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Entre pardon et reconnaissance
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Entre pardon et reconnaissance
La tribune de M. Armand Maudave parue dans le sillage de la publication du rapport de la Commission Justice et Vérité interpelle.
Si elle avait pour dessein de heurter sciemment certaines sensibilités afin de provoquer un débat, l’initiative de M. Maudave serait peut-être louable dans son objectif encore que discutable dans sa forme. Si en revanche cette tribune n’avait d’autre dessein que de véhiculer les idées et l’opinion de son auteur, il y a, dans ce cas, un problème.
Certains postulats présentés dans cette tribune ne laissent pas indifférent. Il est insoutenable d’imaginer qu’un (…) admirateur de la pharaonne Hatchepsout, puisse à ce point frôler des extrêmes dans son analyse (…).
Il serait bon de rappeler à M. Maudave que l’Égypte Ancienne, qu’il affectionne tant, était régie par la règle de Maat, qui assure l’harmonie, la règle, la justice entre les hommes, la nature, entre pharaon et son peuple. Cette règle exclut la notion même d’esclavage, d’asservissement, de spoliation. Ce préalable historique et ce rappel à la règle de Maat sont importants parce que l’argumentaire de la tribune est contraire à cet esprit alors que nous aurions pu penser que M. Maudave l’aurait eu pour moteur.
La tribune est tantôt choquante dans les raccourcis qu’elle emprunte, tantôt insultante dans les allusions qu’elle appuie, souvent de très mauvais goût et surtout irrespectueuses de la mémoire des esclaves et des travailleurs engagés, qu’ils soient de Maurice ou d’ailleurs.
Il n’était pas nécessaire, pour étayer une posture de défenseur d’une « reconnaissance » de la contribution des esclaves et travailleurs engagés au développement du pays par opposition à celle, plus musclée, d’une « demande de pardon », d’avoir recours à des arguments aussi peu glorieux qui vont même jusqu’à flirter dangereusement avec une sorte de « révisionnisme » de l’histoire de l’esclavage (…).
L’entreprise qui consiste à chercher à se donner bonne conscience à faible prix est une facilité dans laquelle il n’est pas souhaitable de choir s’agissant de ces abominations qu’ont été l’esclavage et l’engagisme ou toute autre forme de crime contre l’humanité. La proposition de « reconnaissance » telle que préconisée par M. Maudave peut être assimilée à une simple « tape dans le dos » que la mémoire de ceux qui ont souffert ne saurait se contenter.
À défaut d’un châtiment symbolique pour un crime aussi ignoble, perpétré de manière continue sur plusieurs générations, le pardon est finalement peu cher payé et demeure un minimum auquel les institutions, justement visées par la Commission, devraient s’astreindre. Et, en contrepartie à cet acte de contrition par ces instances et ce dans un souci d’équilibre et de paix sociale, la miséricorde des descendants d’esclaves et des travailleurs engagés doit être le retour minimum assuré. « Miséricorde » s’entend au sens humain et laïque du terme et pas religieux  de même que le « pardon » tiendrait plus de la compassion que de l’expiation.
Revenons sur quelques morceaux choisis les plus discutables présentés dans la tribune
[]………..Le sursaut moralisateur des commissaires est conditionné par notre sensibilité contemporaine ……..]
[] …….. Une analyse objective de l’histoire de ces quelque 500 années de traite, et d’un siècle environ d’engagisme, révèle une désolante banalisation de la cruauté………..]
Faux. Le rejet de l’esclavage n’est pas une idée nouvelle, loin s’en faut. Les thèses abolitionnistes sont au contraire très anciennes ! Certains contemporains de la période où fleurissait l’esclavage abhorraient cette pratique et se faisaient entendre de manière virulente. Le pouvoir économique et politique de l’époque seul capable de faire changer les choses était hélas en de mains moins humanistes et c’est à l’usure que les abolitionnistes, au premier rang desquels Victor Schoelcher, sont venus à bout de l’esclavage. La banalisation de la cruauté était pour une grande majorité de l’époque le fait d’un obscurantisme et d’une ignorance coriaces.
[]…………Ailleurs, par exemple, les serfs des boyards russes et les paysans de l’empire austro-hongrois ne jouissaient que d’une liberté relative……….]
