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Pas de gestes, que des faits
Qu’est ce qui mène des hommes et des femmes qui paraissent, a priori, être raisonnables à réécrire l’histoire ?
Il est clair que l’on peut valablement remettre l’histoire à l’endroit quand celle-ci a été faussée par des éléments inexacts et même propagandistes, sélectionnés par ceux qui ont été en position de l’écrire au départ, soit pour cacher leurs péchés et leur honte, soit encore pour s’auto-glorifier.
De larges pans de l’histoire coloniale du monde sont de cet ordre-là. Mais pas seulement.
Les débats virulents qui émergent ces joursci aux États-Unis sur les cours de Critical Race Theory (CRT), par exemple, opposent ceux qui veulent que l’on explique aux enfants comment les discriminations surgissent et quelles en sont les conséquences ; à ceux, qui, de mauvaise conscience peut-on supposer, ne veulent pas réveiller les vieux démons d’exploitation, de discrimination et de cruauté pure. Il faudra bien, cependant, se confronter à la vérité de l’histoire à un moment ? Ou souhaite-t-on vraiment pouvoir occulter ce qui s’est véritablement passé et prolonger l’illusoire ?
Si on peut comprendre l’émotion qui mène à vouloir enlever des statues de généraux confédérés des États du sud des États-Unis, il ne faut aucunement l’accepter. En effet, ces personnages, pour avoir été du mauvais côté de l’histoire, en ont néanmoins fait partie de manière concrète et les faire disparaître ce serait nier la vérité. De toute manière, la Guerre de Sécession n’est pas seulement une guerre des bons contre les méchants, mais doit être perçue plutôt comme un mouvement de conscience contre la notion même de l’esclavage, alors que de nombreux pères fondateurs de la Constitution américaine, dont Washington, Jefferson et Franklin, avaient eux-mêmes été propriétaires d’esclaves à un moment de leur vie !
Bousbir, un quartier de Casablanca, fut, entre 1923 et 1955, le plus grand bordel à ciel ouvert du monde. Il fut imaginé, mis en place et géré par le protectorat français de cette époque-là pour, indique-t-on à l’officiel, mieux contrôler la syphilis. Environ 600 prostituées y vivront, en majorité marocaines, desservant jusqu’à 1 500 clients par jour, principalement des militaires. Les maladies vénériennes ne furent pas freinées, mais les livres d’histoire, tant français que marocains, en freineront l’existence au maximum….
Comme ils se tiendront le plus discret possible sur le prêt dévastateur du gouvernement français aux Haïtiens qui, s’étant affranchis de la colonisation grâce à la seule révolte réussie d’esclaves au monde, furent menacés de guerre, 21 ans après la révolte, s’ils ne compensaient pas les propriétaires d’exploitations sucrières qui avaient fui la révolte avant 1804 ! Les Haïtiens étant sans le sou, empruntèrent donc et, les intérêts, les commissions et les pénalités aidant, ce prêt ne fut repayé en totalité qu’en 1952, ayant coûté plus de 115 milliards de dollars de pertes et d’occasions ratées à l’économie haïtienne. La pauvreté de Haïti s’explique aussi par ses dirigeants irresponsables, dont les Duvalier, ses tontons macoutes et son élite économique avide de protéger ses intérêts à tout prix, même aux dépens du pays. Mais en amont, on fait grand silence sur la cause principale de cette pauvreté et que l’économiste Piketty a appelée, avec justesse, «le néocolonialisme par la dette»…
Quand les Anglais ont quitté l’Inde, à l’indépendance en 1947, après presque 200 ans de règne colonial, ils ont évidemment souligné les acquis qu’ils laissaient derrière eux (le train, les ponts et chaussées, la langue anglaise, un système de justice, la démocratie, un service civil, entre autres) et proposé leur version de ce qui gênait (notamment la mutinerie des cipayes, les électorats séparés de 1932 et, bien sûr, les famines qui firent des millions de morts). Les livres de Shashi Tharoor, entre autres, Inglorious Empire (2017) et An Era of Darkness (2016) remettent bien les pendules à l’heure, en expliquant l’exploitation éhontée des Britanniques qui ont systématiquement désindustrialisé l’Inde au profit du pouvoir colonial. Ainsi, alors que l’économie de l’Inde était aussi importante que celle de l’Europe entière quand arriva l’East India Company en 1757, représentant 23 % du PIB mondial, elle en avait été réduite à 3 % seulement à l’indépendance en 1947 !
