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Mauriciens de l’année 2022
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Mauriciens de l’année 2022
Encore une année qui file et se défile sous nos yeux de mortels.
Elle, aussi, aura été intense en actualité. Raison de plus pour s’arrêter un instant, le temps d’un éditorial, pour focaliser sur ces compatriotes ou contemporains qui donnent, chacun à sa façon, l’impulsion nécessaire à la société, et partant, au pays, afin de réaliser des progrès.
Depuis sa naissance, cinq ans avant l’Indépendance de Maurice, l’express éclaire les parcours, actes et discours des Mauriciens qui tendent à nous tirer vers le haut. C’est souvent un sacré contraste avec les esprits étriqués qui nous maintiennent en arrière, prisonniers dans des cases trop étroites pour prendre de la hauteur et du recul sur nous-mêmes, notre commencé comme pays, et nos avancées, et/ou nos reculs, comme nation et démocratie.
Saint-Exupéry décrit le mieux ceux qui deviennent le héros de leur propre vie : pour cela, nous devons préférer le danger à la sécurité, l’altruisme à l’égoïsme. Cet héroïsme-là, qui est en nous et qui surgit sans qu’on le sache, donne un sens à la vie. L’action épanouit la personne. Et c’est en accomplissant des actes dictés par notre conscience la plus profonde que nous devenons de meilleurs êtres humains.
Après la première vague de Covid-19 en 2020, la rédaction de l’express saluait les frontliners, notamment ceux et celles qui ont mis leur vie en danger pour aider à combattre le virus. Hommage et respect au personnel soignant, aux éboueurs, aux employés des supermarchés, entre autres. Le problème, nous ont fait remarquer des lecteurs ensuite, c’est quand l’on nomme un corps de métier, comme les infirmiers, tout le monde est encouragé, même ceux qui ne font pas bien leur travail, par exemple, en négligeant des patients de peur d’être contaminés…
Alors qui sont nos Mauriciens de l’année 2022 ?
• La magistrale magistrate Vidya MungrooJugurnath, pour son audace, suscite l’admiration du public. On a apprécié la manière magistrale dont elle a présidé l’enquête judiciaire pour faire la lumière sur les circonstances de la mort de Soopramanien Kistnen à Telfair, Moka. Son rapport, fuité dans la presse, est accablant, même si certains tentent de minimiser le document, en refusant de l’authentifier ou de le publier. Il ne faudrait aucunement que la magistrate paie pour son courage dans le difficile combat pour faire éclater la vérité, car elle s’est mise, malgré elle, sur le chemin mafieux des puissants.
• Comme le roi Pelé est entré dans l’imaginaire mondial, surtout des amateurs de sport, l’écurie Gujadhur est devenue un symbole auprès du public mauricien, en particulier pour les turfistes. Personne ne croit que la casaque bleu électrique va disparaître même si l’écurie ferme ses portes. L’écurie et la casaque font partie du récit mauricien. Leur histoire n’appartient plus aux seuls héritiers ; elle fait partie du patrimoine et du folklore.
• Nishal Joyram est un citoyen qui a le cœur sur la main et, dans la voix et les yeux, la douceur des ceux qui ont réellement de l’empathie. Comme des centaines et des centaines de citoyens, je suis allé à sa rencontre. Je n’ai pas de doute. Celui-ci s’engage pour les autres, non pas pour se faire connaître ou remarquer, mais résolument en faveur de ceux qui ne peuvent plus se permettre de payer l’essence et le diesel aux prix affichés, sans compter l’effet domino que cela provoque sur l’alimentation, l’éducation, la santé publique. «Nad, ne parle pas de moi, parle du problème des carburants chers. Tu sais, le problème à Maurice, c’est qu’on focalise trop sur les gens, qui deviennent alors plus importants, en raison de leur ego, que le combat qu’ils mènent», me disait-il le 24 novembre dernier, devant la place de la Cathédrale.
