Publicité
L’économie de la drogue et le financement politique
Par
Partager cet article
L’économie de la drogue et le financement politique
Nous avons une économie parallèle financée par le trafic de drogue. Certains pensent qu’elle est d’une taille presque similaire au PIB. C’est vrai que la police et le Premier ministre parlent souvent des saisies-record de plusieurs milliards. On ne connaît pas trop le taux de change utilisé mais on prend note. Malgré ces saisies dites «record», dans nos quartiers populaires, beaucoup sont devenus blasés face à l’impuissance de nos autorités d’éradiquer le fléau qui a pris, au fil des décennies, des proportions alarmantes, malgré tous les discours politiques, les commissions d’enquête, l’ADSU et la Special Striking Team.
Depuis plus d’une dizaine d’années déjà, nous caracolons en tête du classement de l’Organe international de contrôle des stupéfiants. Nombre de travailleurs sociaux expliquent que les drogues synthétiques, vendues aux jeunes collégiens à des prix bas, mènent à l’héroïne, comme on mène les cabris à l’abattoir… Car notre pays est notoirement connu comme «le pays qui affiche l’un des plus hauts taux de prévalence annuelle de l’usage d’opiacés avec un taux de 1,9 %».Ce qui est moins connu, c’est qu’après nos Amsterdam Boys de triste mémoire (1985), nombre de nos policiers ont été pris la main dans le sac de poudre. Pravind Jugnauth évoque souvent l’infiltration de la mafia au sein de nos institutions. Comme Premier ministre, il doit avoir vu des preuves de ce qu’il avance.
Pas besoin d’avoir un sous-marin nucléaire pour déterminer une faille majeure de notre stratégie antidrogue : l’absence de contrôle le long des côtes mauriciennes – et malgaches. Tel n’est pas le cas à La Réunion, où les vedettes rapides des gendarmes font le guet. L’axe Madagascar-Maurice, malgré la distance et les dangers en mer, est par conséquent le plus utilisé. La Grande île, elle-même, n’est qu’un petit réceptacle d’un bien plus vaste trafic international dont le point de départ est l’Afghanistan. Ce pays, qui est le premier producteur d’héroïne au monde, atteint ces dernières années ses niveaux de production les plus élevés depuis 20 ans, souligne régulièrement l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Selon l’ONUDC, la surface cultivée a augmenté d’environ 10 % par rapport à 2015.
L’héroïne, considérée auparavant comme la cocaïne pour les pauvres, connaît une véritable croissance en raison, notamment, d’un autre facteur : une lutte internationale plus serrée, en Europe et aux États-Unis (principales régions consommatrices de drogues dures au monde), contre le trafic de cocaïne (qui provient principalement de l’Amérique latine). Sur plein de marchés, l’héroïne remplace aujourd’hui la cocaïne. Entre les prix qui flambent (en raison de la demande accrue), l’évolution des routes de trafic et les nouveaux modes de consommation, la menace de l’héroïne ne cesse de grandir. Ailleurs dans le monde, tout comme chez nous d’ailleurs, à en croire ceux qui sont sur le terrain.
Plusieurs études indiquent que les trafiquants-entrepreneurs profitent de la face cachée de la mondialisation des services et des biens pour tisser leur toile. L’acheminement d’importants volumes d’héroïne depuis l’Afghanistan, via l’Afrique de l’Est et Madagascar, est facilité par la diversité des itinéraires possibles, que ce soit sur terre ou en mer et la forte porosité des frontières. C’est une des difficultés de la lutte contre le trafic d’héroïne, qui diffère de ce point de vue du trafic de cocaïne. Cette dernière doit transiter le plus souvent par des aéroports ou ports. Ces plates-formes stratégiques forment alors des goulets d’étranglement qui rendent les risques d’interception plus élevés pour les trafiquants. C’est nettement moins souvent le cas de l’héroïne. Le manque de coopération internationale et régionale, notamment d’échanges d’informations entre les différents pays, s’avère une faiblesse que les criminels exploitent à fond.
Dans un tel environnement, les trafiquants se comportent de plus en plus comme des entrepreneurs, ayant une vision davantage «économique» du marché illicite.
***
Avec une économie de cette taille, ce n’est alors guère une surprise qu’il existe chez nous un vaste réseau de blanchiment lié au trafic de drogue dure. Le business des passeurs est florissant en raison de l’organisation financière ingénieuse que la police n’arrive pas à cerner. Les saisies de drogue ne sont que le sommet de l’iceberg.
