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D’ébats en débats
Commençons en énonçant une vérité de Lapalisse : le Mauricien ne possède aucune culture de débat. Pourtant, ces temps-ci, il y a foison de sujets nécessitant un débat national éclairé et dépassionné. Citons quelques exemples : la gestion des déchets, le financement des partis politiques, la langue d’enseignement à l’école, la sexualité des adolescents ou encore l’interruption volontaire de grossesse.
Ces questions sont certes abordées. Mais de quelle manière ! La façon dont les débats s’enclenchent à Maurice témoigne de la profonde polarisation de notre société. On s’ébat entre gens bien-pensants, partageant la même opinion que soi. On se sent bien entre « écologistes », « pro-life », « procréole », « réalistes » « libertaires » ou « travailleurs ». Et tant pis pour ceux qui ne partagent pas notre avis. Ils sont forcément racistes, rétrogrades, impies, magouilleurs. Pourtant, il faut vite trouver une solution
afin que des grands enjeux socio-économiques puissent être débattus sans que la société soit divisée en deux camps opposés. La solution la plus durable pour instaurer une culture de débat passe par un nouveau mode d’enseignement à Maurice. Qui apprendrait à l’enfant à développer des « life-skills » et son esprit critique. Mais nous ne pouvons pas attendre cette nouvelle génération de citoyens pour trancher des questions actuelles.
Il faut créer une plate-forme crédible et amener nos citoyens à y avoir un débat apaisé. Avant de nous attarder sur cette plate-forme, il faut déjà relever les quelques éléments qui font que nos citoyens ne participent pas aux débats. Ou alors le font en adoptant des positions tranchées. A tout seigneur tout honneur ; commençons par les attaques personnelles. Aucun débat ne s’enclenche à Maurice sans que des piques ne soient lancées non sur les idées mais sur les personnes. On s’intéresse aux présumés liens étroits entre les dirigeants de Gamma-Covanta et le pouvoir, plutôt qu’à la question de gestion de déchets… Dans un deuxième temps, il faut aussi s’intéresser à la diversité des participants aux débats. Certes l’apport des experts est important. Mais parfois, l’avis du « enduser » est tout aussi utile. Demander l’avis des commerçants de la rue La Corderie à Port-Louis peut s’avérer utile dans l’élaboration d’une politique 24/7 à l’avenir. Or, cela n’a pas nécessairement été fait jusqu’ici Enfin, c’est bien agréable de disserter pendant des heures sur un sujet de société. Encore faut-il savoir si les conclusions auxquelles on arrive finissent bien par atterrir sur la table des décideurs politiques ou économiques. Et surtout se demander ce qu’ils en font ensuite…
Une plate-forme crédible de débat national doit pouvoir regrouper tous ces gages de crédibilité. Aussi nous pensons que moyennant des aménagements importants, une institution du pays peut assumer la fonction de catalyseur d’idées. C’est le « National Economic and Social Council » (NESC). La loi instituant le NESC lui confie la tâche de « favoriser le consensus à travers le dialogue » et de permettre à « la société civile de participer davantage au processus de décision au niveau national ». Pour l’heure, nous pensons que le NESC n’arrive pas à relever le défi. Deux étapes importantes doivent être franchies pour que l’institution gagne en efficacité. Il faut d’abord ouvrir les portes du NESC. L’obsession du tripartisme est désuète. Ce n’est pas parce que l’on est fonctionnaire, patron ou syndicaliste que l’on doit être
canonisé « sage » d’une commission du NESC. Ces cellules de réflexion doivent certes être composées d’un noyau dur de « sages ». Mais ceux-ci doivent aussi pouvoir coopter des membres à part entière. Et non pas de simples « consultants » ou « témoins » venus donner leur avis, le temps d’une mini-étude ou d’une audition.
Le NESC doit aussi abandonner l’approche « top-bottom » élitiste qu’elle cultive. Cloisonner les débats entre sages, experts et quelques initiés n’est pas la méthode idéale. La pratique nous montre le chemin à suivre. La méthode adoptée pour élaborer le document « Competitiveness Foresight » en 2004 est la meilleure selon nous. Le « National Competitiveness and Productivity Council » (NPCC) avait tenu des travaux en deux temps en septembre 2004. D’abord un grand exercice de réflexion avait été étalé sur deux jours durant lesquels experts, citoyens, fonctionnaires et décideurs
politiques avaient chacun donné son avis. Les idées recueillies lors de cette première session avaient ensuite été redébattues dans un forum composé de membres du NESC, du NPCC et aussi de la société civile. Une partie des idées contenues dans ce rapport ont inspiré la réforme économique en cours depuis 2006. Grâce à une partie de ces mesures, Maurice pourra enregistrer une croissance économique en 2009 alors que d’autres pays
développés souffrent de récession !
La NESC doit cesser de produire des documents qui finissent dans des tiroirs. Elle doit s’ouvrir et organiser des assises plus structurées où plus de personnes seront appelées à partager leurs idées. Ensuite, ces idées doivent faire l’objet d’un deuxième débat culminant sur un document complet sur la question étudiée. Nous pensons ainsi que les conclusions du rapport « A shift towards segregation and recycling of solid wastes » du NESC, de mars 2008, auraient pu être plus riches et pertinentes au contexte actuel. Si le débat avait été organisé à une plus grande échelle et avec une approche plus pratique.
Enfin, ce sont les relations du NESC avec le pouvoir qu’il convient de définir. Les consultations régulières du NESC avec le président, le Premier ministre ou le leader de l’opposition peuvent n’être qu’une mascarade. Si le NESC, en changeant de mode de fonctionnement arrive à produire des documents de la qualité de « Competitiveness Foresight », il faudrait aussi penser à accorder plus d’importance à ses travaux. Ainsi, il serait souhaitable que les rapports du NESC soient débattus à l’Assemblée nationale. Afin que les ministres concernés s’inspirent des conclusions des rapports pour fonder de nouvelles politiques étatiques. Ou dans certains cas, pourquoi pas, initier des réformes éducatives, sociales, infrastructurelles ou économiques sur la base de ce que veulent les citoyens. Ce n’est pas un rêve. C’est une possibilité !
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