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Ces mots qui blessent
Nous avons un rapport plutôt problématique avec le langage. Il y a une certaine peur devant quelques mots. Après «tonkin» dans une pièce jouée dans une école maternelle, c’est donc un nouveau mot qui se voit censuré de notre vocabulaire public. Pourtant, c’est un substantif qui décrit la même partie du corps. A croire que c’est une obsession. Cette fois, c’est le mot «fesses» qui subit les foudres des bien-pensants locaux.
Il y a quelques jours de cela, il était question d’une marque de couches-culottes... Peut-être était-ce un autre «gros mot». A ceux qui diront «Quel culot !», il faudrait leur rappeler la nécessité de la précision. Cette marque de «langes» avait, en effet, fondé sa campagne publicitaire sur la phrase «Occupe-toi de mes fesses». L’enfant sur les panneaux publicitaires n’aura pas attendri la réaction de ceux que cette phrase aura choqués.
Qu’une telle réaction provienne des lobbys conservateurs est prévisible. Mais qu’elle vienne d’une plateforme appelée la «National Youth Front» fait surgir certaines interrogations. Des jeunes qui s’unissent ainsi autour de la doxa, c’est ce qu’il y a d’imprévisible.
Par extension, on peut s’attendre à voir bannir les déclinaisons dudit mot : «fessier» (bonne chance messieurs les commentateurs sportifs), «tire-fesses» ou même «fessée». La punition corporelle, sous sa forme physique, est déjà interdite à l’école. Elle le sera également de façon textuelle. On peut aussi se demander si les termes comme pénis, vagin, pubis, prostate, aréole ou mamelon seront permis ? Ne risque-t-on pas, un beau jour et aux humeurs de certains, de voir un groupe s’insurger contre une campagne contre le cancer, parce que celle-ci comporterait les mots «sein» ou «col de l’utérus» ?
On n’est pas dans la caricature. On est dans l’outrage du langage. Les mots disent notre monde. Hormis les injures, on peut difficilement s’offusquer de ce qui participe à la norme. Société puritaine, nous le sommes. Il y a ce refus de certaines réalités. Il y a cette peur de s’avouer.
D’où le fait d’être scandalisé par une idée marketing qui, en fi n de compte, aura rempli son rôle d’attirer l’attention, en détournant une expression «vulgaire» pour en faire un slogan. Le fait de dire «derrière» aurait sans doute passé inaperçu, aurait «amorti» l’affront fait aux susceptibilités...
Mais nous avons toujours un problème. Si on doit s’asseoir sur son vocabulaire pour ne pas déranger certains, comment faire pour décrire cette partie du corps, commune à chacun de nous ? Alors, on peut proposer une variante locale, avec le chiffre «40», utilisé pour évoquer la chose. Imaginez, dire, comme Gad Elmaleh l’a fait ressortir lors de son passage à Maurice, d’une «jolie 35», qu’elle a un «beau 40». Ne passerions-nous pas pour un peuple au langage pour le moins codé ?
Du reste, cette précaution ne vaudra sans doute pas à nos étudiants d’être meilleurs en maths, mais, à la rigueur, de rester hors du côté obscur de la farce, face à l’obscurité de la force des frileux de la langue.
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