• L’activiste Bruneau Laurette, jeté en prison, par une police qui écoute la voix d’en haut et refuse d’assumer son indépendance, pourtant garantie par la Constitution. Laurette ne veut pas être un chatwa (suiveur) ou un complice du régime en place. Il est devenu tantôt un martyr, tantôt un prisonnier politique à cause de la tentative d’intimidation dirigée contre lui et son fils. Il est de ceux qui font de petites choses ordinaires, qui, mises ensemble sur l’échelle, souvent sombre, de nos actualités, deviennent des faits extraordinaires en termes d’impact citoyen. Dans le sillage du naufrage du Wakashio, quand il avait réuni presque une centaine de milliers de Mauriciens à Port-Louis, il s’est érigé comme un non-politicien pouvant faire croire en des lendemains meilleurs. Mais en devenant politicien et en essayant d’adhérer ou de démissionner de quelques blocs qui oscillent entre politique et société civile, il a semé le doute. Cependant, ce qu’il endure en solo derrière les barreaux requinque son image, à moins que Jagai et Coothen nous montrent des vidéos exclusives prouvant le contraire, comme ils ont tenté de le faire dans le cas d’Akil Bissessur et de sa compagne, dénudée sur la place publique par des policiers sadiques. Comment ne pas mentionner la rare bonne nouvelle provenant de nos institutions publiques dont plusieurs, comme la police, l’ICAC, la MBC, l’IBA, l’ICTA, la BOM, ne sont plus crédibles ? Rashid Ahmine, nouveau DPP ! Une nomination acclamée. Contrairement aux autres grands serviteurs de l’État, Ahmine ne craint pas d’affronter les pouvoirs en place. Dans l’affaire MedPoint, il n’avait laissé transparaître aucune émotion avant ou après l’appel et s’est contenté, en Cour, de défendre son dossier, fruit de longues recherches, sur la base de ses compétences éprouvées. Rashid Ahmine, nous l’avons déjà écrit, n’en tire aucune gloire personnelle et place son travail dans un cadre strictement professionnel, où la séparation des pouvoirs demeure un principe sacrosaint. «Pour tout cela, Me Ahmine demeure, selon nous, un exemple pour tous les fonctionnaires. Son sens de l’État, son patriotisme, sa rigueur et son éthique personnelle constituent, pour ceux qui le connaissent, une chance pour notre pays.»
• Recruté le 11 novembre 1979 comme accounts clerk, Mahmad Iqbal Bandhoo, qui part à la retraite en cette fin d’année, laisse son empreinte à la CWA, surtout en ces temps de robinet sec ! La veille de son départ, le 18 septembre dernier, l’express l’a appelé. Il était de service dans les appartements de la National Housing Development Company (NHDC) de Bambous, tentant de répondre aux SOS des habitants. C’est dommage que l’expérience de notre compatriote s’exporte. Il se prépare à se rendre à Moroni, aux Comores. C’est une compagnie privée qui finalise son déplacement dans l’archipel de l’océan Indien. Merci Mahmad Bandhoo. Si seulement tous les fonctionnaires étaient comme vous...
«Merci Mahmad Bandhoo. Si seulement tous les fonctionnaires étaient comme vous...»
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Lorsqu’on jette un regard dans le rétroviseur des dix dernières années, des noms intéressants interpellent, et permettent de jauger les choix par rapport au temps qui passe. En 2012, pour souligner le besoin de lutter sans merci contre la drogue, notre rédaction honorait l’inspecteur Assaad Rujub, qui nous apparaissait alors comme «un fonctionnaire dévoué, efficace et plus que tout, déterminé, dit-on, à aller au bout de ses enquêtes, comme celle sur l’affaire ‘‘Gro Derek”». Mais au fil des années et des changements au sein de la police, le regard sur l’inspecteur Rujub a changé, de même que sur l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) de Plaine-Verte, dont plusieurs membres avaient été suspendus.
En 2013, l’express voulait corriger une injustice relative à un accident de la route qui avait marqué l’année et les Mauriciens. L’idée était de réunir les rescapés de l’accident de Sorèze, les proches des disparus, ainsi que la famille du chauffeur Deepchand Gunness. Pour notre rubrique «Mauricien(s) de l’année», nous avions choisi de procéder en deux étapes : d’abord les journalistes du groupe ont exprimé leurs préférences, puis on a demandé aux lecteurs de nos journaux papier et web de s’exprimer également de leur côté. Dans les deux cas, les noms du chauffeur Deepchand Gunness et du receveur Ram Bundhoo sont arrivés en tête. Mais nous avions quand même des doutes, car l’enquête policière était en cours et n’avait pas encore situé les responsabilités, et aussi parce que la CNT (prenant pratiquement tout le monde à contrepied) avait jeté le blâme sur le chauffeur décédé pour «négligence» ainsi que sur le receveur qui aurait accepté deux ou trois passagers en trop. Alors on s’est tourné vers les rescapés de l’accident eux-mêmes. Et là les doutes se sont effacés : Deepchand Gunness et Ram Bundhoo étaient bel et bien des héros aux yeux de ceux qui étaient dans le bus alors que les freins avaient lâché. Ils nous ont raconté le sang-froid, le courage, l’héroïsme des deux employés de la CNT. (...) Outre l’inséparable tandem Gunness-Bundhoo qui n’a nullement paniqué alors que l’autobus dévalait l’autoroute à tombeau ouvert, Sanjay Ramdhayan s’est aussi révélé être un héros ce jour-là. Alors qu’il se savait blessé, il aurait pu chercher à sauver sa vie pendant que l’autobus faisait un tonneau, mais il a choisi d’aider son prochain, en risquant la sienne.
