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Discours aigre-doux

28 juin 2013, 18:07

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La décision de l’Union européenne de mettre fin aux quotas sucre et isoglucose en 2017 a provoqué des réactions diverses pour dire le moins. Ainsi, nous avons noté que Bruxelles et Port-Louis ne sont pas sur la même longueur d’onde. C’est en fait une différence de perspective et aussi de posture. D’un côté, on estime avoir perdu trois ans de privilèges commerciaux, de l’autre, on semble content d’avoir gagné deux ans de sursis. Pile, on regarde le verre à trois cinquièmes vide, et face, on lève le coude avec un verre à deux cinquièmes rempli. De quoi rendre perplexe.

 

 Réagissant à chaud de Bruxelles, où il pilote le dossier sucre depuis plus de 30 ans, Geo Govinden, le représentant étranger du Syndicat des sucres, dans une déclaration à l’express, n’a pas caché, mercredi soir, son inquiétude devant la gravité de la mesure prise par trois institutions européennes (la commission, le conseil des ministres et le Parlement). Govinden aura été de tous les combats politiques et diplomatiques, au front dans les tranchées européennes, avec ses pairs du bloc ACP, pour tenter de retarder au plus tard possible la décision de l’abolition des quotas dont l’impact nous a toujours été annoncé comme étant défavorable. Le lobbying mauricien espérait un sursis jusqu’en 2020, mais cela n’a pas été le cas finalement.

 

 Or, l’échéance 2017 semble ne pas chiffonner “outre mesure” le CEO du Syndicat des sucres. Donnant la réplique portlouisienne à l’alerte de Bruxelles, Jean-Noël Humbert veut sans aucun doute calmer le jeu en affirmant, jeudi, le plus sereinement du monde, que “l’abolition des quotas ne nous inquiète pas outre mesure”. Cette affirmation est déroutante, pour dire le moins, surtout quand on sait que beaucoup d’efforts ont été déployés depuis de nombreuses années pour combattre l’abolition des quotas, car Maurice est loin d’être un producteur efficient que ce soit sur le plan africain ou mondial. Mais il faut quand même placer la déclaration de Humbert dans le contexte local, où, nous dit-on, il ne faut pas décourager des investissements, et où la relation entre secteur public et secteur privé, plus précisément entre la Plantation House et l’hôtel du gouvernement, reste souvent en dents de scie, avec davantage de pics de passion que des pointes de raison.

 

 Mais entre optimisme béat et pessimisme alarmiste, en considérant que l’Europe a d’énormes problèmes économiques à régler sur le plan intérieur, il y a des questions face auxquelles on ne devrait pas pratiquer la politique de l’autruche. Est-ce le fait de produire du sucre blanc et des sucres spéciaux nous protège vraiment contre des concurrents comme le Brésil ? Comment encourager nos petits planteurs de canne quand le prix du sucre va forcément chuter (car ils disparaissent déjà avec les privilèges que nous avons actuellement) ? Comment prétendre que le prix du sucre ne va pas baisser alors que Coca-Cola et Nestlé, parmi les gros utilisateurs industriels, cachent difficilement leur joie devant la perspective d’avoir leur matière première à bien moins chère ? Comment le Syndicat des sucres, avec ses maigres ressources mauriciennes, va-t-il pouvoir anticiper le marché alors que nous savons pertinemment bien que nous n’avons aucune prise sur le prix mondial, le cours des devises et l’attractivité des nouveaux marchés ? Si l’Europe entend maximiser tout son potentiel de production pour satisfaire sa consommation, voire pour exporter, quelle place alors reviendrait à Maurice et aux ACP malgré leurs raffineries ?

 

 * * *

 

Depuis 1966, l’express écrit que la seule vente de notre sucre (hier ‘King Sugar’) ne suffira pas pour garantir une croissance susceptible d’améliorer le niveau de vie du Mauricien. Notre journal a toujours poussé vers une diversification soutenable, car le coût de la production du sucre à Maurice a pratiquement toujours été supérieur au cours mondial. Le changement s’est finalement opéré notamment après la baisse du prix européen « garanti » : les terres ont été réaménagées à d’autres fins, les usines ont été centralisées pour plus d’efficience, le sucre roux est devenu blanc.

 

Mas hier nous avions encore des liens privilégiés avec l’Europe qui avait un devoir d’accompagnement. Aujourd’hui, l’Europe est elle-même en péril (et en plus elle se destine à être exportatrice de sucre !)  et on ne peut plus compter sur elle. Il nous faut regarder ailleurs et trouver d’autres partenaires. Le monde a changé, le centre de gravité n’est plus occidental, mais certains discours mauriciens demeurent trop rassurants eu égard aux réalités mondiales. Par exemple, pourquoi n’arrive-t-on pas à débloquer politiquement la situation de l’éthanol à Maurice alors même que le Brésil salue l’avance technologique que nous avons prise dans ce domaine ? Cette réponse-là, on ne l’aura pas avec le Syndicat des sucres, ni avec Omnicane, mais du côté du gouvernement qui a, lui, une équation non pas économique mais politicienne à régler…et qui réfléchit et qui réfléchit et qui réfléchit…