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De la lettre de Le Clézio à Obama

18 décembre 2009, 15:40

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Le prix Nobel de littérature 2008, J.-M. G. Le Clezio s''est adressé à son homologue prix Nobel de la Paix 2009, Barack Obama, pour lui demander de «laver l'injustice faite aux Chagossiens», dans une lettre publiée par le journal «Le Monde» du 17 octobre dernier.

Monsieur Le Clézio raconte comment les Britanniques ont déporté les Chagossiens de leur archipel à destination de l’Ile Maurice et aux Seychelles, en pleine guerre froide, pour permettre l’installation d’une base militaire américaine, dans la principale île de l’archipel, Diego Garcia. Après avoir retracé l’histoire dramatique de cette déportation, J-M. G. Le Clezio conclut sa lettre en rappelant au Président des Etats-Unis qu'il a «le pouvoir d'autoriser ces gens et leurs enfants à revenir vivre sur le sol natal» ou «pourquoi pas? Les autoriser à travailler sur la base militaire».

Cette demande, qui a suscité le plus grand intérêt des médias, en raison du prestige et des qualités de l’écrivain qui l’a formulée, me rend perplexe. Et ce malgré le mérite incontestable de Monsieur Le Clézio d’avoir «internationalisé» un débat jusque-là cantonné entre Maurice et l’Angleterre.

Je m’interroge sur les idées que Monsieur Jean Marie Le Clézio, et avec lui, ceux qui le soutiennent à grandes voix, veulent véhiculer ainsi que sur les objectifs visés.

L’appel de Monsieur Le Clézio paraît marier une revendication forte d’une portée idéologique à un pragmatisme assumé. Est-ce le début d’une négociation? Est-ce une stratégie pour s’assurer d’un minimum de résultats concrets pour cette population aux droits reniés?

Si c’est le cas, je ne pense pas que ce soit une base de négociation suffisamment solide pour y bâtir un véritable havre de justice au profit des Chagossiens.

Par le biais de deux résolutions, le 16 décembre 1965 et en juillet 1980, l’ONU a déjà dénoncé l’illégalité de l’invasion anglo-américaine sur le territoire mauricien, rebaptisé British Indian Ocean Territory.

Il est donc avéré que l’installation de la base militaire naît d’une violation des règles de droit international. C’est une injustice indéniable au même titre que les préjudices apportés aux Chagossiens.

Cette base militaire est devenue un des symboles de l’arrogance de l’ex-empire britannique et de l’abus de pouvoir de son principal allié militaire. Depuis 1965, à l’insu des droits du peuple chagossien, le Royaume Uni et les Etats-Unis prennent d’assaut tout un archipel et forcent l’exil des autochtones, ne leur permettant pas, encore aujourd’hui de retourner dans leur pays natal. En période de guerre froide, ils justifiaient cette action barbare en parlant de la menace potentielle que pouvait représenter la Russie. Aujourd’hui, la menace est représentée par les «islamistes». Demain, il y aura une autre raison pour les Américains de se sentir menacés. Toutes les raisons seront bonnes tant qu’elles permettent à cette invasion de perdurer. Le symbole de cette base militaire est terriblement effrayant parce qu’il remet en question tous les principes fondamentaux des traités internationaux visant à assurer les droits et les respects des peuples.

Monsieur Le Clézio demande aux Américains de rendre justice aux Chagossiens en les autorisant « à revenir vivre sur le sol natal», et «pourquoi pas?», «à y travailler sur la base militaire».

Cette deuxième demande imprégnée de pragmatisme est paradoxale. Elle donne l’impression que la première demande était faite pour la forme et pas véritablement pour la revendication d’un droit, tandis que les Chagossiens ont mené jusqu’ici un combat d’une dignité rare, auprès de la Haute Cour de Justice de Londres et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, s’érigeant contre la suprématie anglo-américaine.

L’on ne peut pas «laver l’injustice faite aux Chagossiens», (pour reprendre les termes de Jean Marie Le Clézio) en leur proposant de travailler sur la base militaire. S’ils retournent chez eux en tant que subordonnées, leur «chez nous» sera de facto le «chez nous» de leur employeur, en l’occurrence les Américains.

«Travailler sur la base militaire» n’a rien à voir avec «vivre sur le sol natal», qui n’était pas une base militaire. Vivre, c’est respirer, danser, chanter, manger, boire, se promener, se marier, divorcer, aimer, construire, détruire, voyager… librement. Et si un Chagossien décide d’aller y travailler pour avoir les mêmes droits que tous les autres employés non-chagossiens sur la base militaire, il s’agira d’ un choix individuel que nul ne pourra contester.

La concession de travailler sur la base militaire de Diego Garcia que les Américains accorderaient aux Chagossiens sous forme d’un contrat de travail, ou autre, ne saurait réparer les torts individuels que les Chagossiens ont subi et continuent à subir, ni laver la honte du crime perpétré contre tout un peuple.

Si le combat des Chagossiens doit passer par des négociations, cela doit se faire sur un pied d’égalité entre victimes et bourreaux. Ce combat doit être le reflet des plus beaux rêves des Chagossiens, sans cet étrange sentiment de soumission implicite ou d’infériorité. Le combat des Chagossiens doit rester digne tant dans les sens que dans les idées afin que leurs descendants parviennent à s’en approprier avec fierté.

 

 

Pamella Edouard