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Après les flirts
Il faut bien le reconnaître, la presse tombe trop souvent dans le panneau des politiques. Ainsi, tous les « observateurs » du pays dissèquent en ce moment les élans d’affection des amoureux qui se bécotent sur les bancs publics : Navin Ramgoolam et Paul Bérenger. Il y a de l’alliance dans l’air, se hasarde-t-on parfois à conclure. Et si nous nous trompions tous ? Et si nous étions tous en train de focaliser notre attention sur un épiphénomène en tournant le dos à un autre problème plus pressant ?
Relativisons d’abord les flirts entre les patrons rouge et mauve en rappelant le rapport de forces politiques en place. Ramgoolam a une majorité de 37 députés à l’Assemblée nationale, contre 32 pour l’opposition. Si cet écart ne se mesure pas en années-lumière, il permet néanmoins au Premier ministre de dormir tranquille jusqu’en mars. « L’information » de Bérenger selon laquelle une demi-douzaine de travaillistes piaffent d’impatience de rejoindre l’opposition ressemble, en effet, de plus en plus à un coup de bluff. Sauf un revirement aussi spectaculaire qu’improbable, Ramgoolam sera donc encore « leader of the House » à la prochaine rentrée parlementaire.
Electoralement, les échéances sont encore plus lointaines. Le pays, en théorie, ne va être rappelé aux urnes qu’à partir de début 2015. Ramgoolam a ainsi trois ans pour voir venir. Peser le pour et le contre d’un statu quo avec le PMSD, d’une alliance avec le MMM… et ne l’oublions pas, d’un remake avec le MSM ! Il y a bien les scrutins régionaux de 2012 mais même si le chef du gouvernement essuie un échec lors de ceux-ci, il aura encore deux années pleines pour faire oublier sa contre-performance. Notamment en décidant habilement des suites à donner au rapport Carcassonne qui lui sera remis incessamment.
L’agenda politique peut donc attendre. Car en 2012, c’est l’agenda économique qui devra être la priorité absolue du Premier ministre et de son gouvernement. C’est que l’année nouvelle s’annonce particulière. Christine Lagarde, la patronne du Fonds monétaire international, a prévenu récemment qu’en 2012 l’économie mondiale pourrait connaître une situation comparable à la Grande dépression des années 30. Sauf que cette fois-ci l’implosion, au lieu de venir de la Bourse de New York, viendrait de la City, de Paris ou de Milan.
Même si les Mauriciens étaient les fidèles sujets de Georges V en 1930, les convulsions de l’économie mondiale ne les avaient pas laissés indemnes. Le secteur sucre – notre unique industrie d’exportation de l’époque – accusa le coup suite aux importantes baisses du cours mondial de la denrée. Générant, au passage, de graves conséquences sociales. Ainsi, dans Médine 1911- 2011, visions d’un siècle, les effets de la Grande dépression sur le Mauricien lambda apparaissent clairement. « Alors que le salaire journalier d’un laboureur en 1928 achète un peu moins de 13 livres de riz, il n’en achète en 1934 que 9 livres. Les rémunérations des employés de l’Etat et des ouvriers sont réduites. Le chômage se répand. »
Flashforward en 2012. Certes, notre économie est désormais diversifi ée et solidement ancrée sur cinq piliers. Mais une conjoncture internationale catastrophique pourrait avoir des effets tout aussi lourds sur les Mauriciens à l’avenir. A cause du positionnement même de nos secteurs de croissance. Le textile mauricien exporte des produits à valeur ajoutée. Le tourisme local est un label haut de gamme, donc cher. Les villas IRS et RES ne trouvent grâce qu’auprès de clients étrangers très fortunés. Enfin, le bilinguisme et le « right pricing » de notre secteur d’externalisation sont loin de constituer un avantage comparatif exclusif à notre pays.
Ces réalités-là vont perdurer en 2012. Ce qui va changer, par contre, c’est la situation économique chez nos principaux clients. La France va, selon ses propres estimations, rentrer en récession dès le premier trimestre 2012. Ce sera également le cas de l’Angleterre. En conséquence, nos clients vont réclamer davantage de ristournes aux industriels, hôtels et sociétés locales de business process outsourcing.
Face à un refus, une première partie de notre clientèle se rabattra sur des chemises made in China, les hôtels d’Agadir au Maroc ou les centres d’appels d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Une deuxième catégorie obtiendra, elle, gain de cause en forçant ses fournisseurs locaux à rogner sur leurs marges et à pratiquer des coûts planchers pour rester compétitifs. Mais jusqu’à quand et comment les fournisseurs locaux pourront-ils tenir face à cette nouvelle logique ? C’est probablement la question essentielle que le monde économique local se pose déjà.
Malheureusement la population, gagnée par une forte poussée de fièvre acheteuse, ne se soucie guère de cette question. Le réveil risque donc d’être brutal en cours d’année. Quand les premiers licenciements économiques commenceront à faire la une des journaux et que le gel salarial sera préconisé dans les secteurs qui étaient, hier encore, porteurs. Les alliances peuvent attendre, l’économie, elle, n’attendra pas. Il serait temps que Ramgoolam et Bérenger s’en persuadent...
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