Publicité
Du sens des responsabilités
Par
Partager cet article
Du sens des responsabilités
Passé le choc des premiers jours, la population s’est vite mise à chercher des coupables à la suite des tragiques événements de samedi dernier. Si aucun procès n’a encore démarré, la liste des suspects susceptibles d’avoir une part de responsabilité directe ou indirecte dans la mort de onze personnes lors du Samedi Noir est déjà longue.
Elle commence par le citoyen lambda. En effet, il ne faudrait pas qu’il s’en tire à si bon compte. Car depuis dimanche, le pays s’émerveille devant l’élan de solidarité exemplaire qui conduit des milliers de Mauriciens à affluer sur les lieux sinistrés pour aider les victimes des inondations. Or, si l’esprit de solidarité était au rendez-vous, il faudrait également se demander si, quelque part, des milliers de citoyens n’ont pas choisi d’aider les victimes par acquit de conscience.
A bien y voir, de nombreux coupables en puissance arpentent nos rues en ce moment. Ce sont aussi bien ceux qui jettent nonchalamment la feuille enveloppant leur dal puri sur un trottoir de Port-Louis que les personnes qui trouvent normal de balancer un vieux frigo dans un cours d’eau ou encore d’étendre leur habitation jusqu’à empiéter sur la berge d’une rivière.
De même, on peut choisir de ne se concentrer que sur les plongeurs du Groupe d’intervention de la police mauricienne qui sont devenus, depuis samedi dernier, les « National Heroes », comme les pompiers de New York lors des attentats du 11 septembre 2001. Mais ce serait décerner une médaille de compétence à la police tout entière. Alors que les milliers de personnes bloquées sur les routes samedi dernier, et se sentant en danger de mort dans beaucoup de cas, retiennent surtout un sentiment d’abandon total de la part des hommes en bleu.
Ce sentiment est vif à l’égard du commissaire de police. Dhun Iswar Rampersad, au lieu de projeter une image rassurante des forces de l’ordre en étant présent sur le terrain et dans les médias, a préféré déléguer cette tâche à son adjoint. C’est ce qui explique dans une certaine mesure pourquoi, une semaine après les événements et malgré les explications du Premier ministre sur l’action de la police lors du samedi noir, les Mauriciens se souviennent toujours de l’angoissante absence des policiers aux lieux les plus décisifs ce jour-là.
Sous cette pluie battante, que la station de Vacoas avait apparemment prévue… mais tardivement, de nombreux Mauriciens se sont également interrogés sur l’efficacité et la fiabilité de nos services météorologiques. Vendredi, l’occasion nous a été donnée de constater que cette discipline est loin d’être une science exacte. Car malgré les prévisions de la météo britannique, corroborées ensuite par les services locaux, le pays n’a connu aucun épisode de pluie torrentielle.
Mais ce n’est en aucun cas un argument valable pour dédouaner les responsables locaux de la météo. Qui ont péché sur plusieurs fronts. D’abord, en ne se reposant pas suffisamment sur la collaboration avec leurs voisins réunionnais – mieux équipés – pour affiner leurs prévisions. Ensuite, en sombrant dans une torpeur coupable au lieu de tirer régulièrement la sonnette d’alarme auprès de leur ministre de tutelle, Navin Ramgoolam, pour que le remplacement du radar en panne de Trou-aux-Cerfs figure parmi les dépenses prioritaires pour la sécurité nationale.
Les administrations, toutefois, ne travaillent pas en autarcie. Elles sont placées sous la responsabilité politique de ministres et du Premier ministre. Si Anil Bachoo, le ministre des Infrastructures publiques, a adopté depuis une semaine une posture de déni de responsabilité, Navin Ramgoolam commence à nuancer ses propos en reconnaissant que « chacun devra assumer ses responsabilités ». Le Premier ministre gagnerait à prendre la mesure de ce que cela implique toutefois. Car au vu de sa posture lors de la Private Notice Question de mardi au Parlement, Navin Ramgoolam semble prêt à utiliser des arguments politiques fumeux pour se dédouaner.
Il peut le faire, mais cela n’effacera pas le fait principal : Ramgoolam est au pouvoir depuis juillet 2005. Ses deux gouvernements successifs ont eu presque huit ans pour faire en sorte que le radar de Trou-aux-Cerfs (en panne depuis 2002) soit remplacé. Anil Bachoo, sous la direction du Premier ministre, a disposé du même temps pour étudier les plans d’aménagement du territoire et les rapports liés aux risques d’inondation afin de décider des meilleures options en matière de développement des infrastructures routières, par exemple.
Il est donc impensable que le Premier ministre puisse prétendre, à l’avenir, que la responsabilité du gouvernement n’est nullement engagée dans la mort de onze Mauriciens. S’il le fait, il donnerait alors raison à l’ancien président américain Ronald Reagan qui disait : « Government is like a baby. An alimentary canal with a big appetite at one end and no sense of responsibility at the other. » Il faudrait juste compléter la citation en la terminant par « specially during flash floods caused by climate change ! »
Publicité
Les plus récents