plan géopolitique.
L’An 3 dans ce que l’on appelle la Nouvelle normalité n’a pas été de tout repos. Malgré les tensions à l’international, l’optimisme est de mise chez les opérateurs économiques qui, contre vents et marées, font tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir le cap de la croissance. Tous espèrent que les eaux tumultueuses finiront par se calmer et que 2023 sera synonyme du grand redémarrage.
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