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Démocratie: une glissade en 3 actes
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Démocratie: une glissade en 3 actes
ACTE I. C’est en avril 2021 que l’opinion internationale prend conscience du sérieux fait que l’ancien élève-modèle de l’Afrique qu’était Maurice n’est plus une référence en matière démocratique.
Coupant dans le vif, le V-Dem Report des Suédois, reposant sur des données empiriques, classe désormais Maurice dans la liste des Top 10 «Autocratising Countries» (nous passons de «Liberal Democracy» à «Electoral Democracy»). En jargon plus simple, nous sommes perçus par ceux qui font des études comparatives sur les différents systèmes démocratiques de par le monde comme étant un pays qui ne fait qu’organiser des élections tous les cinq ans, avec peu ou prou d’institutions indépendantes, capables d’assurer les «checks and balances» critiques au fonctionnement d’une démocratie au jour le jour. «Blatant examples are Parliament, non-respect of political opponents, an ineffectual state, non-independent anticorruption bodies, function of the central bank and the list goes on (...) as a matter of fact, Mauritius has registered a 0,23 drop in the last decade – an important swing», explique l’un des Democracy Scholars qui suivent notre pays de près, surtout depuis qu’on avait raflé la première place au tableau de Mo Ibrahim en Afrique (il y a une quinzaine d’années de cela).
Parallèlement en cette même année 2021, une autre mauvaise nouvelle nous tombe dessus: après la liste grise du GAFI et la liste noire de l’Union européenne, Maurice figure désormais sur la nouvelle liste britannique des High Risk Third Countries. Donc, après les pays européens et l’Inde, la juridiction mauricienne sera soumise à une «enhanced due diligence» en Grande-Bretagne. Le gouvernement réalise que ces indicateurs démocratiques, économiques et financiers sont sérieux, mais il tente de les minimiser et cherche des boucs émissaires, dont la presse qualifiée d’«antipatriotique».
ACTE II. Le rapport de V-Dem, publié en mars 2022, relève qu’il y a 15 pays qui se démocratisent et 32 qui s’autocratisent. Madagascar, Malawi, Seychelles et Gambie sont les seuls quatre pays en Afrique subsaharienne qui ont connu des gains démocratiques.
Fait notable : plus du double – 11 pays de la région – ont régressé par rapport à 2011 : Bénin, Botswana, Burundi, Comores, Ghana, Côte d’Ivoire, Mali, Maurice, Mozambique, Tanzanie et Zambie.
Donc, au lieu de prendre le carton rouge de V-Dem, brandi en avril 2021, en considération, le régime de Pravind Jugnauth continue de faire du tort à l’état de notre démocratie, notamment en refusant de nous donner une Freedom of Information Act, une télévision libre et privée, une réforme électorale pour se débarrasser des critères ethniques, qui nous retiennent en arrière. À la place, nous avons une armée de chatwas, qui pullulent dans nos ministères, corps parapublics, compagnies publiques, ambassades, aux frais des contribuables. Et qui applaudissent Pravind Jugnauth matin, midi et soir.
Les avancées démocratiques des derniers 30 ans sont aujourd’hui anéanties. Le nombre de «démocraties libérales» a chuté à 34 en 2021, soit le plus faible nombre depuis 26 ans, alors que les autocraties sont passées de 25 à 30 entre 2020-2021. L’autocratie électorale reste le régime le plus répandu dans le monde – 60 pays. Ces autocraties abritent désormais 70 % de la population mondiale, soit 5,4 milliards de personnes.
Un nombre record de 35 États souffrent de sérieux déficits en termes de liberté d’expression aux mains des gouvernements. Il y a dix ans, il n’y en avait que cinq. Autre tendance inquiétante : l’autonomie des organes de gestion électorale a été sapée de manière continue par les gouvernements qui placent des «yes men», qui caressent les dirigeants dans le sens du poil.
Le rapport 2022 de V-Dem (téléchargeable en suivant le lien https://v-dem.net/media/publications/dr_2022.pdf) est publié alors que le monde fait face à une guerre en Europe provoquée par un autocrate, et au retour de l’armée qui fait des coups d’État en Afrique. Le monde connaît de nouveaux sommets d’autocratisation et Maurice n’est pas en reste. Le déclin de la démocratie au cours de la dernière décennie reste donc un phénomène aussi mauricien que mondial. La vague d’autocratisation, qui s’intensifie, souligne la nécessité de nouvelles initiatives pour défendre la démocratie au-delà des partis politiques traditionnels.
ACTE III. Cette année, les Suédois de V-Dem tirent une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur le triste cas mauricien. Notre pays qui s’enfonce n’est durablement plus perçu comme une «full democracy». Au contraire, nous sommes classés parmi les plus rapides autocratisers.
Maurice n’est plus une référence, en raison de notre cohabitation pacifique et de notre PIB qui reposait sur une courbe ascendante. Mais sous le vernis, le pays morcelé par des forces occultes craquait. Certes, on pouvait encore cocher les bonnes cases sans pour autant répondre aux questions soulevées – en d’autres mots, les questions et les (minces) possibilités de réponse étaient rédigées de telle sorte qu’on pouvait facilement passer à côté de la plaque. Par exemple, pour la question 2 de la section Electoral Process and Pluralism d’un sondage qui se lisait, «Are elections for the national legislature and head of government fair?», on n’avait que trois choix, «no major irregularities» – 1 point ; ou «no significant irregularities» – 0,5 point ; ou encore «major irregularities (intimidation, fraud)» – 0 point. Il y avait en tout 60 questions – toutes avec des options de réponse limitées et strictement quantitatives. Et c’est là le problème principal : on s’est assis sur nos lauriers et on se croyait à l’abri d’un renversement de situation. Aujourd’hui, alors que nous célébrons nos 55 ans d’Indépendance, face au reflet que nous renvoie VDem, Reporters Sans Frontières et… l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA, une organisation internationale regroupant 34 États, dont Maurice), nous n’avons pas d’autre choix que de reprendre notre destin en main, si on veut sortir du groupe des Top 10 Autocratisers. Il n’y a pas 10 000 solutions : il faut regrouper tous les démocrates du pays pour venir à bout de «la mafia» (pour reprendre le terme de Pravind Jugnauth) qui contrôle nos institutions de manière autocratique. Il faut un renouveau ou une «refondation» de la politique – de la gouvernance surtout.
La tentative de piétiner la séparation des pouvoirs par le commissaire de police est un autre mauvais signal. L’indépendance du DPP, déjà menacée par le Prosecution Commission Bill de sinistre mémoire (tué dans l’œuf par Xavier-Luc Duval), doit demeurer au-delà de la mêlée politicienne. La cheffe juge a donné le bon ton et remis les choses dans une juste perspective. La Cour suprême demeure un rempart contre l’autocratie, en attendant que les autres institutions retrouvent leur indépen[1]dance. Nous avons une route démocratique à reprendre et bien du retard à rattraper...
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