Cependant, quand Narendra Modi réécrit les livres d’histoire scolaires ces jours-ci, il ne cherche certainement pas à seulement promouvoir la vérité, mais aussi à faire avancer son projet politique. Ainsi dans le nouveau cursus, l’empire moghol est diminué et «safranisé», l’hostilité envers et les multiples tentatives d’assassinat de Gandhi par les nationalistes hindous sont escamotées et on ne fait même plus mention de l’interdiction du RSS, organisation de militants hindouistes, après l’assassinat de Gandhi. Le parti de Modi, le BJP, est d’ailleurs largement perçu comme l’aile politique du RSS et leur alignement mutuel le confirme. En attendant, le rêve de Gandhi d’une seule nation unie et équitable est quotidiennement érodé à l’autel d’un nationalisme hindou inquiétant, puisque largement discriminatoire et trop souvent violent à l’encontre des minorités.
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L’embarras du Premier ministre (PM) dans le sillage de la Private Notice Question (PNQ) du leader de l’opposition sur l’ICAC était palpable mardi au Parlement. Il y avait de quoi !
En effet, l’Independent Commission against Corruption (ICAC), qui a englouti Rs 3 milliards depuis ses débuts et Rs 1,1 milliard ces cinq dernières années, sans compter l’impressionnant bâtiment de son nouveau quartier général, a un bilan plutôt maigre. S’il est vrai qu’il n’y a eu que quatre condamnations pour corruption en 2019, deux en 2021 et quatre autres en 2022, alors même que ces cas ne concernent que des situations vénielles de pot-de-vin de Rs 3 000, de Rs 6 000, de Rs 13 000 et de… tournevis, on ne peut échapper à la conclusion d’une démesure effarante entre les moyens et les résultats ! D’autant plus que de nombreux cas de corruption plus importants se trouvent déjà dans les dossiers de l’ICAC, mais ne semblent pas vouloir en sortir….
La solution proposée pour un tel manque apparent de productivité serait de regrouper tout le volet de crimes financiers sous un seul et unique chapeau, la Financial Crimes Commission ! On en attend vraiment plus d’efficience avec les mêmes, tous sous le même toit ? Le rapport annuel de l’ICAC 2021-22 nous suggère des pistes. Pour la corruption, en 2021-22, on a reçu 209 nouveaux cas pour des investigations préliminaires (PI), 202 cas ont été discontinués et seuls 22 cas passaient au stade d’investigations additionnelles (FI), le stock de départ diminuant d’une quinzaine de dossiers. Seulement sept cas sont recommandés pour des poursuites cette année-là, alors que 34 dossiers étaient clos avec une recommandation de «no further action». On peut conclure soit à un taux de corruption très faible, soit à des enquêteurs pas très incisifs ou bien pire… Vous ferez votre choix !
Et si le salaire du directeur était plutôt de Rs 100 000 de base, plus Rs 25 000 par cas de corruption de plus de Rs 1 million menant à condamnation, n’aurions-nous pas davantage de résultats ?
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Un speaker qui refuse une question parlementaire sur ses propres voyages payés de l’argent public ? C’est quoi ça, sinon de l’obscurantisme auto-imposé ! *** Les réservoirs sont tous remplis. Combien d’entre nous font des ÉCONOMIES D’EAU, afin de moins se plaindre quand viendra la saison inévitable de la sécheresse prochaine? COMBIEN ?
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Le PM de l’Estonie raconte dans le New York Times, cette semaine, comment dans un comité souhaitant réglementer toute guerre cyber éventuelle, et se tenant huit mois avant l’invasion de l’Ukraine, la Russie fut le seul pays à voter contre la motion d’étendre la juridiction de la charte des Nations unies au cyberespace ! On a compris pourquoi depuis, mais l’Ukraine était apparemment assez bien outillée pour se défendre ….
Toutes les grandes puissances du monde ont envahi des pays tiers, sous divers prétextes. Les États-Unis ont été en Afghanistan (2001), en Irak (2003), en Haïti (1915), aux Philippines (1899), au Panama (1989), entre autres. Les Britanniques, les Israéliens et les Français ont bien essayé de saisir le canal de Suez en 1956. Lors de la Seconde Guerre mondiale, les Américains et les Russes étaient en Allemagne. Mais ils se sont tous retirés après un moment, du moins ouvertement. À peu près seule, dans les temps modernes, avec Israël (guerres des Six Jours et d’indépendance), la Chine (invasion du Tibet en 1951), la Russie envahit avec l’intention de rester. La Transnistrie, en Moldavie (1992), l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie en Géorgie (2008), la Crimée (2014), les îles Kuriles au Japon (1945), la région entre Louhansk et Kherson, à l’est de l’Ukraine (2022), ont toutes été envahies sans espoir de recul. L’état d’esprit est clair! Et inquiétant ! D’autant qu’ils ont presque 6 000 têtes nucléaires entre leurs mains ….
(*) https://www.nytimes.com/fr/2022/05/20/world/europe/haiti-cic-france-dette.html
(*) https://www.liberation.fr/planete/2010/03/25/haitila-dette-originelle_617159/
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