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Des moutons et des hommes
C’est la saison des « graduation ceremonies ». Ces messes solennelles durant lesquelles nos étudiants prennent possession de leurs diplômes. Deux types de discours convenus s’y font régulièrement entendre. Il y a d’abord ceux qui se félicitent du nombre grandissant de « gradués », partant du postulat que la quantité est synonyme de progrès. Ensuite ceux qui font croire aux étudiants que le seul fait de détenir le précieux bout de papier suffit à leur ouvrir l’horizon. Ce n’est pas si simple…
Coupés des réalités du monde du travail et parfois habitués à n’évoluer qu’en vase clos – familial et social – ces jeunes d’une vingtaine d’années apprendront une première leçon amère : le diplôme qui a nécessité tant de travail n’est qu’un bout de papier à la valeur toute relative et qui ne garantit rien à son titulaire. C’est une leçon d’incertitude.
Notre système éducatif (académique et technique) aide grandement nos jeunes à ne réfléchir qu’en termes de jobs à pourvoir. Car sa finalité semble être de fabriquer des économistes, des plombiers, des avocats et médecins et non des citoyens. Cette saison de « graduation » nous livre ainsi une nouvelle fournée de jeunes diplômés qui pensent qu’il suffit d’AVOIR un métier grâce au précieux bout de papier pour ÊTRE. Ils apprendront à penser autrement.
La première partie du dur apprentissage s’effectuera au travail. Où les nouveaux diplômés goûteront à la réalité de l’inégalité. Beaucoup n’obtiendront pas le job tant convoité. Pour des raisons objectives : une meilleure motivation, une expérience plus riche ou tout simplement une personnalité plus attrayante des autres candidats. L’inégalité existera également pour des raisons occultes. Du type « mon père connaît X, vaut mieux me recruter » ou « ma mère est la maîtresse de Y, refusez ma candidature à vos risques et périls ». Les deux cas de figure ne sont malheureusement pas si rares de nos jours…
« Ce qui ne tue pas rend plus fort », a postulé le philosophe Nietzsche. Les jeunes diplômés vont le vérifier à travers leur processus d’endurcissement. Ils seront désormais choisis ou rejetés. Il leur sera demandé d’accomplir des tâches pour lesquelles ils n’ont reçu aucune formation ou dont ils ne souhaitent pas s’acquitter. Certains effectueront des choix de carrière prématurés ou calamiteux. D’autres seront licenciés sans ménagement. Pour raison économique, pour incompétence ou tout simplement pour n’avoir pas su changer de voie à temps ou se former davantage. Chacune de ces épreuves et les cicatrices qu’elles laisseront forgeront toutefois ces jeunes diplômés. L’accumulation de cicatrices leur permettra de savoir qui ils sont.
Mais qui sont-ils vraiment et que risquent-ils de devenir ? C’est un fait qu’une bonne partie de la population est constituée de moutons. Les sondages politiques le démontrent clairement ! Notre attachement à nos deux « sports nationaux » le football et la politique est également un indice révélateur. Maurice n’excelle ni dans l’un, ni dans l’autre. Pourtant cela ne semble indisposer en rien les Mauriciens.
En sport, nous sommes loin d’avoir un championnat de football national décent. L’équipe nationale réussit même régulièrement la prouesse de figurer parmi les derniers pays du classement international de la Fifa. Pendant ce temps, la population continue à rêver en regardant ailleurs. Apprécier le jeu de Barcelone, de Manchester United ou du Real Madrid pour mieux oublier celui, pitoyable, du foot local. Ainsi se comporte le mouton.
En politique, c’est pire. Le plus « jeune » leader de l’arène a 65 ans. Ses deux principaux rivaux en ont respectivement 68 et 82. Durant les trente dernières années, les moutons ont docilement choisi un Premier ministre parmi ces trois-là. Après les élections de 2015, l’un des trois sera toujours, selon toute vraisemblance, dans le fauteuil convoité. Sans que cette idée ne cause aucune sorte d’émoi général chez les moutons.
C’est qu’ils ont trouvé la même parade que pour le football. Ils regardent ailleurs. Vers la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis. David Cameron a 46 ans. Barack Obama est son aîné de cinq ans. Ils sont jeunes et incarnent le changement politique et l’évolution. On s’en contente. Tout comme on se satisfait du fait qu’il y a une disette permanente à Maurice : une pénurie d’évolution politique.
Nos jeunes diplômés, fort de l’éducation qu’ils ont reçue ont donc un autre choix à faire au-delà de leur carrière. Celui qui relève de la responsabilité collective des thinking persons qu’ils sont. Vont-ils se contenter de n’être que des moutons munis d’un bout de papier ? Ou être des citoyens actifs ?
Il faut dissiper ici tout malentendu. Etre un citoyen actif ne signifie pas s’engager en politique et envoyer les leaders politiques actuels en maison de retraite, même si cette solution est fort souhaitable ! S’engager c’est agir. Renoncer à rester en bordure de route. Délaisser le « webactivisme » au profit de l’activisme de terrain et de rue. De nombreuses causes ont cruellement besoin de paires de mains et de lobes de cerveaux. La lutte contre l’extrême pauvreté, le développement durable, la lutte contre la toxicomanie ou les maladies sexuellement transmissibles et l’extermination d’une classe politique fossilisées sont autant de secteurs qui cherchent des engagés.
Nos jeunes diplômés ne peuvent plus se permettre d’être les moutons qui continuent à sauter du haut de la falaise parce que d’autres moutons l’ont fait avant eux. Ils ne peuvent plus que souhaiter le changement : à eux de l’incarner.
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