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L’aventure malgache

29 avril 2023, 13:00

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Sourires de la Grande île.

Nous sommes en 2004-2005, en plein cœur de Tana, à Madagascar.

Je venais de boucler une enquête de terrain sur La presse à Madagascar en comparaison aux autres presses indianoécaniques, dans le cadre d’un DESS à l’université de La Réunion, et j’animais un atelier de formation pour des journalistes de L’Express de Madagascar avec mon ami et collègue Jérôme Boulle. La Sentinelle venait de signer un partenariat stratégique avec le groupe Prey d’Edgar Razafindravy, nouveau propriétaire du quotidien L’Express de Madagascar. Ma mission : introduire le concept de newsmagazine hebdomadaire aux confrères malgaches. Madagascar n’avait alors que des quotidiens. Ensemble, on a lancé L’hebdo de Madagascar, largement inspiré de l’express-dimanche, mais adapté à la culture et aux mœurs malgaches.

Cela faisait plus de quatre mois que je vivais là-bas, à Ambatobe, sur une des 12 collines sacrées entourant la capitale.

Chaque week-end, je quittais le tohu-bohu de Tana pour aller découvrir les multiples facettes de la Grande île, en grimpant sur des Taxi Be avec une jeune photographe, téméraire, manifestement un peu casse-cou. Elle s’appelait Marie-Danielle Domenici, une Américaine, née d’une mère mauricienne, Josiane Balancy − la fille de Guy Balancy, le premier rédacteur en chef de l’express, qui est devenu ensuite le premier ambassadeur de Maurice à Washington, D.C., et aux Nations unies à New-York. Danielle et moi, on faisait de grands reportages, notamment sur les baobabs, les lémuriens et les tireurs de poussepousse, dont un devait décrocher (en 2006) un prix international décerné par l’Organisation internationale de la francophonie, Reporters sans frontières et Radio France Internationale.

Ce reportage primé, on le doit surtout à Julien, rencontré par le plus beau des hasards. Je me souviens encore des premières lignes du papier : «Les pieds nus, Julien tire son poussepousse pour gagner sa vie. Un peu plus de trente ans qu’il court inlassablement les rues défoncées d’Antsirabe. Et il n’a pas vraiment gagné sa vie, puisqu’après toutes ces années, tous ces kilomètres, toutes ces charges, il loue toujours son poussepousse : 5 000 FMG (environ Rs 15) par jour. Mais Julien a gagné un surnom, “Ingahilehibe”, en français : le doyen, ou le sage, ou encore le grand monsieur. Et cela lui suffit. Quand Julien tire son pousse-pousse, quelle que soit la charge ou la distance à parcourir, il a toujours cet intrigant sourire aux lèvres. Un sourire que le visiteur n’arrive pas à comprendre. Est-ce un sourire pathétique, ironique, ou désabusé ? Non. Rien de cela. Le sourire de Julien en est un de fierté…»

***

Quelques semaines plus tard, Jean Claude de l’Estrac débarquait à Madagascar. J’aimais bien quand il venait en visite. Il mijotait toujours de bons petits plats, principalement à base de fruits de mer − qui étaient en surabondance ici. Mais, cet après-midi, Jean-Claude était mal en point. Il m’a fait venir au Colbert, hôtel cossu du centre-ville, au milieu d’une marée humaine en haillons. Il était alité. Il vomissait et pensait qu’il avait contracté une gastro-entérite. Pourtant, c’était un habitué de Madagascar.

D’une voix faible, visiblement pas bien dans sa peau, il m’a dit rapidement : «Bravo. Tu seras nommé rédacteur en chef. Je démissionne à la tête des rédactions de l’express ; je ne ferai plus d’éditoriaux ; je vais me concentrer sur la direction générale.»

Il m’explique qu’il pourrait être nommé à un poste important. En amont de cette nomination, il préfère prendre du recul par rapport à l’actualité en général, à la politique en particulier. À la fin de l’année 2005, Jean Claude sort un communiqué en Une de l’express qui se lit ainsi : «À la tête de jeunes institutions, placez des administrateurs d’expérience. À celles qui sont bien rodées, injectez du sang neuf. Cette recette de base du management a inspiré la direction de La Sentinelle. Elle confie, dès janvier 2006, la responsabilité des rédactions de ses diverses publications à une jeune équipe de journalistes. Il y a dix ans, quand La Sentinelle était encore trentenaire, Jean Claude de l’Estrac prenait la direction générale et la direction des publications du groupe pour les moderniser afin d’offrir aux lecteurs une presse de qualité, susceptible de rendre compte de l’évolution du pays (…) À partir de l’année prochaine, l’administrateur général de La Sentinelle conserve cette fonction mais cède la direction des publications à Ariane Cavalot de l’Estrac. Le rédacteur en chef de l’express sera Raj Meetarbhan. Il sera assisté de Stéphane Saminaden. La rédaction en chef de l’express dimanche sera confiée à Nad Sivaramen, qui sera épaulé par Rabin Bhujun. À 5-Plus, Michaëlla Seblin sera nommée rédactrice en chef adjointe à Darlmah Naëck.» Le communiqué ajoute : «(…) Nad Sivaramen a partagé, avec Isabelle Motchane-Brun, l’intérim aux commandes de l’expressdimanche au départ de Jérôme Boulle, délégué par La Sentinelle à l’express de Madagascar, son partenaire. Détenteur d’un Diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en communication, avec option journalisme, de l’université de la Réunion, Nad a agi comme formateur auprès de l’équipe éditoriale du journal malgache. De nature curieuse, de caractère conciliateur, Nad a les qualités d’un meneur d’équipe (…) La confiance qui lui a été faite rend Nad Sivaramen enthousiaste : ‘Accéder à ce poste à 30 ans est incroyablement excitant, dit-il. Mais ce qui rend l’aventure tout aussi stimulante, c’est de prendre la relève d’une personnalité de la trempe de Jean Claude de l’Estrac.’» (...)

Extrait du livre 60 ans : Le récit d’un journal et d’un pays.