En 2015, le pur talent et l’envie de percer de Jane Constance faisaient chavirer bien des cœurs. Elle était la gagnante de The Voice Kids (France). Dans l’île, on avait rarement vu une personne porteuse d’un handicap aussi épanouie. Jane a étonné par sa force de caractère qui la porte jusqu’au bout de ses rêves, grâce à l’encadrement de ses parents, Tony et Françoise, et des mécènes comme Armoogum Parsuramen.
En 2016, le «Mauricien de l’année» de l’express était… un Français. Lilian Eymeric, qui est Mauricien de cœur et avait su conquérir les Mauriciens avec son exploit : la traversée Maurice-Réunion à la nage, soit 238,7 km en 50 heures. Et ce, pour aider des enfants diabétiques. «Le but, c’était d’aider des humains avant tout», nous confiait Lilian Eymeric, dont les efforts avaient permis une levée de fonds pour aider les enfants diabétiques de T1 Diams.
En 2017, plusieurs Mauriciens, jusqu’ici anonymes, étaient à l’honneur dans nos colonnes. Nirmala Maruthamuthu, qui avait eu le cran de recadrer Showkutally Soodhun, le 13 septembre, lors d’un séminaire de la NHDC à Quatre-Bornes, s’était attiré beaucoup de sympathie. Cette responsable de la médiathèque de l’Alliance Française, à Bell-Village, nous disait : «Je n’ai rien fait d’extraordinaire (…) Cela montre le climat de crainte qui règne dans le pays : les Mauriciens n’osent pas dire en face des politiciens ce qu’ils pensent d’eux. Ils finissent par tout accepter, c’est malheureux.»
Yashwan Seewoolall, 25 ans, qui s’y connaît en premier secours, était, lui, salué parce qu’il lutte à sa manière pour soulager les victimes d’accidents de la route. Le 1er septembre 2017, alors qu’il rentrait chez lui, le jeune homme remarque qu’un van s’est renversé. Le jeune homme se gare et s’approche. Il voit un blessé, allongé sur le bas-côté de la route, sous une pluie battante. Yashwan Seewoolall appelle vite une ambulance et les pompiers. En attendant, il recouvre le blessé avec sa veste pour le garder au chaud et fait tout pour qu’il reste éveillé.
Toujours en 2017, Sakoon Veerannah est acclamée par des internautes de l’express.mu avec une simple esquive… d’un garde du corps du Premier ministre. Loin de ceux qui lèchent les bottes des puissants, Super Nani, comme elle a été surnommée, n’avait même pas prêté attention à Pravind Jugnauth et à son épouse, qui faisaient leurs prières à Grand-Bassin, sous forte escorte policière. Cette femme laboureur avait tenu tête à un officier de la Very Important Person Security Unit (VIPSU). Sur une vidéo tournée par l’express, on voit le gorille tenter de lui barrer la route. La septuagénaire ne demande qu’à récupérer un peu d’eau du lac sacré. Elle l’esquive et passe devant le chef du pays, sans même un regard.
La famille Talate et les Chagos sont au cœur de l’actualité, aux Nations unies, le 3 novembre 2017. Si une ruelle a hérité du nom de Lisette Talate au Caudan Waterfront, sa fille, Iline Talate, a repris le flambeau de cette figure de proue du combat pour le retour aux îles. Cette même année, Claudette Gaffoor, Dharantee Boodram,Mirelle Sandarum, Aartee Nawoor, Sangeeta Devi Samonokho et toutes les autres femmes cleaners touchaient une paie de misère : … Rs 1 500 depuis des années.
En 2018, de Roche-Bois à Berklee (Massachussetts), c’est l’atelier Mo’Zar et ses membres que l’express avait tenu à honorer. Grâce à leur persévérance et des levées de fonds, ils avaient fait une tournée internationale qui ont soulevé des salves d’applaudissements en Europe et aux Amériques.
En 2019, la Suédoise Greta Thunberg et le mouvement international qu’elle lance, Fridays for Future, sont salués pour le travail de sensibilisation par rapport au changement climatique. «Je ne devrais pas être là, je devrais être à l’école, de l’autre côté de l’océan… comment osez-vous ? Vous avez volé mon enfance avec vos paroles creuses», lance-t-elle, avec colère, le 23 septembre 2018, à l’ONU.
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Le changement climatique, l’approvisionnement en eau, la recapitalisation de la Banque centrale, les échéances municipales, l’affaire Suren Dayal au Privy Council, l’inflation globale et la récession en marche, le niveau des salaires et les conditions de travail dans les hôtels, sont les sujets qui vont préoccuper le pays. Si avant on pouvait dire : chaque chose en son temps, désormais, elles arrivent pratiquement toutes en même temps. Sans des Mauriciens capables de s’élever au-dessus de la mêlée, on risque de nous enfoncer davantage dans la vase de l’autocratisation.
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