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Amize lepep
Les Singapouriens doivent bien rigoler en pensant à cette petite île de l’océan Indien qui rêve d’émuler leur succès économique. Pour prendre la mesure du fossé culturel qui nous sépare de nos « modèles », imaginons une rencontre entre un Singapourien et un Mauricien. Admettons qu’elle se soit passée ce lundi 2 janvier à Suntec City, l’un des centres commerciaux les plus fréquentés du micro-Etat asiatique. Les deux interlocuteurs s’échangent les vœux d’usage du nouvel an. Puis l’un interroge l’autre sur les coutumes de son pays durant la période festive. Stupéfait, le Singapourien apprend que le tigre de l’océan Indien roupille le 2 janvier. Il ne comprend pas cette coutume et s’empresse de faire remarquer au Mauricien que c’est business as usual à Singapour à cette date. Tous les commerces et services publics et privés sont ouverts. Fezer de nature, le Mauricien croit impressionner son interlocuteur en lui expliquant que cette année, les syndicats du secteur public ont même demandé à ce que le mardi 3 janvier soit déclaré férié. Histoire d’avoir presque 5 jours de repos d’affilée en comptant la demi journée grugée du vendredi 30 décembre.
Retour à la réalité bien mauricienne. Si dans leur écrasante majorité, les employés du privé ont chômé ce mardi, les fonctionnaires ont obtenu une petite victoire à l’arraché. Ils étaient environ trois sur dix à avoir « zet enn sick » ce jour-là. Les téméraires ainsi que les quelques rares consciencieux à s’être montrés fidèles au poste ont pu, eux, bénéficier de la « discrétion » de leurs supérieurs dans « certains » cas et rentrer plus tôt chez eux. Résultat des courses, les secteurs privé et public ont été tout sauf productifs ce mardi.
Depuis, une polémique semble s’être installée au sujet de la faiblesse du gouvernement à instaurer la discipline dans la fonction publique. Mais finalement ce n’est pas là le vrai problème. Il est ailleurs, dans cette mentalité voulant que « morisien konn amize. » Mais l’amusement a un coût. Est-on vraiment sûr de vouloir le payer ?
Un calcul empirique a permis d’évaluer à un milliard de roupies la valeur produite lors d’une journée de travail dans le pays. Faisons donc les comptes à partir de ce chiffre-là. Hormis les services essentiels, le pays n’a pas du tout travaillé lundi. Mardi, si le secteur public s’est partiellement réveillé, le secteur privé, lui, est resté sous la couette. Celui-ci a d’ailleurs continué à tourner au ralenti jusqu’à ce vendredi.
Ce n’est que demain, en début d’après-midi, que la Mauritius Employers’ Federation (MEF) rendra publics les chiffres de l’absentéisme et de l’activité des entreprises pour les premiers jours de 2012. On n’attendra pas toutefois la MEF pour tenter une estimation. L’un dans l’autre notre goût collectif pour la fête et les ponts immodérément longs ont coûté au bas mot environ Rs 3 milliards à l’économie nationale. Seule une nation prospère peut penser continuer à subir de tels manques à gagner sans s’en offusquer.
Or, notre économie est loin d’être prospère et le contexte mondial dans lequel nous évoluerons en 2012 l’est encore moins. Aussi, on peut interpeller nos décideurs sur le sens de la discipline de notre nation. En leur demandant, par exemple, si Maurice, comme la Grande Bretagne, la Corée du Sud, le Japon, la Russie et une demi-douzaine d’autres pays au monde, doit continuer à festoyer le 2 janvier. Tout comme nous pouvons leur demander de se prononcer, avec les responsables du secteur privé, sur la validité d’une sorte de clause tacite annexée aux Remuneration orders du National Remuneration Board. Qui décrète que les employés du secteur privé peuvent disposer de end and start of year leaves au-delà des congés auxquels ils peuvent légalement prétendre.
Mais tout cela est une question de discipline. Et c’est justement là toute la différence entre Mauriciens et Singapouriens. Pendant qu’ici, on passe notre temps à parler du concept. Là-bas, ils l’appliquent !
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