Ce qui rend perplexe c’est que les liens entre trafic de drogue et partis politiques ne sont toujours pas rompus. Pourquoi n’a-t-on toujours pas un mode transparent de financement des partis politiques ? Les partis politiques n’encouragent-ils pas le blanchiment d’argent mal acquis en favorisant un environnement obscur, où la couleur de l’argent devient floue ?
À Maurice, les dons anonymes ne sont pas interdits. Il n’y a pas de règles qui mettent les acteurs politiques et les bailleurs de fonds face à leurs responsabilités. Il n’y a pas lieu de publier des données et des documents. Ils ne s’exposent à aucune amende. Il n’y a pas de contrôle auprès des partis, et dans les rapports financiers des grands groupes, on ne dit pas tout.
En France, les législatives représentent le principal nerf de la guerre et de la survivance financière des partis. Le financement se fait par les aides publiques de l’État. Celui-ci repose, prioritairement, sur les résultats obtenus au premier tour. En 2022, 66 155 millions d’euros d’aides publiques ont été attribués aux partis politiques par l’État. Le premier bénéficiaire en a été La République en marche (LRM), qui a perçu près de 21 millions d’euros.
Généralement, en Afrique, il doit bien exister quelques lois sur le financement des partis politiques, mais elles n’ont presque jamais été mises en œuvre. Ce qui explique du reste pourquoi le gros des partis a besoin de financements «occultes». Autre phénomène observé : avant une échéance électorale, pas mal d’acteurs politiques choisissent de quitter l’opposition pour rallier le gouvernement afin de pouvoir profiter de l’argent public qui est détourné à des fins électorales. D’autres encore nouent des alliances avec les partis politiques qui ont de gros moyens, souvent mis à disposition des politiciens par des puissances étrangères, comme la Chine, la France ou les États-Unis.
En juillet 2019, quatre mois avant les dernières législatives, Pravind Jugnauth avait présenté, en première lecture uniquement, le Political Financing Bill. Mais la dissolution du Parlement, trois mois plus tard, a rangé le projet aux oubliettes. Et les législatives de novembre 2019 se sont tenues comme à l’accoutumée, c’est-à-dire dans l’obscurité totale et sans aucune règle en matière de financement des partis. Certes, il existe quelques notes çà et là, des reçus et des chiffres, comme ceux figurant dans les Kistnen Papers, mais sans plus. Pas de quoi réveiller l’Electoral Supervisory Commission, qui se contente de l’affidavit juré par les candidats, qui commencent leur carrière en politique en mentant pratiquement tous de manière éhontée.
Aujourd’hui, nous sommes pratiquement à la fin de la deuxième législature consécutive du MSM ; croyez-vous que de nouvelles règles liées au financement des partis politiques seront adoptées avant les prochaines élections ? Ou c’était juste de la poudre de perlimpinpin jetée à la ronde au Parlement ?
Pravind Jugnauth a l’appareil d’État en main. Il a fait saisir les coffres-forts de son rival et bloquer ses Rs 220 millions qui étaient, en majeure partie, des dons politiques. De son côté, de manière totalement indépendante, la Financial Intelligence Unit a bloqué les millions de Sherry Singh, qui a lancé, avec Bruneau Laurette, One Moris pour contrecarrer le MSM sur le terrain, dans certaines circonscriptions précises. Mais, il y a une autre épée de Damoclès qui pourrait tomber avant le prochain scrutin : l’appel de Suren Dayal devant le Privy Council, où la question de financement politique sera soulevée, entre autres arguments…
Le clientélisme politique entraîne une gestion médiocre ou une perversion du rôle des organismes de régulation et des institutions publiques, dont la police, la FIU, l’ICAC, la FSC. Et quand le privé, l’État et les régulateurs se soutiennent dans leurs intérêts – par tous les moyens –, ils finissent par former une «mafia», pour reprendre l’expression du Canadien Bert Cunningham, avant qu’il ne plie bagage. Aujourd’hui, il n’est plus suffisant de dénoncer la gangrène qui nous ronge. Il nous faut moraliser la vie publique en réglant, enfin, le problème de financement politique, ses corollaires et autres ramifications tentaculaires et mafieuses, pour reprendre l’expression du Premier ministre.
Publicité
Les plus récents