Ici, nous frôlons la faute de goût ! Sauf méprise sur la compréhension de cet amalgame douteux ou sur le sens qu’a voulu y donner M. Maudave, il semble indiquer que le fait que des boyards russes et paysans austro-hongrois aient été contraints dans leur liberté à une certaine époque excuserait en partie ou en totalité l’esclavage et l’engagisme suggérant insidieusement que si des peuples de « races blanches » aient été aussi victimes d’une certaine forme de brimade à un moment donné, le sort fait aux esclaves d’Afrique et d’Asie ne serait qu’une suite logique des évènements ! Grotesque !
 []………Les matelots sur les bâtiments de guerre au 18e siècle avaient, par exemple, peu de choses à envier au sort des esclaves. La moindre indiscipline était punie de dizaines de coups de fouet, mains liées au mat, ou le corps suspendu aux basses vergues. Typhus, paludisme, et «fièvres putrides» ravageaient les effectifs. La mortalité moyenne par les maladies a été évaluée à plus de 10 % par voyage, sans compter celles dues aux noyades, accidents, suicides et blessures au combat……]
De mal en pis ! L’incongruité de cet extrait est désolante. En quoi le sort de matelots faisant preuve de la « moindre indiscipline » peut-il être commensurable avec les atrocités endurées par les esclaves et les travailleurs engagés ? D’un côté, nous avons des écarts, certes cruels, dans les punitions exercées sur des marins indélicats avec leur hiérarchie mais libres et, de l’autre, un déni total d’humanité et une persécution continuelle tirant vers une lente déshumanisation de l’être. Le pire est que les séquelles de ce processus réfléchi et prémédité, cette scarification, sont encore perceptibles dans certaines couches sociales des descendants des esclaves à Maurice et ailleurs. Le parallèle entre le statut des matelots et celui des esclaves est excessif. Passons sur le taux de « mortalité moyenne » de ces matelots qui n’a aucune sorte de pertinence et nous renvoie hélas au taux de mortalité des esclaves !
 []…………..L’Evêque de Port-Louis serait prêt à faire acte de contrition. Cela l’honore d’autant plus qu’il n’avait même pas à le faire. Tout le passé du catholicisme depuis cinq siècles, et la somme de ses œuvres charitables en Afrique et ailleurs, l’en dispensaient. Amplement……..]
Après les interprétations historiques tendancieuses, voilà l’argument comptable creux, l’arithmétique diffamatoire ! Les descendants d’esclaves et des travailleurs engagés apprécieront certainement de savoir que le silence (l’implication active ? ) de l’église sur la somme des souffrances endurées par leurs aïeux sur plusieurs générations et le lourd tribut payé par le Continent noir et l’Asie à l’esclavage et l’engagisme, se trouverait en fait absout par les œuvres charitables du catholicisme depuis cinq siècles ! C’est délirant !
De plus, en fait d’œuvres charitables, d’aucuns les qualifieraient plutôt de « mesures d’accompagnement de l’évangélisation et de la mission apostolique de l’église». Que l’on ne s’y  trompe pas, il n’y a pas de charité, tout n’est qu’intérêt. Comme dis l’anglais : there is no free-meal. M. Maudave se pose ici en avocat de l’église et de l’Evêque de Port Louis avec un argument fallacieux.
Quelle tristesse pour l’église catholique mauricienne qui prend déjà une position honorable par rapport à l’esclavage en envisageant le pardon (pratiquant enfin ce qu’elle prêche) d’avoir à se défaire d’une plaidoirie si peu charitable. Pour sûr, l’Evêque de Port Louis a été très bien inspiré dans sa position de faire acte de repentance émulant un Chirac, alors Président de la République Française il y quelques années, demandant pardon au peuple juif pour le rôle joué par la France pendant la deuxième guerre ou encore, exemple plus d’à-propos, un Jean Paul II expiant les fautes de l’église sur l’île de Gorée implorant le pardon du peuple noir. M. Maudave a une lecture trop parcellaire des évènements.
[]………La fortune de certains groupes mauriciens remonte également à la pratique de l’esclavage et de l’engagisme du 18e au 20e siècle. Il serait toutefois injuste de limiter cet enrichissement à la seule exploitation de la sueur humaine, sans admettre qu’en contrepartie, il y eut une forte dose de débrouillardise, de vision, de rigueur et d’astucieux investissements dans les banques, le commerce, la construction, l’import-export, la navigation…..]
Il est difficile de comprendre la pertinence de cet argument pour défendre la reconnaissance envers les esclaves et les travailleurs engagés ! C’est vrai, « certains groupes mauriciens » de par leur appartenance et leur position dominante de l’époque se sont retrouvés avec une fortune et un patrimoine, surtout foncier, considérable (A quel prix ? Ceci est une autre question) qu’ils ont fait fructifier conformément à la logique économique au fil des années. Et alors ? N’est-ce pas le propre de l’entreprenariat que d’investir et de créer de la valeur ! Ces groupes ont eu le mérite de ne pas rater des occasions d’investissements et ont surtout eu la chance de démarrer avec un patrimoine colossal, indécent diraient certains, leur procurant plusieurs longueurs d’avance, qui leur a permis de capitaliser sur tous les potentiels que le pays pouvait générer.
 La part de cette fortune de départ découlant des bénéfices de l’esclavage et de la sueur des esclaves et des travailleurs engagés (Lal pasina !) reste significative et ne saurait être combattue. Tout ce qui s’en est suivi à la faveur de la débrouillardise, rigueur, vision, etc. relève surtout d’une gestion de cette fortune initiale. La bonne gestion d’un pécule ne doit pas faire oublier l’origine du pécule de départ !
[]……Et quid, en passant, des rabatteurs africains dont les descendants ont pignon sur rue dans les ports d’Afrique de l’Est et de l’Ouest ? Ces roitelets ou chefs de tribus vendaient sans vergogne leurs semblables aux capitaines de vaisseaux engagés dans la traite. Vont-ils eux aussi avoir à demander pardon ?....]
Certainement qu’ils doivent demander pardon eux-aussi, tout comme les nombreux opportunistes de nos champs de canne de tous bords qui se sont ralliés du bon côté du fouet en répudiant leurs anciens compagnons d’infortune ! Encore une fois, il est ardu de comprendre cet argument sinon que de conclure que, pour M. Maudave, si des rabatteurs africains avaient bien vendu leurs congénères, cela devrait exonérer les esclavagistes et autres acteurs de la traite écumant les mers sous toutes les latitudes de tout reproche. Devrons-nous jusqu’à les considérer comme des victimes, de simples maillons  dans le vil commerce de leurs rabatteurs africains ?
Le plus grand crime de ces complices africains est la vénalité. Leur péché était celui d’être tombé dans la cupidité rendue possible par les velléités et la rapacité de ces armateurs et capitaines de négriers. Là où il y a la corruption par l’argent, prospère la cupidité, qui elle ne fait pas de distinction entre peuples.
Il n’est pas déraisonnable qu’aujourd’hui les descendants des esclaves réclament une compensation. Ce qui est juste n’est toutefois pas facile à satisfaire.
Il est au contraire tout à fait discutable pour les descendants des esclaves de demander une compensation pour des sévices subis par leurs aïeux. Qui doit payer ? Comment calcule-t-on la compensation ? Qui doit bénéficier ? Autant de questions auxquelles il serait difficile de répondre de manière directe. M. Maudave soupçonne déjà ces écueils pour les tenants de cette option et avance donc sans risque en se présentant comme le chantre d’une compensation qui n’a aucune chance de se concrétiser.
En revanche, quid des spoliations foncières subies par les descendants d’esclaves et de travailleurs engagés au lendemain de l’abolition ? Quid de l’appropriation de vastes étendus de terres, de montagnes, de ravins ? Qui pouvait faire acte de propriété en ces temps obscurs ? Certainement pas les esclaves, encore moins les coolies réhabilités ou les affranchis ? Quand bien même, avec quel capital allaient-ils exploiter ces terres ? Que de zones ombres que nos historiens pourraient éclaircir et codifier pour nos manuels d’histoire.
[]………..une sincère reconnaissance des mérites paraît plus raisonnable philosophiquement, et moralement plus adaptée aux circonstances actuelles. Que l’hommage éventuellement rendu aux esclaves et aux engagés par un texte approprié débouche sur tout un programme d’actions à mener afin d’atténuer les séquelles de ce lourd passé d’exploitation et de mépris.
Bien dit ! Enfin un peu de lucidité ! Pourquoi pas M. Maudave ? C’est une bonne idée votre suggestion de programme d’actions à mener. Vu votre grand âge, il est permis de vous croire sincère dans votre conclusion.
Dans ce cas, il aurait fallu argumenter différemment sans diffamer les descendants des esclaves et des travailleurs engagés et garder dans l’intimité de votre salon les à-peu-près tendancieux et les arguments infamants !
Etait-ce la tribune de trop ? Oui et on vous le pardonne !
 
 
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